Nidhal Chamekh: «De quoi rêvent les martyrs ?»

Nidhal Chamekh: «De quoi rêvent les martyrs ?»

Nidhal Chamekh est le seul homme et le benjamin du groupe d’artistes qui représentera notre pays au Dak’Art. Partageant sa vie entre Tunis et Paris, Nidhal Chamekh n’en est pas moins marqué par ce qui se passe chez nous, avec, peut-être, cette «angoisse» d’être dans le flou, ou de rater quelque chose de prépondérant. Mais le jeune artiste ne veut pas se laisser faire. Et sa force il la puise au fond de son âme tunisienne.

Si tu avais à te présenter, que dirais-tu de toi ?
Artiste plasticien et doctorant en art. J'ai débuté mes études supérieures à l'Institut supérieur des beaux-arts de Tunis. Ma pratique relève essentiellement du dessin et commence depuis peu à intégrer d'autres mediums.  

Dans quelle catégorie d’artistes te situerais-tu ?
Je ne sais pas si l’on peut parler de catégories en ce qui concerne les artistes. Il n'est surtout pas évident d'établir des classifications fixes ou des divisions abstraites. Il y a toujours des angles de vues différents et des points de convergence. Il est clair que je me reconnais dans les créations et les positions d'un nombre d'artistes et d'autres non. Cela dépend de plusieurs facteurs subjectifs, de choix, de positions ou de vécus sociaux. Ce qui est essentiel, c’est que je me reconnais bien parmi plusieurs artistes de ma génération et avec lesquels nous partageons un certain nombre d'idées et de choix.

Tu as été sélectionné pour la Biennale de l’Art Africain contemporain, comment as-tu entendu parler de cette manifestation ?
La Biennale de Dakar est un événement important sur la scène artistique du continent et sur le plan international. Je pense que cela s'est fait en suivant les actualités de la scène artistique et d'artistes dont le travail m'intéresse. Nous avons parlé plusieurs fois de cette rencontre avec un ami et artiste sénégalais, Iba Wane, et j'ai décidé du coup d'envoyer ma candidature.  

Que représente-t-elle pour toi et qu’attends-tu d’elle ?
Surtout de nouvelles rencontres et des discussions avec des artistes sénégalais ou de mon continent, des dialogues sur la pratique artistique et les conditions de l'art et de la culture dans les pays d'Afrique. J'ai rencontré brièvement et récemment Abdelkader Damani, Elise Atangana (les deux commissaires de Dak'Art 2014), Massinissa Salmani et Mohamed Bourouissa (artistes participants). Je suis très content de savoir qu'ils y sont et que nous pourrions continuer les quelques discussions que nous avons entamée sur «le champ» de travail. La Biennale présente aussi un certain nombre de tables rondes et de conférences dont plusieurs m'intéressent. Le manifeste de l'exposition principale, «Produire le commun», est un bel exemple de ce que peuvent attendre les peuples et les artistes de l'art africain à l'époque contemporaine.

Quelles œuvres vas-tu y présenter ?
Une grande partie de la série des dessins «De quoi rêvent les martyrs ?» qui va être agencée par les commissaires avec d'autres œuvres. Je présente aussi «E.P», une installation murale constituée de doigts en résine et de balles, qui figurera avec d'autres œuvres dans une sorte de cabinet de curiosité «anonyme».

Pourquoi celles-là ?
Le choix s'est fait par les commissaires eux-mêmes. C'est certainement en lien avec la thématique globale du Dak'Art 2014 et aussi avec le dossier de candidature de chaque artiste. Je voulais de toute façon montrer ces dessins et tant mieux si le choix a coïncidé avec la demande.

Que représentent-elles pour toi ?
La série des martyrs m'a permis d'opérer un dépassement dans ma pratique du dessin et de revenir aussi sur des expérimentations que j'ai laissées de côté durant un certain temps. Elle est surtout ce qui représente pour moi la période culminante où la Tunisie, puis l'Égypte, le Bahreïn, la Syrie et d'autres pays (la Grèce surtout) vivaient des soulèvements sans précédents, et dans lesquels les ordres établis, politiques, économiques, moraux et culturels sont remis en question.
Ces dessins sont le témoignage le plus proche de ce que j'ai pu vivre et partager, les moments d'une expérience du changement radical, directe ou médiatisée.

Pour en venir à tes œuvres en général, comment les décrirais-tu ?
Je travaille souvent par cycles et rebonds, mes travaux reflètent bien cela, avec toujours des séries, finies ou non, d'autres travaux disparates, parcellaires. Il y a sûrement une harmonie qui traverse le tout, c'est un caractère qui prend place avec le temps. Il y a souvent deux procédures différentes : une qui part d'une idée claire, d'une forme mentalement saisissable et une autre, plus aléatoire, sans intention close ou un «projet» préétabli et dans laquelle les œuvres prennent formes en même temps qu'elles se construisent.

Pourquoi avoir opté pour ce style ?
Je n'ai pas vraiment opté pour un style dans le sens où je n'avais pas le choix entre plusieurs. En fait, je ne sais faire que cela. Mes défauts et mes lacunes dans ce savoir-faire font que ma pratique, comme pour toute autre, ait un style particulier.
Il faut se rendre compte de l'importance critique que peuvent avoir ces perturbations sur le plan d'une pratique. Ces défauts, devenus outils de dépassements, peuvent fonder le savoir-faire sur autre chose que lui-même, révéler les fausses unités en lui et ouvrir le champ d'une pratique vers des univers inconnus.

As-tu une tendance au changement ?
Certainement, mais ce n'est pas toujours évident. Il faut réunir l'ensemble des conditions qui garantissent ce changement. C'est aussi rompre avec une certaine assurance. Je crois que les intentions et les idées ne peuvent pas se former de la même manière ni avec les mêmes outils. La création implique essentiellement de perpétuels changements aussi bien dans les pratiques qu'à l'intérieur d'une même pratique... les variations que font plusieurs artistes historiques en sont le parfait exemple.

Propos recueillis par Charm Ata