Tunisie: Lutter par la communication et la bonne gouvernance

A l'occasion de l'inauguration du nouveau Centre Tunisien de la Gouvernance d'Entreprises (CTGE), la cellule des

jeunes membres de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises a organisé, récemment, une conférence nationale sur le thème : « Transparence, gouvernance d’entreprise et la crise financière ».
A l’ordre du jour, une série d’interventions traitant, entre autres thématiques, du « rôle et de l’importance des instituts de gouvernance en temps de crise », de « la qualité de l’information sur la place de Tunis : rapport annuel » et de « la gouvernance d’entreprises en contexte de crise financière ».

Ces communications ont été assurées par d’éminents spécialistes et experts du domaine des finances et de la communication, locaux et même étrangers dont MM. John Stout et  Martin Steindl, respectivement administrateur au CIPE et Vice président de Fredrikson et Byron (USA) et chef de projet gouvernance d’entreprise à la SFI.

Partant, avec une assistance variée incluant universitaires chefs d’entreprises, étudiants et jeunes promoteurs, ladite conférence était fort instructive. Le plus grand volet de l’après-midi a été, d’ailleurs consacré à la définition des concepts clés et des notions en rapport avec la gouvernance d’entreprise et l’information financière.

En effet, dans un contexte mondial marqué par une crise financière sans précédent, de telles initiatives sont de nature à donner de plus amples éclairages sur les issues et les procédés à même de sortir les entreprises de cette impasse. C’est ce qu’a souligné M. Slim Zarrouk, président de la CJM-IACE, à l’ouverture de la conférence.

Abordant la thématique centrale, à savoir, la gouvernance d’entreprise, le ton a été donné au départ par l’invité américain, M. John Stout. Ce dernier n’a pas manqué de définir d’une manière exhaustive cette notion dont il présente comme étant l'ensemble des processus, réglementations, lois et institutions influant la manière dont l'entreprise est dirigée, administrée et contrôlée.

La gouvernance, a-t-il ajouté, inclut aussi les relations entre les nombreux acteurs impliqués (les parties prenantes) et les objectifs qui gouvernent l'entreprise. Les acteurs principaux sont les actionnaires, la direction et le conseil d'administration. Les autres parties prenantes incluent les employés, les fournisseurs, les clients, les banques ou autres prêteurs, le voisinage, l'environnement et la communauté au sens large.
« Le mot gouvernance est une nouvelle expression en langue française, qui a une étymologie complexe », a-t-il conclu.

Approche de la notion de gouvernement d'entreprise

Dans une autre approche de la notion de « gouvernance d’entreprise », M. Martin Steindl a, de son côté, expliqué que pour ces dernières années, les débats relatifs au gouvernement d'entreprise ont pris une grande ampleur tant au plan national qu'international.

Sous ce terme, on désigne l'ensemble des règles mises en place dans les sociétés afin de garantir l'équilibre des pouvoirs entre les organes de direction, de gestion et de contrôle de la société.

A l'origine, les principes de gouvernance d'entreprise n'avaient aucune valeur contraignante, chaque entreprise restant libre de les mettre en œuvre.
L'objectif initial des règles de gouvernance est de rétablir et d'harmoniser l'équilibre entre les pouvoirs des différents organes de la société.

Evoquant le fonctionnement du conseil d’administration et les principes à encourager, l’expert a noté que le rôle du conseil d’administration est clairement défini vis-à-vis du management.

Selon lui, les administrateurs doivent comprendre leurs devoirs et responsabilités à l’égard de l’entreprise et des actionnaires. Le conseil d’administration doit également comprendre leurs obligations de supervision et se doit de mettre en place les processus appropriés.

S’agissant de la composition et de la structure du conseil d’administration l’intervenant préconise la mise en place de comités d’audit, de rémunération, de gouvernance d’entreprise et de nomination et d’autres encore si nécessaire.

