60 ans après, la leçon de Sakiet Sidi Youssef

60 ans après, la leçon de Sakiet Sidi Youssef

Le 8 février 1958, l’aviation française bombarde le village tunisien de Sakiet Sidi Youssef, à la frontière avec l’Algérie. Au-delà des cérémonies culturelles, sportives et des discours politiques, espérons  que cette année sera celle du lancement de vrais projets économiques conjoints  afin d’apporter richesse, emplois et progrès social aux habitants de cette zone frontalière en activant la réalisation des protocoles d’accords déjà établis.

Bombardement de Sakiet Sidi Youssef par l’armée Française

Ce samedi, 10 h 30 du matin, Sakiet Sidi Youssef, une paisible petite bourgade située à la frontière algéro-tunisienne (à 30 Kms du Kef ma ville natale) grouillait de monde, en ce jour de marché hebdomadaire au cours duquel sont distribuées les aides aux réfugiés algériens par le Croissant Rouge Algérien et la Croix Rouge internationale et chacun vaquait à ses occupations.

En espace de quelques minutes, tout bascula dans l’horreur, un vacarme assourdissant, des explosions et des morts. La zone a été mitraillée par une escadrille de chasseurs français  volant en rase-mottes. Par la suite, trois vagues des bombardiers.  L'opération implique 25 avions : onze bombardiers A-26, six chasseurs-bombardiers Corsair et huit chasseurs Mistra.

Le bilan varie entre 72 et 75 morts et 148 blessés. Des corps complètement calcinés, d’autres déchiquetés par les tirs de mitrailleuses. Parmi les bâtiments publics détruits, figurent un poste de la Garde nationale, un poste de la douane, une école primaire, des commerces et des maisons. Le bilan varie entre 72 et 75 morts et 148 blessés, dont une douzaine d'élèves d'une école primaire et des réfugiés algériens regroupés par une mission de la Croix-Rouge.

Cet événement fortement médiatisé  a entrainé une condamnation internationale de la France. La Tunisie porte plainte auprès de l'ONU. Le président tunisien Habib Bourguiba rappelle son ambassadeur à Paris, renvoie les cinq consuls français et dépose une plainte devant l'ONU.

A Paris, les opposants à la guerre d’Algérie à l’Assemblée Nationale censurent et  renversent le 15 avril  le cabinet Gaillard. Ces événements ont contribué à hâter la fin de la IVe République et au retour au pouvoir du général de Gaulle qui  impose, le 17 juin, un accord entre les la Tunisie et la France stipulant l'évacuation de toutes les troupes françaises du territoire tunisien à l'exception de Bizerte.

Les relations commerciales entre les deux pays

Aujourd’hui le peuple tunisien est reconnaissant envers la solidarité de l’Algérie et du peuple algérien en ce moment historique que traverse la Tunisie depuis 2011. Le nombre de touristes algériens a atteint, au cours de l’année 2017, 2.5 millions, un record ! 

En dépit de la communauté de points entre les deux pays, la coopération demeure modeste, représentant seulement 5% du global des échanges tunisiennes mondiales. Il faut savoir que l’Algérie est le premier partenaire arabe et africain et le quatrième mondial, après la France, l’Italie et l’Allemagne. Elle est le 7ème fournisseur de la Tunisie, avec seulement 0.9% du volume des importations tunisiennes.  Par ailleurs, les exportations tunisiennes vers l’Algérie constituent 4% du total exporté par notre pays.

Sur 3000 sociétés étrangères, en majorité européennes, ont pu lancer leur investissement en Tunisie depuis les années 70, la part algérienne se résume, elle, à 56 projets dont  39 en industrie, 13 dans les services, 3 en agriculture et 1 dans le tourisme (statistiques sont fournies par le Forum investissement promotion Agency). En revanche, en Algérie, on compte une trentaine d’entreprises tunisiennes, exerçant majoritairement dans le secteur industriel (automobile, plastique, profilé en aluminium, la construction mécanique, les pièces électroniques, l’habillement, l’agroalimentaire). La moitié d’entre-elles sont en partenariat selon la règle 59/41. Si on y ajoute les entités commerciales, l’implantation tunisienne est évaluée à une centaine d’entreprises.

Ces résultats peu encourageants et l’importance des relations historiques, doivent motiver davantage les deux pays à renforcer leurs relations économiques.

Le Kef une région frontalière marginalisée

A Sakiet Sidi Youssef ce 8 février 1958, les victimes étaient tunisiennes et algériennes. Quoi de plus normal quand on sait que la ville algérienne de Souk Ahras est toute proche. Quand on sait aussi que la Tunisie abritait nombre de réfugiés algériens qui ont fui la sauvagerie des militaires français durant la guerre d’Algérie. Quand on sait que c’est en Tunisie que siégeait le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) et ses bases militaires dans le Nord-Ouest (Kef, Tajerouine, Ghardimaou). Le tout avec grand courage et sacrifices consentis par les Tunisiens.

