Croissance en trompe-l’œil : pourquoi les Tunisiens ne voient pas leurs revenus augmenter

Croissance en trompe-l’œil : pourquoi les Tunisiens ne voient pas leurs revenus augmenter

Alors que le gouvernement affiche une croissance annuelle de 2,4 %, les ménages continuent de perdre du pouvoir d’achat. L’économiste Larbi Benbouhali démontre que derrière les chiffres officiels se cache une économie en stagnation, un système bancaire paralysé et une explosion de la dette publique. Résultat : les Tunisiens s’appauvrissent, tandis que la Bourse bat des records.*

L’économiste tunisien Larbi Benbouhali, directeur à Investment Banking Australia, met en garde contre l’illusion d’une croissance de 2,4 % annoncée par le gouvernement.
Derrière ce chiffre, l’économie tunisienne est à l’arrêt, avec deux trimestres consécutifs de croissance nulle ou négative. Les données de l’INS confirment même une contraction du PIB nominal, conséquence directe du ralentissement de l'inflation et de l’absence de dynamique économique réelle.

Pourquoi les ménages ne sentent rien ?

Selon Benbouhali, les Tunisiens ne ressentent aucune amélioration de leurs revenus parce que leur pouvoir d’achat s'érode depuis trois ans :

les salaires progressent moins vite que l’inflation (5 %),

le PIB par habitant recule,

le niveau de vie est revenu à celui de 2019,

les ménages ont perdu 20 % de leur pouvoir d’achat depuis 2022.

Le marché du travail suit la même tendance : 3 200 emplois détruits au troisième trimestre, un taux de chômage de 15,4 %, et une explosion du chômage des jeunes à 40,1 %.

L’économie financière s’envole, l’économie réelle s’enfonce

Paradoxalement, la Bourse de Tunis enregistre une performance historique : +30 % en 2025.
Pour Benbouhali, cette divergence crée une économie à deux vitesses, qui accentue la pauvreté.
En un an, le taux de pauvreté est passé de 15,2 % à 16,8 %.

Les banques tournent le dos aux PME

Le secteur bancaire recule pour le troisième trimestre consécutif :

–8,6 % au T1,

–6,8 % au T2,

–11 % au T3.

La Banque centrale confirme que les crédits sont redirigés vers l’État et les entreprises publiques, au détriment des PME. Résultat : plus de 50 000 entreprises ont fait faillite cette année, dont 45 sociétés offshore qui ne génèrent plus de devises.

Des secteurs clés en panne

Plusieurs secteurs stratégiques reculent :

pétrole et gaz : –13,1 %,

textile : –3,8 %,

commerce extérieur : –4,3 %,

raffinage : –2,3 %.

Seule l’agriculture affiche un rebond notable : +11,5 %, suivie de l’industrie manufacturière (+1,6 %).
La consommation intérieure reste forte (+6,7 %), mais elle est essentiellement financée par l’endettement, public comme privé.

Un État qui emprunte mais n’investit pas

Depuis cinq ans, les gouvernements successifs de Kaïs Saïed ont emprunté 67 milliards de dinars, sans lancer de projets structurants.
Aucun nouvel hôpital, aucune nouvelle université, aucun centre de données, aucune infrastructure majeure.

En parallèle, la BCT a injecté 14 milliards de dinars en un an pour soutenir la liquidité. Une manne financière absorbée par les salaires, les subventions et le service de la dette, sans impact sur la croissance réelle.

Des pistes pour sortir de l’impasse

Benbouhali recommande :

des prêts à taux réduit pour les agriculteurs,

un allègement de la dette énergétique de la STEG et d’ETAPE,

une réduction de l’impôt sur les sociétés,

une ouverture des entreprises publiques au marché boursier,

une expansion vers les marchés libyen et algérien pour générer des devises.

Conclusion : une croissance financée à crédit

Pour l’économiste, 80 % des recettes en devises servent à rembourser la dette extérieure.
La croissance actuelle repose à 77 % sur la consommation, elle-même alimentée par l’endettement.

« Une croissance artificielle qui ne crée ni richesse ni emplois, résume-t-il.

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