Pour ce qui est du rapport entre la crise financière, les banques et la gouvernance d’entreprise, M. Martin Steindl a avancé que depuis l’apparition de la crise, deux études ont essayé de voir pourquoi certaines banques ont échoué en comparaison avec celles qui ont pu survivre.

Les études, indique-t-il, montrent que les échecs sont essentiellement dues à « une mauvaise compréhension par les conseils d’administrations des banques de la complexité de plus en plus accrue et de la diversité géographique des activités, ce qui a entraîné de mauvais choix stratégiques.

De l’importance de l’information financière

Lors de la deuxième moitié de l’après-midi, le programme a prévu un panel dédié à « l’information financière comme outil d’information et d’évaluation ».
Ce panel, dirigé par M. Youssef Kortobi, président de la BVMT et animé par MM. Férid Ben Brahim, Taoufik Habeieb, Sofiène Hammami, présidents respectifs de l’ATAF, de TH-COM et du CMF outre Mme Emna Kallel, secrétaire général de l’ATAF, a constitué le point de départ d’un débat riche et participatif avec l’assistance.

Ainsi, entre transparence, information, communication et crise financière, les notions débattues convergent toutes vers un seul concept clé : « la bonne gouvernance d’entreprise ».
  
Pour expliquer ce processus, les spécialistes présents ont fait savoir qu’en matière de communication financière, les établissements doivent répondre à une triple injonction ; développer et gérer la relation client pour le fidéliser, en tenant compte de la révolution Internet, ce qui renforce le besoin d’information, répondre aux contraintes imposées par la réglementation en matière de publication d’informations financières à caractère quantitatif et, surtout, qualitatif et assurer une communication interne de les informer et de créer une culture d’entreprise.

Dans ce contexte la communication financière devient un formidable outil de marketing interne et externe dont les codes vont encore évoluer et dont les impacts ne sont pas négligeables pour l’entreprise émettrice.

D’un point de vue chronologique, jusqu’à la fin des années soixante dix et le milieu des années quatre- vingt, la communication des informations financières était essentiellement constituée de données comptables émises dans les publications officielles par les établissements bancaires et financiers à destination des autorités de tutelle françaises ou des spécialistes du monde financier.

Les évolutions technologiques ont permis d’accéder à une information plus riche et plus diversifiée, contenant à la fois des données de gestion et des données comptables. Parallèlement, les canaux de diffusion de l’information se sont aussi diversifiés : fiches d’identité, sites Internet… Sans oublier le régulateur dont les demandes de reporting et de contrôles se sont étendues.

Par ailleurs, la mondialisation des marchés, le développement du rôle des autorités de tutelle, le renforcement et l’accroissement des réglementations régissant les activités et les échanges sur les marchés financiers induisent de nouveaux besoins d’informations et de contrôles. Face à cette mondialisation des activités, la quantité d’informations et de contrôles à produire s’est développée, mais la qualité des informations et surtout l’adéquation du message par rapport à la cible demeurent une des clés de la communication.

Certaines de ces réglementations, telle que la réforme Bâle II dont le 3ème pilier impose une communication financière cohérente et transparente, instaurent ainsi une véritable discipline de marché.

Les acteurs impliqués dans cette chaîne de l’information sont multiples. Du côté des producteurs de l’information, on trouve les équipes dirigeantes des établissements bancaires responsables de la stratégie, les directions financières et comptables, les directions des risques et de la communication proprement dite. Ceux qui reçoivent l’information ont aussi de multiples et diverses attentes: autorités de contrôle, investisseurs, organismes de notation, analystes. Face à cette diversité, le choix des informations à communiquer et les canaux utilisés représentent un véritable enjeu pour une communication réussie.

Parmi les moyens voire procédés de la communication financière, les intervenants désignent les rapports annuels et expliquent que dans le cadre des sociétés cotées, les principes du gouvernement d'entreprise résultent de différents rapports élaborés.

