Atuge: Place de la Tunisie dans les chaînes de valeurs mondiales
Mardi 11 août, l’ATUGE a organisé sa conférence annuelle du Club Finance sur la thématique du « positionnement de la Tunisie dans la nouvelle cartographie des Chaines de Valeur Mondiales ». Il s’agissait d’analyser les pré requis ainsi que les blocages actuels pour que la Tunisie puisse devenir l’un des acteurs incontournables de la relocalisation post COVID, face à la forte concentration asiatique fortement handicapante pour les pays occidentaux pendant la crise.
Il y avait salle comble face à un panel composé par
·Mohamed Nizar Yaiche, Ministre des Finances
·Marouane El Abassi, Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie
.Ferid Belhaj, Vice-Président à la Banque Mondiale
·Mohamed Kallala, Global Head of Investment Banking, NATIXIS
La conférence, animée par Mouna Ben Halima, vice-présidente de l’Atuge, démarre avec une question générale : « Croyez-vous en la relocalisation, ou est-ce des vœux pieux ? Et si oui, quelle place pour la Tunisie dans la déconcentration asiatique à venir ? ». Réponse unanime : la relocalisation s’avère tellement coûteuse qu’elle ne se fera que partiellement, et oui, la Tunisie pourra y trouver une place, à condition de s’y activer immédiatement, moyennant certains prérequis !
M. Yaiche a insisté sur la nécessaire stabilité politique et une focalisation sur les défis économiques et sociaux. Une croissance inclusive supérieure à 4 ?5% est indispensable pour relancer le pays, rééquilibrer les finances publiques et réduire le taux de chômage. Des préalables doivent être mis en place pour saisir les opportunités de la relocalisation : la transformation du port de Radès, devenu LE symbole du ralentissement de notre économie, la modernisation de nos textes (260 autorisations déjà identifiées doivent être supprimées). Il a aussi pointé le potentiel de la synergie avec l’Algérie et la Libye, et la nécessaire harmonisation économique avec nos voisins. M. Yaiche a rappelé les atouts de la Tunisie sur certains secteurs: l’agriculture, la santé, le textile, l’industrie mécanique et aéronautique et, en transversale, l’enseignement supérieur et surtout le digital. Il a aussi souligné l’importance de continuer à investir dans le développement des compétences, clef pour la relance économique et sociale.
M. Abassi a souligné la nécessité pour nos banques d’augmenter leur capitalisation et de s’internationaliser. Il a affirmé que la législation suivrait, lorsqu’il y aura le business adéquat, citant en exemple les pactes d’investissement considérés comme une réussite, notamment celui du textile. Il faudra les démultiplier. M. Abassi est formel : « beaucoup de blocages peuvent être réglés sans légiférer, par de simples circulaires. Il s’agit de bureaucratie. La BCT est ouverte à toute proposition d’amélioration, venez nous voir avec des dossiers concrets ». Il a salué les institutions qui viennent avec des dossiers complets, des études et des propositions, particulièrement l’UGTT en exemple.
M.Belhaj, en visioconférence de Washington, constate que « nous vivons actuellement une accélération de l’Histoire et seuls ceux qui sont déjà prêts pourront en profiter ». Ce qui est en train d’être relocalisé sont les produits sophistiqués, à haute valeur technologique. Le plus gros frein en Tunisie est le port de Radès, construit avec le soutien de la Banque Mondiale en 1964. Il rappelle que 9 des 10 premiers ports mondiaux sont en Asie. Aucune avancée ne sera possible sans solutionner la problématique de la logistique et notamment du port de Radès : l’agrandir ? (grande réserve foncière à proximité), faire un port en eaux profondes à Bizerte ? à Enfidha ? Il est temps de trancher et d’agir. Il souligne également l’inflation législative que nous avons, et la nécessaire modernisation de nos textes.
M. Kallala bouscule un peu l’audience par sa franchise et son ton direct : « Allez chercher des deals à l’étranger, à l’exemple de vos confrères marocains ! ». Il constate que ces initiatives sont quasiment inexistantes en Tunisie, et que notre secteur privé semble se satisfaire de ses acquis, sans ambitionner de s’internationaliser. Les Tunisiens doivent approcher les investisseurs industriels, et non les investisseurs financiers. Il affirme que notre pays est indiscutablement le plus ouvert parmi tous ses concurrents (mentalité, tolérance, maitrise des langues, niveau d’éducation, culture…etc). Il conclut que malgré le grand taux de mortalité des deals, ceux qui réussiront seront des champions régionaux et même africains, et une locomotive pour les autres. Il confirme également que notre handicap est la logistique.
Pendant le débat qui a suivi, les points principaux ayant été soulevés sont :
·Le budget 2020, extrêmement lourd cette année, mais pourra être financé sous conditions
·Les engagements sociaux (caisses sociales et anciens engagements) ne pourront être tenus en 2021 qu’avec une croissance soutenue.
·La relance de l’investissement se fera surtout par le secteur privé. L’investissement public se fera principalement en PPP. Les banques et les acteurs financiers sont outillés pour accompagner ces investissements.
·La baisse de la pression fiscale permettra de soutenir la relance économique et la réduction de l’économie informelle qui est estimée entre 25 et 30% du PIB.
·Accélérer les décashing et l’inclusion sociale via la digitalisation, comme cela a déjà été entamé pendant le confinement.
·La mobilisation des compétences en Tunisie ainsi que la diaspora, dans diverses disciplines, est indispensable pour relever les défis économiques
·Le pays devra se marketer à l’avenir sous l’angle de la RSE. L’une des 67 mesures présentées par le ministère des finances est une défiscalisation des actions considérées comme de la RSE pouvant atteindre 2% du chiffre d’affaire des entreprises.
D’autres questions ont été posées au sujet de l'investissement durable et du partenariat avec les compétences Tunisiennes à l'étranger. L'un des invités a souligné le fait que la Tunisie soit très en retard concernant les sociétés signataires des Principes de l'Investissement Responsable développés par les Nations Unis (UN PRI) : une seule en Tunisie, contre 80 en Afrique du Sud. Concernant l'engagement de la diaspora, sa faiblesse est aujourd’hui constatée et le rôle des associations est potentiellement important pour l'animer et l'augmenter.
La conférence s’est achevée sur une note très positive de M. Yaiche : « la démocratie a un coût, mais je le vois comme un investissement dans l’avenir. La crise passera et notre pays ne s’en sortira que renforcé, avec les efforts de tous ».
Le Conseil d’Administration de l’ATUGE
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