Alaya Allani: "L’Europe est entre le marteau du terrorisme et l’enclume de la Covid-19 "

Alaya Allani: "L’Europe est entre le marteau du terrorisme et l’enclume de la Covid-19 "

Il n'a pas été facile pour les Européens d’accepter les transformations majeures que traverse le monde après la chute de l'Etat islamique et le meurtre de son dirigeant Abu Bakr Al-Baghdadi en 2019. 

Les répercussions de la guerre contre l'Etat islamique continuent à hanter les Européens, dont les pays membres ont connu ces dernières semaines de terribles opérations terroristes et ce, en dépit de la crise du covid-19.

Comment l'Union européenne a-t-elle géré ces évolutions? Est-elle en mesure de neutraliser le phénomène de l'extrémisme violent? Pour répondre à ces questions et débattre de ce sujet, nous avons interviewé Alaya Allani,  historien-chercheur à  l'Université de La Manouba de Tunis:

L'approche sécuritaire européenne résout-elle le problème de l'extrémisme violent?

Le phénomène de l'extrémisme violent est une source de préoccupation pour l'Union européenne, car entre 2015 et 2019, l'Europe a connu plus de 100 opérations terroristes. Au cours de cette période, environ 3 100 personnes ont été arrêtées et le nombre de morts a atteint 370.

Ce bilan a incité l'Union européenne à tirer la sonnette d'alarme, alors que le président français Emanuel Macron évoquait les retombées du séparatisme islamique sur la stabilité sécuritaire de son pays. D'autres Européens ont attiré l'attention sur ce qu'ils appellent le projet d'islamisation de l'Europe par l'islam politique et les courants djihadistes en Europe. De violents courants extrémistes, en particulier Daech ont, à plusieurs reprises poignardé, décapité et écrasé des gens dans de nombreux pays européens. 

Un climat de terreur et de peur a régné dans la société européenne à la suite de ces opérations. Jusqu'à présent, les européens se sont contentés d'adopter l'approche sécuritaire, suite à un échec de certaines expériences de réhabilitation que les centres spéciaux ont élaboré pour prévenir la radicalisation et l'extrémisme violent et par conséquent. L’Europe n’arrive pas à neutraliser le phénomène terroriste.

L’Europe va changer son approche sécuritaire ?

Après les opérations de Dresde à Paris, Nice et Vienne entre octobre et novembre 2020, la politique de lutte contre les  courants extrémistes en Europe a été renforcée par des mesures précises. Plusieurs pays européens ont décidé de ne plus recruter des imams de l'étranger et de recycler les imams actuels en prenant en considération la législation européenne.

D’autres mesures ont été élaborées en matière de surveillance des finances et des programmes de nombreuses associations civiques et écoles installées sur le sol européen. Ces mesures ont été considéré nécessaires pour empêcher l'infiltration des extrémistes dans les espaces des musulmans  européens  (mosquées, associations, écoles, etc.). Mais il faut reconnaitre l’existence d’un certain sentiment ou ressentiment d’islamophobie marqué dans certains  médias qui lie l’Islam au terrorisme, comme si tous les musulmans d'Europe qui ont vécu des décennies de coexistence et de mariages mixtes sont devenus aujourd'hui,  une source de danger pour l'Europe.

Le phénomène de l'islamophobie, qui a été utilisé par l'extrême droite comme un élément important de ses campagnes électorales, est de nouveau revenu à la surface. Mais  n'oublions pas que les musulmans constituent 2% de la population européenne totale (la population de l'Europe en 2020 était de 447 millions, dont 34 millions de musulmans) et la grande majorité d'entre eux ne sont pas d'accord avec les thèses religieuses radicales et l’affirment de plus en plus ouvertement.

Est-ce que les répercussions de la Covid-19 peuvent alimenter la vague d'extrémisme violent en Europe ?

 Il ne fait aucun doute que les répercussions de la Covid-19 seront graves sur l'économie européenne dans les années à venir. Les économistes parlent d'une baisse du produit intérieur brut de 8% et d'une augmentation du taux de chômage à plus de 7,2% en raison du profond changement de la structure de l'économie. Il en résultera un nombre important de personnes marginalisées, en particulier au sein de la communauté musulmane en Europe, dont une petite partie peut recourir au crime organisé ou au crime terroriste. Par conséquent, il serait  essentiel d’aider et  d'encadrer ces groupes fragiles à travers un programme d'intégration sociale et culturelle élaboré par l'Etat et la société civile.

Les musulmans d'Europe sont l'une des composantes de la société. Ils jouent leur rôle dans la construction de l'économie européenne et ils ont leurs contributions dans les domaines de la culture, de la santé, de l'éducation et de la recherche scientifique. Il serait préférable que les investisseurs des pays du Golfe contribuent au financement de projets et de programmes socio- économiques et culturels en Europe destinés au renforcement et á l'intégration de ces groupes vulnérables, et ce, avec le soutien, le parrainage et la supervision des États européens concernés. 

Quant à l'aspect religieux, les érudits religieux éclairés peuvent et doivent contribuer au développement de ce qu'on appelle la jurisprudence des minoritésفقه الأقليات  (connue sous le nom de jurisprudence de la diaspora liée à la minorité islamique dans les sociétés non islamiques) et la tenir à l'écart de l'influence de l'islam politique et des groupes salafistes djihadistes, á l'abri de toute instrumentalisation.

Le musulman européen doit admettre et sentir qu'il fait partie intégrante du système européen basé sur le respect des libertés individuelles et publiques. Il doit également être en première ligne dans la lutte contre toutes formes de radicalisme et d'extrémisme violent. Il doit agir  au service de la religion et de l'humanité.

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