Youssef Chahed à La Presse : la guerre anticorruption n’excepte aucune personne
Dans une longue interview a accordée à notre confrère Soufiane Ben Farhat du journal La Presse( simultanément avec Hafedh Ghéribi du journal arabophone Assabah), le Chef du gouvernement Youssef Chahed lève le voile sur «la guerre anticorruption qui ne vise aucune personne en particulier mais elle n’exceptera aucune personne compromise et ne protègera personne».
Pour lui, il ne s’agit nullement de campagne contre la corruption, mais d’une « guerre à la corruption », car ajoute-t-il, « la corruption chez nous est généralisée. Elle sévit partout. J’étais en train de lire Ibn Khaldoun qui dit que la phase durant laquelle la corruption infiltre les institutions, l’Etat signe sa décadence ». « Je l’avais d’ailleurs invoquée lors de mon discours d’investiture devant le Parlement. Et j’avais dit que cela sera la priorité absolue de notre politique pénale. J’en ai parlé avec le ministre de la Justice qui s’est réuni avec les procureurs généraux et les magistrats du parquet pour faire en sorte que la lutte anticorruption soit une priorité ».
S’agissant de Chafik Jarraya, Chahed affirme qu’il ne l’a jamais vu ni connu. Si le parquet militaire s’est saisi de son dossier c’est qu’il y a motif réel à des poursuites fondées sur des données factuelles et avérées ». « Pour l’ensemble des arrestations, les enquêtes préliminaires ont pris des mois. J’y présidais et nous y avons travaillé en totale discrétion, dans le secret le plus absolu. Je respecte le secret de l’instruction. Quant à prétendre que c’est lié aux mouvements sociaux et protestataires c’est faux. Les mouvements protestataires se poursuivent encore ». Selon lui, au bout de neuf mois d’exercice du gouvernement, le diagnostic largement admis est qu’il y a une relation organique et avérée entre la contrebande, la corruption financière et le terrorisme. La corruption menace sérieusement le taux de croissance et concourt à le maintenir dans des proportions infimes. Sans cela, nous pourrions aisément atteindre 7 % à 8% de croissance »
Il a souligné qu’il a fallu mettre en place une « batterie de mesures législatives », avec les lois sur l’origine des biens acquis, la loi sur les informateurs en matière de corruption, la mise en place d’institutions telle que l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) présidée par Me Chawki Tabib, munie de prérogatives inédites, disposant d’agents de police judiciaire et pouvant procéder aux perquisitions et descentes sur le terrain. « En décembre 2016, a-t-il ajouté nous avons adopté un projet de loi soustrayant au pôle judiciaire financier les affaires de droit commun afin qu’il se concentre sur les affaires de corruption. On a décidé aussi de coopter 500 nouveaux magistrats, alors qu’il n’y en a que 2.300 actuellement, idem pour la Cour des comptes. Nous avons décidé de créer aussi des tribunaux administratifs dans les régions, une première depuis l’indépendance. C’est donc une politique méthodique de lutte anticorruption. Nous avons traduit en justice des centaines de dossiers. Le montant des sommes confisquées des huit derniers mois, sonnantes et trébuchantes, s’élève jusqu’ici à 700 millions de dinars rien que dans le commerce parallèle et la contrebande ».
Donc, a poursuivi le Chef du gouvernement il y a la batterie de mesures législatives, l’adoption de la stratégie nationale de la lutte anticorruption, le renforcement de la magistrature à différents niveaux, les confiscations et les arrestations des coupables ainsi que d’autres actions prévues. Autant d’actions qui ont culminé aux yeux de l’opinion avec l’arrestation des grands chefs de la contrebande. Cela a généré un choc psychologique dans l’opinion ».
