Après le limogeage de Kamel Maddouri : le chef du gouvernement, un poste- clé ou un simple fusible

 Après le limogeage de Kamel Maddouri : le chef du gouvernement,  un poste- clé ou un simple fusible

Ce vendredi à l’aube, Kaïs Saïed a limogé son chef de gouvernement Kamel Maddouri et a nommé la ministre de l’Equipement et de l’Habitat Sarra Zaafrani Zenzri pour lui succéder. La décision a été rendue publique au terme d’une réunion non annoncée du Conseil de sécurité nationale à laquelle Maddouri a pris part, mais il était placé après le président de l’Assemblée des représentants du peuple, ce qui aurait probablement auguré de sa prochaine destitution.

Au cours de la réunion, Saïed a prononcé un long discours, lançant à l’emporte-pièce des accusations, y compris au locataire de la Kasbah, un lieu où se trouveraient des adversaires et des ennemis en rappelant que le chef du gouvernement est un collaborateur du président de la République qu’il assiste dans la fonction exécutive dont il détient seul les pouvoirs.

La nouvelle cheffe du gouvernement est la quatrième à ce poste depuis le 25 juillet 2021, date de la prise de l’entièreté des pouvoirs par Kaïs Saïed avec le gel puis la dissolution du Parlement. Elle est la seconde femme à être promue à cette haute charge après Najla Bouden qui a rempli ces fonctions du 11 octobre 2021 au 1er août 2023.

Quant à Sarra Zaafrani Zenzri, elle est l’une des deux survivantes, avec Leïla Jaffel à la Justice du gouvernement dirigé par Najla Bouden. Toutes deux avaient gardé les mêmes fonctions jusqu’à la promotion de la première nommée au Palais de la Kasbah.

Le locataire de ce lieu qu’il s’appelle Secrétaire d’Etat à la présidence, Premier ministre ou Chef de gouvernement, comme l’a rappelé d’ailleurs le chef de l’Etat lui-même a dans les apparences assumé un rôle-clé dans l’appareil gouvernemental tunisien en étant le second personnage de l’Etat et même le dauphin constitutionnel sous Habib Bourguiba.

Mais en fait le titulaire de cette haute chargé est dans un poste exposé où on lui confie des pouvoirs étendus en tant que chef de l’administration, et celui qui propose les noms aux hautes charges de l’Etat y compris ceux des ministres, mais qui est réduit dans les faits à un collaborateur du chef de l’Etat qui l’assiste dans ses fonctions, sans avoir forcément les coudées franches en matière de choix politiques ou de nominations qui restent du ressort exclusif du président de la République.

D’ailleurs sous Kaïd Saïed, les chefs de gouvernement qui se sont succédé depuis le 25 juillet 2021 n’ont pas eu ou quasiment pas la possibilité de nommer les ministres qui étaient censés faire partie du gouvernement dont ils sont le chef. A part Najla Bouden qui a eu droit à une cérémonie d’installation avec l’ensemble de ses ministres, les autres n’en ont pas eu ce privilège.

Ainsi, a-t-on vu son successeur Ahmed Hachani convoquer les ministres de son gouvernement un à un pour faire connaissance. Quant à Kamel Maddouri, il n’a pas assisté à la cérémonie de prestation de serment de la vingtaine de ministres nommés d’un coup, plusieurs jours après sa nomination. Pourtant le décret de nomination publié au JORT stipule bien que les ministres et secrétaires d’Etat sont nommés sur proposition du chef de gouvernement comme l’exige la Constitution.

En trois ans et demi de pleins pouvoirs, Kaïs Saïed en est donc à son quatrième chef de gouvernement. Il s’agit tour à tour  de Najla Bouden du 11 octobre 2021 au 1er août 2023, de Ahmed Hachani du 1er août 2023 au 7 août 2024, et Kamel Maddouri du 7 août 2024 au 20 mars 2025 et de Sarra Zaafrani depuis cette date.

Cependant, depuis son accession à la magistrature suprême en octobre 2019, ce sont six chefs de gouvernement qui ont été nommés par lui, aux quatre précédemment nommés, il faut ajouter Elyès Fakhfakh de février à septembre 2020, puis Hichem Mechichi de septembre 2020 à juillet 2021.

A titre de comparaison durant  plus de 30 ans de 1956 à 1987, le président Habib Bourguiba a usé cinq locataires du Palais de la Kasbah : Béhi Ladgham en tant que Secrétaire d’Etat à la présidence(et à la Défense nationale), puis de Premier ministre après la création de ce poste en 1969 et ce de 1958 à 1970, ensuite Hédi Nouira de 1970 à 1980 auquel a succédé Mohamed Mzali d’avril 1980 à juillet 1986, puis Rachid Sfar de juillet 1986 à octobre 1987 et enfin Zine El Abidine Ben Ali du 2 octobre 1987 au 7 novembre 1987, date du coup d’Etat médical.

Quant à Ben Ali, il a eu trois Premiers ministres en 23 ans de pouvoir : Hédi Baccouche de novembre 1987 à septembre 1989, Hamed Karoui de septembre 1989 à novembre 1999 et enfin Mohamed Ghannouchi de novembre 1999 jusqu’à la fuite du président déchu en Arabie Saoudite le 14 janvier 2011.

De 2011 à 2019, au cours de la période intérimaire de Foued Mebazaa, sous la Troïka et la présidence Béji Caïd Essebsi, il y a eu sept chefs de gouvernement à savoir Mohamed Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, puis Hamadi Jebali, Ali Lareyedh (d’Ennahdha), Mehdi Jomâa (gouvernement de technocrates) et enfin Habib Essid et Youssef Chahed (présidence BCE).

Si des changements à la tête du gouvernement ont eu lieu en raison de changement de politique comme ce fut le cas au début des années 1970 suite à l’abandon de la politique de collectivisation, ou de changement de majorité en 2014, d’autres ont été opérés pour donner un nouveau souffle à l’exécutif, le chef de gouvernement servant de « fusible » ou de « paratonnerre » au chef de l’Etat. Ceci semble être de plus en plus le cas, surtout qu’aucune raison officielle n’a été mise en avant pour les derniers limogeages.

Un problème émerge néanmoins. La durée des fonctions se réduit comme peau de chagrin. Pour les trois derniers chef chefs de gouvernement, on est passé de 1an 10 mois pour Najla Bouden à tout juste un an pour Ahmed Hachani et 7 mois pour Kamel Maddouri. Qu'en sera-t-il de Sarra Zaafrani?

RBR

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