Ces réfugiés algériens en Tunisie vont stimuler un engagement de la population tunisienne et une grande fraternisation. La qualité de l’accueil, la scolarisation des enfants, le rôle du croissant rouge, l’attention permanente des élites tunisiennes à leurs frères algériens ont fait de cette période une des plus belles pages de l’histoire de la Tunisie. La journée mondiale des réfugiés qui est célébrée par l’ONU a été créée en 1959 pour célébrer entre autre le travail de la Tunisie. 

Par sa  position  stratégique aussi bien  au niveau  National et International,  le  Gouvernorat  du Kef  se  trouve  à  170  Km  de  la  Capitale  avoisinant l’Algérie avec une zone frontalière de 127 kms.  C’est une région dotée d’une réelle richesse agricole, industrielle et culturelle mais qui est aujourd’hui, une région marginalisée au bord du désespoir. Le gouvernorat du Kef n’a pas bénéficié d’une attention particulière depuis l’indépendance du pays, bien que les disparités régionales aient, de tout temps, constitué un souci majeur pour les gouvernements successifs, sans pour autant arriver à mettre en place une véritable stratégie de développement. C’est l’occasion pour corriger cette anomalie permanente par  une vraie coopération entre nos deux pays.

Les populations frontalières attendent la réalisation des promesses

Chaque 8 février, la Tunisie et l'Algérie commémorent conjointement cet événement historique  important qui a cimenté une excellente relation de confiance et de solidarité entre les deux peuples voisins et leurs gouvernements successifs. Lors de ce bombardement s'est mêlé le sang des Tunisiens à celui des Algériens dans leur combat commun. Au-delà des cérémonies culturelles, sportives et des discours politiques, espérons que cette année sera celle du lancement de vrais projets économiques conjoints afin d’apporter richesse, emplois et progrès social aux habitants de cette zone frontalière en  activant la réalisation des protocoles d’accords déjà établis.

La population vivant sur la bande frontalière, qui avait fondé beaucoup d’espoirs dans l’amélioration de leurs conditions de vie est déçue. L’explosion sociale qui a eu lieu courant janvier dernier à Sakiet Sidi Youssef le démontre. Des manifestations ont paralysé la ville et les protestataires ayant fermé toutes les routes menant à la ville, ont appelé à l'emploi et au développement. Plusieurs habitants de Sakiet Sidi Youssef ont bloqué le poste frontalier Tuniso-Algérien, alors que les écoles et plusieurs institutions publiques ont fermé leurs portes. Les activités commerciales ont été perturbées également.

La Wilaya du Kef cherche un programme de développement régional audacieux et durable créateur de stabilité, de richesse et d’emplois des deux côtés de la frontière et dont l’Algérie sera le meilleur partenaire pour le réaliser ensemble et le réussir.

Le gaz naturel pour la région du Kef 

L’une des demandes récurrentes des habitants de la région du Kef est que l’Algérie voisine assure son approvisionnement en gaz naturel en marque de reconnaissance aux grands sacrifices des enfants de la région et au soutien apporté à la lutte de libération du peuple algérien. Cette région connue par  ses hivers rudes et vu la cherté des bouteilles de gaz au commerce  connaitra  un certain confort de vie et des économies financières réalisées par les foyers.

La zone franche  annoncée depuis 2003

Ouverte aux investisseurs algériens tant attendue n’a jamais réellement démarré. Les investissements algériens dans le domaine agroalimentaire sont toujours attendus.  L’exemple  le plus frappant et tant annoncé est la création d’un projet agroalimentaire, à Sakiet Sidi Youssef, capable de fournir plus de mille emplois et qui nécessitera des investissements de plus de 100 millions de dinars consistera en l’emballage et le séchage de lait et la production de viande rouge. Ce projet dont la réalisation était prévue, début 2017, devrait  fournir plus de mille emplois notamment au profit de diplômés du supérieur.  La question que les citoyens se posent y’a-t-il vraiment une politique côté tunisien pour avancer sur ce dossier qui traine depuis 15 ans.

L’amélioration des infrastructures routières et ferroviaires

Entre les régions frontalières joue un rôle essentiel dans le développement économique et  commercial entre les deux des pays et, partant, dans le bien-être de leur population. Pour produire des biens et des services les entreprises dépendent des transports qui leur permettent d'obtenir des matières premières, des pièces détachées  de la main d'œuvre et de l'énergie et de faire parvenir les biens manufacturés, les produits agricoles et les services aux consommateurs locaux et aux marchés  des deux pays.

Une réunion regroupant les walis algériens et tunisiens concernés est souhaitée pour « tracer et adapter une stratégie de développement de la bande frontalière » et faire le point sur les différents projets annoncés antérieurement lors des diverses cérémonies à Sakiet Sidi Youssef.

«Le sort de la Tunisie est lié à celui de l’Algérie» disait le Président Béji Caïd Essebsi.  Il est temps

Ayons toujours en mémoire ce glorieux passé pour construire un bel avenir entre nos deux pays amis et frères au profit de nos deux peuples.

A.K

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