10 ème congrès d'Ennahdha: Le grand tournant historique
Considéré naguère comme un parti islamiste affublé de tous les attributs extrémistes et réducteurs, le mouvement Ennahdha ne cesse depuis sa création, il y a plus de 30 ans, de faire sa mue et d'épouser au fil du temps des valeurs sûres de démocratie et d'ouverture.
Depuis ses huit premières années de clandestinité jusqu'à nos jours, force est de reconnaître qu’Ennahdha a gagné progressivement en force et en sympathie. Et ses congrès se suivent mais ne se ressemblent pas. Placé sous le signe du renouveau, de l'innovation et de la réinvention, le 10 ème congrès d'Ennahdha, attendu en grande pompe du 20 au 22 mai 2016, s'annonce sous de très bons auspices.
S'il est quasiment évident que le charismatique chef Rached Ghannouchi est bien parti pour rester aux rênes du mouvement, il y a lieu de mettre en relief les grands réaménagements structurels que le parti s'apprête à lancer.
Contrairement à ce que beaucoup de détracteurs pensent, Ennahdha n'est pas un parti aux réflexes staliniens où le chef décide de tout, mais un parti à la pratique démocratique ancrée où les discussions peuvent souvent prendre des tournures houleuses avant qu'un consensus ne soit trouvé.
Après avoir été reporté à de nombreuses reprises, ce dixième congrès, qui devrait réunir quelque 1200 délégués, plus de 300 observateurs, sans compter plusieurs dizaines d'invités de marque aussi bien tunisiens qu'étrangers, sera sans doute marqué d'une pierre blanche.
Ghannouchi n'avait-il pas annoncé récemment en personne la couleur, en marge de la 46e session du Conseil de la Choura d’Ennahdha à Hammamet. «Nous allons passer à un parti politique dédié à l’action politique, en laissant les activités civiles aux organisations de la société civile», lançait-il avec une certaine assurance.
Renvoyer l'image d'un parti qui bouge
Il est donc clair que le mouvement Ennahdha s’apprête ainsi à s'octroyer un statut de parti civil à travers la séparation du volet politique d’avec l’activité de prédication et de promotion des valeurs religieuses, lesquelles seront désormais du ressort de la société civile. L'objectif est donc de se conformer à la Constitution qui stipule qu’aucun parti ne peut avoir "le monopole de la religion".
Preuve donc, si besoin est, qu'Ennahdha s'apprête à faire peau neuve en épousant l'air du temps. Fini donc le temps où le parti était en confrontation musclée avec l'Etat, fini aussi le temps où les membres étaient traqués de toutes parts.
Au cours de cette grand-messe du mouvement, une kyrielle de motions seront discutées et adoptées. A savoir grosso modo la politique "répressive" du régime de Ben Ali contre les leaders islamistes, les erreurs stratégiques commises lors de la forte participation d'Ennahdha aux législatives du 2 avril 1989, l'évaluation de la période de la troïka et de l’expérience de l’alliance gouvernementale actuelle, la nouvelle lecture basée sur l’exégèse du texte sacré et de la sunna tout en s’ouvrant sur les valeurs universelles en phase avec les dispositions de la Constitution, la nouvelle stratégie de rapprochement avec Nidaa Tounes...
Bref, sans aller jusqu'à devenir un parti laïc ou renier ses valeurs islamiques qui constituent son socle et son identité, Ennahdha veut renvoyer l'image d'un parti qui bouge de l’intérieur. N'a-t-il pas démontré auparavant son esprit démocratique et ouvert quand il était au "pouvoir"? Et ce malgré les coups bas et toutes les campagnes de diabolisation dont il fut l'objet de la part de certains partis lors de la campagne présidentielle. N'a-t-il pas aussi accepté, de façon très diplomatique, sa défaite sans se montrer acariâtre et grincheux?
Au-delà des discussions sur l'ossature du parti, la possible abolition du conseil de la Choura, ses différentes motions, ainsi que ses domaines d'intérêt, et jusqu'au changement du nom du parti, Ennahdha entend délivrer, lors de ce congrès, des messages rassurants et clairs comme l'eau de roche.
Des messages aux 100 mille adhérents et militants de base, au million de personnes qui ont voté Ennahdha, aux femmes, mais aussi aux 2,5 millions de citoyens qui ont voté contre Ennahdha et à l'étranger.
A ses militants Ennahdha essayera de dire lors de ce congrès qu'elle ne laissera pas tomber ses principes. Alors que pour convaincre les femmes et ceux qui ont voté contre, il dira qu'elle n'a jamais essayé de leur imposer quoi que ce soit et qu'elle n'a pas l'intention de le faire en rappelant que la Tunisie n'a jamais connu dans son histoire autant de liberté que lors de son passage au pouvoir.
Tourner la page des conflits inutiles
Ennahdha exhorte donc ses jeunes militants à participer activement et avec responsabilité à la vie politique et économique, et ne pas laisser les adultes décider à leur place. Chez la gent féminine, le parti islamiste entend rassurer et déconstruire en même temps le mythe d'un parti "archaïque" que des mois de campagne et stéréotypes malsains ont permis d'asseoir. Cette fausse image d'un parti qui opprimerait les femmes en leur imposant un mode vestimentaire "halal".
Depuis le printemps arabe, le navire Tunisie, bien qu'arrivé à bon port, n'a pas encore pris le large. Après la réconciliation nationale, la transition démocratique marquée par les élections présidentielle et législatives, la mise en place d'une Constitution moderne et cohérente, l'heure n'est-il pas venu de tourner la page des conflits inutiles et prendre ensemble, la main dans la main, le grand virage? N'est-il pas temps d'embarquer la Tunisie dans un processus de développement juste et équilibré, aussi bien économique, social que politique.
Pour Ennahdha, les choses sont claires. Il faut dissiper les rancœurs et les ressentiments nés de la politique révoltante d'exclusion et de traque de Ben Ali contre les éléments nahdhaouis. Raison pour laquelle d'ailleurs, même quand Ennahdha était aux commandes, il n’avait pas jugé opportun de poursuivre ses anciens bourreaux restés libres comme l'air. Ils sont pourtant connus de tous !
Oumar DIAGANA
Votre commentaire