Tunisie: les ratés d'un système éducatif inégalitaire
Aujourd’hui, c’est la rentrée des classes. Plus de 2 millions 300 mille élèves de tout âge s’apprêtent à retrouver, ce lundi 16 Septembre, les bancs de l’école. Soit une augmentation de 2% par rapport au nombre d'élèves de l'année scolaire précédente, selon des données fournies par le Ministère de l'Education.
Ils seront encadrés par près de 155 000 enseignants, répartis sur plus de 6 000 établissements, entre primaire et secondaire.
Les résultats de la consultation nationale relative au Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement qui a démarré le 15 Septembre 2023, et qui devraient être mis à profit pour élaborer le projet de loi instituant cette instance constitutionnelle, se font toujours attendre.
Une année après, l’on ne sait que peu ou prou sur ce Conseil, si ce n'est cette information lapidaire sur le projet de loi qui a été examiné, le 17 août dernier, au cours d’un Conseil ministériel restreint réuni au Palais du gouvernement à la Kasbah, sous la présidence du chef du gouvernement.
Les maux de l’école
On le sait déjà, les maux de l’école ne datent pas d’aujourd’hui, même s’ils se sont accentués au cours des dernières années. Ils sont connus de tous les intervenants, parents, élèves, enseignants, directeurs des établissements scolaires, syndicats et bien entendu ministère de l’éducation qui s’en plaignent tout le temps. On dirait qu’un plan sournois a été établi pour détruite l’école publique et abrutir nos enfants.
Les trois réformes initiées depuis l’indépendance (1958, 1991 et 2002) ont donné des résultats parfois mitigés. Inutile de rappeler les remèdes thérapeutiques qui ont, jusque-là, été appliqués, mais qui n’ont fait qu’empirer la situation et les improvisations qui n’ont fait que pourrir le climat autour de l’école. L’école tunisienne est devenue comme un laboratoire et les élèves des cobayes sur qui on a réalisé plusieurs expériences sans succès. On ne change pas l’école à la pièce pour « satisfaire les geignards du moment », car cela pourrait la faire dévier de sa mission principale « d’instruire, de socialiser et de qualifier ».
Notre système éducatif s’est avéré, au fil des ans, un système inégalitaire. Deux données relevées dans le document du «plan stratégique 2016-2020» élaboré par le ministère de l’éducation, montrent que les inégalités se creusent davantage entre les régions. Au niveau de l’enseignement préscolaire, où le taux de couverture moyen est de 45.6% seulement, c’est le grand écart entre les gouvernorats dits nantis et les autres. A Tunis 2, il est de 96.8%, alors qu’à Kasserine, il est de 44.2% seulement. Il en est de même du rendement interne dans l’enseignement primaire où le taux moyen de passage de classe est de 91.5% et c’est encore Tunis 2 qui se trouve en tête avec 96.7% contre 85.3% pour Kasserine qui clôt le classement derrière Kairouan avec 85.9% et Tataouine avec 87.7%. Mais c’est au niveau des résultats au baccalauréat que ces inégalités deviennent plus criardes. Entre Sfax 2 et Sfax 1 avec respectivement 73% et 72% et Jendouba 43.% et Gafsa 43%, il n’y a pas photo.
Comme on le constate, les chiffres sont têtus et parlent d’eux-mêmes. Les disparités sont perceptibles et « prennent leur source dans les cycles inférieurs, à savoir l’école de base et le secondaire, et se révèlent clairement au niveau des résultats du baccalauréat ». La scolarisation massive n’a pas suffi à réduire les inégalités avec les régions qui sont, en fait, mal nanties en matière d’infrastructures et de moyens de transport, surtout quand on sait que 60% des écoles primaires se trouvent dans des zones rurales et que la plupart d’entre elles sont dépourvues d’eau potable. On a vu des élèves parcourir des kilomètres pour parvenir à leur école, bravant tous les dangers mais avec l’espoir de réussir dans leurs études. Seulement le tiers des gouvernorats ont un taux d’adduction de 100%, alors que d’autres comme Kasserine avec 61% et Kairouan avec 62% doivent attendre encore des années pour être complètement desservis.
Un serpent de mer
En Tunisie, l'éducation est un vrai serpent de mer. Tous les ministres qui se sont succédé à la tête du ministère ont annoncé des projets de réforme, allumant les feux chez les syndicats qui, même s’ils se déclarent pour une révision du système éducatif, ne parlent pas le même langage que le ministère. D’où ce blocage fortement préjudiciable. Certains d’entre eux n’ont même eu le temps de s’installer avant qu’ils ne soient remplacés, parfois de pied levé. Depuis janvier 2011, ils sont une douzaine à avoir arpenté les couloirs de ce haut lieu de savoir, sis à Bab Bnet, qui a vu se succéder de grands noms tels Lamine Chebbi, Mahmoud Messadi, Ahmed Ben Salah, Mohamed Mzali, Fredj Chedly, Mohamed Charfi, Moncer Rouissi et j’en oublie…Une instabilité qui, ajoutée à l'incurie de certains responsables, s'est avérée fortement préjudiciable.
Entre-temps, l’école s’enfonce dans la crise et n’accueille, pratiquement, que les enfants des pauvres. Elle ne fonctionne plus comme ascenseur social. Et c’est toute la société qui s’en ressent.
B.O
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