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Par Mahjoub Lotfi BELHEDI, Spécialiste en réflexion stratégique
S’agit-il d’une « décennie noire », d’une « démocratisation de l'absurde » ou tout simplement d’une « transition démocratique » avec tout son lot d'actif et de passif ? Tant d’interrogations sur le qualificatif politique exact de la phase post-2011 qui ne cessent d’inquiéter tout le monde du chercheur en sciences Po au simple homme de la rue que l'on peut croiser n'importe où …
Pour pouvoir s'en sortir de cette cacophonie sémantique sans issue, une radioscopie par voie d'élimination s'impose.
- Est-ce vraiment une décennie noire ?
Par opposition au lexique réseau-médiatique (association des mots réseaux sociaux et médias classiques), l’expression « décennie noire » n'a pas de place dans les corpus des sciences politiques les plus basiques…
En fait, cette expression traduit une perception simpliste et impressionniste d'une phase cruciale de notre histoire ayant pour unique corollaire la propagation de la confusion sémantique générale au détriment d'un décryptage méthodique approprié du temporel politique …
Par paresse intellectuelle et sous l’emprise de multiples métaphores médiatiques, la rhétorique populiste prospère en postulant que tout peut être réglé par une seule et unique expression magique fourre-tout de type « décennie noire », « printemps arabe » etc.
- Est-ce une démocratisation de l'absurde ?
Nul ne peut contester le caractère absurde de cette période, une absurdité sans équivalent au point que même « les inventeurs de la démocratie » se trouvent impuissants à décoder.
Avec une moyenne pondérée d'un gouvernement/an ou presque, un factoriel de tractations politiciennes occultes et indécentes, finalisée par des séquences de striptease en streaming jouées sous la coupole de l’ARP et un lynchage facebockien de tous contre tous, « la démocratisation de l’absurde » revêt chez nous un caractère « spectaculaire » fortement institutionnalisé bien ancrée dans le sub-conscient collectif !
De point de vue strictement politico-utilitaire, cette expression ne sert à rien sauf à décrire en gros plan journalistique une situation politique hautement critique, une sorte de description sommaire dépourvue de toute qualification politique précise et concise susceptible d’identifier les points de dysfonctionnement du système en place et d'agir par la suite …
Est-ce une transition démocratique ?
Largement inspirée des expériences transitoires de l’Amérique latine et de l'ère post-soviétique (En Europe de l'Est notamment), « l’art de transition » d'un autoritarisme étatique à outrance (c’est le cas de la Tunisie avant le tournant du 14-janvier-2011) à une démocratie consolidée et durable nécessite, au préalable, la préparation d'une série d'ingrédients pour rendre le menu attrayant et le plat principal facile à digérer.
Dans cette perspective gastro-démocratique, aucun projet sociétal clair, réaliste et mesurable n'a été sérieusement présenté aux tunisiens tout au long de cette décennie, sauf quelques idées / projets (entre autres la constitution du 27 janvier 2014) qui ont été rapidement abandonnées faute d'implication politique et d'engagement éthique collectif…
Avec une telle prestation de service médiocre, cette transition s'apparente plus á un passage rapide vers les cieux de la médiocratie !
- Alors où en sommes-nous exactement ?
L'ingéniosité de cette décennie et de ses auteurs consiste à assurer la cohabitation d'une multitude de concepts politiques contradictoires selon la formule suivante :
Bureaucratie (la tyrannie de l'administration) + Technocratie (la tyrannie des experts) + Inaptocratie (la tyrannie des incompétents) = Médiocratie made in Tunisia
Curieusement, cette formule incarne parfaitement les paramètres de « l’arithmétique tyrannique » décrite par l'écrivain britannique « George Orwell » dans son ouvrage « 1984 », selon laquelle : deux plus deux font cinq !
Et le paradoxe « Orwellien » ne fait que commencer !
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