Pour lui, cette guerre anticorruption ne vise aucune personne en particulier mais elle n’excepte aucune personne compromise dans la corruption. Elle ne protègera personne. Notre but est de mettre en pièces les systèmes de la corruption et du triptyque terrorisme-corruption-contrebande et évasion fiscale. C’est un système observable partout, notamment dans les régions. Même les protestations sociales sont mises à profit par ce système. Les terroristes aussi en profitent. Tel est le cas au Jebel Chaambi ou à Sidi Bouzid. Nous voulons démonter les mécanismes de ce système et ce n’est guère sélectif. Les huit personnes arrêtées jusqu’ici ne sont guère des enfants de chœur en fait. Il s’agit de gros pontes de la contrebande. Les huit personnes sont de gros poissons dont l’un est traduit devant la justice militaire. Ils répondent de faits graves et certains d’entre eux sont liés aux Trabelsia. Il y aura d’autres arrestations. Si nous avons eu recours à la loi sur l’état d’urgence pour les arrêter : à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Il faut utiliser tous les outils. L’Etat se rebiffe et se défend. J’ai dit ou l’Etat triomphe ou c’est la corruption qui l’emporte. Si cette opération a bénéficié d’un large soutien de l’opinion c’est parce que les gens en ont marre de la corruption qu’ils voient partout ». Il a précisé que les personnes assignées à résidence seront traduites devant la justice ordinaire. L’article 5 du décret instituant la loi d’urgence dit bien que les personnes sont assignées à résidence dès qu’elles constituent un danger public. D’autres actions sont prévues dans ce cadre. D’autres personnes pourraient être arrêtées en vertu de la loi d’urgence, dès qu’il s’avère que l’Etat est en danger ».
« La lutte anticorruption est une guerre continue, de longue haleine et procède d’une politique soutenue. Les médias sont appelés à sensibiliser les gens à ce propos. La justice doit assumer pleinement son rôle ». Parmi les moyens de lutte contre la corruption, il a cité la digitalisation de l’administration. « Dès la semaine prochaine, nous procéderons à la réorganisation radicale des instruments de gestion des finances publiques. Les logiciels dont nous disposons aujourd’hui (sanad, irched etc.) sont des voies d’accès à la corruption. Un douanier peut y changer un code manuellement. Ils sont très vulnérables. Nous allons mettre en place un système unique chapeautant tout et à même de verrouiller les voies de la corruption, qu’il s’agisse du Trésor public, des ressources de l’Etat, des embauches, des marchés publics dont le système en ligne est optionnel et que nous allons rendre obligatoire ».
Interrogé sur Nidaa Tounés dont des dirigeants disent qu’ils font l’objet d’une campagne de calomnies dont il serait l’instigateur, Youssef Chahed a nié « catégoriquement » » viser ce parti. « C’est insensé, J’ai de bonnes relations avec tous les élus de Nida Tounès. Certains veulent semer la zizanie et la discorde. Mais je suis à égale distance de tous les partis tels Nida, Ennahdha, Afek ou autres. ».
Il a néanmoins expliqué que le parti fondé par le président Béji Caïd Essebsi (qui) a créé un équilibre profond et profitable à la démocratie dans la vie politique tunisienne a connu beaucoup de crises que nul ne saurait nier. Il connaît une crise de leadership depuis que le président Béji Caïd Essebsi est au palais de Carthage. Il est encore désorganisé structurellement. » Selon lui, « quand Nida Tounès retrouve sa vigueur, c’est une garantie pour la démocratie. Il y va de l’équilibre de notre système politique » .
A la question s’il envisage d’être candidat à la présidence de Nidaa il a répondu par la négative, « non, non, non » a-t-il dit.
« Si les investigations démontrent l’implication de certains députés dans la corruption, les soutiendriez-vous ou bien vous rangeriez-vous du côté de la justice impartiale ? » A cette question, il répond :« La position est claire. Le président de la République lui aussi est très clair à ce propos. Cette politique anticorruption est engagée en commune harmonie avec le président de la République. Ce qui est certain, c’est que toute personne impliquée sera poursuivie. Personne n’interférera dans la justice. Même les ministres éventuellement impliqués devront répondre de leurs actes devant la justice. Si quelqu’un a des preuves contre des ministres, il doit saisir la justice. Il faut éviter aussi de diaboliser tout le monde et de considérer que tous sont corrompus. »
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