Ces rapports préconisent notamment, une meilleure répartition des compétences entre les différentes structures de la société (conseil d'administration, directeur général, etc.), une clarification des fonctions des membres du conseil d'administration (administrateurs indépendants, etc.) et la création de commissions de contrôle ayant des compétences dans des domaines où il existe des risques de conflits d'intérêts.

Notons, par ailleurs, qu’à cette occasion, une version préliminaire du « guide du rapport annuel des entreprises tunisiennes » a été présenté et dont la réalisation revient conjointement à l’IACE et au Centre Internationale des Entreprises privées (CIPE).

La clôture de la conférence a, quant à elle, été assignée à M. Tawfik Baccar, gouverneur de la banque centrale qui a indiqué dans son allocution qu’en l’absence d’un modèle unique, la gouvernance d’entreprise se doit de tenir compte de la réalité de l’économie et du contexte dans lequel évolue l’entreprise ainsi que des orientations universelles prônant la bonne gouvernance.

La bonne gouvernance est donc un processus évolutif qui gagne à  être érigé en une culture tant il est vrai que les avantages qui pourraient en découler sont de loin supérieurs aux surcoûts qui pourraient résulter des changements éventuels de la gouvernance d’entreprise que l’évolution économique pourrait dicter. Un parfait dosage s’impose alors pour ne pas s’exclure de la compétition qu’impose la mondialisation de l’économie.

Ainsi la démarche à entreprendre devrait-elle favoriser une évaluation permanente des pratiques de l’entreprise pour s’assurer de leur parfaite harmonie avec les bonnes pratiques de gouvernance pour la vulgarisation desquelles une importante contribution du Centre Tunisien de la Gouvernance d’Entreprise est attendue.

Pour le gouverneur de la banque centrale, La crise que traverse aujourd’hui l’économie mondiale est venue une fois de plus confirmer que la recherche de gains financiers sans limite et dans des proportions totalement déconnectées de l’économie réelle est source de bulles financières spéculatives dont les conséquences n’échappent plus à personne.

Cette crise qui a mis en exergue les effets néfastes de la préférence de l’intérêt immédiat au détriment de la pérennité de l’entreprise, a suscité un regain d’intérêt pour la bonne gouvernance à l’échelle mondiale.

En effet, il est plus que jamais admis que malgré leur importance, les performances financières ne sont pas toujours synonymes de bonne gouvernance ; la bonne gouvernance se doit de s’inscrire dans une vision stratégique conciliant les intérêts de toutes les parties prenantes à savoir les actionnaires, les clients, les partenaires financiers, les fournisseurs voire aussi le cadre sociétal et environnemental de l’entreprise pour faire de celle-ci une entreprise citoyenne, pérenne et créatrice de valeur.

C’est cette conception de la gouvernance fondée sur la synthèse de ses trois piliers que sont les saines pratiques, la transparence du discours et la reddition responsable, qui doit à notre sens être privilégiée.

S’agissant de la démarche tunisienne qui est basée sur la conviction qu’une bonne régulation des marchés ne peut se passer d’une information financière complète, fiable et crédible, elle s’est attachée d’abord, estime M. Baccar, à faire de la transparence une priorité majeure garantissant la disponibilité d’une information financière de qualité même si le tissu économique tunisien est caractérisé par une majorité d’entreprises familiales. C’est qu’au delà de l’intérêt des actionnaires, il y va de l’intérêt des créanciers, des bailleurs de fonds et de toutes autres parties concernées par la viabilité de l’entreprise.

C’est dans ce cadre que la loi sur la sécurité des transactions financières a imposé de nouvelles règles pour dynamiser le système de registre de commerce et réorganiser les obligations de divulgation à la charge des sociétés d’intérêt public à savoir celles faisant appel public à l’épargne ou ayant atteint une certaine taille.

L’obligation de consolidation comptable constitue également une composante essentielle pour renforcer l’exhaustivité de l’information financière du fait que l’amplification de la taille des groupes d’affaires exige une approche d’évaluation globale du risque et une information financière complète et cohérente.

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