« Dar,Dar…Bït Bït, Zanga Zanga » !

« Dar,Dar…Bït Bït, Zanga Zanga » !

Ghazi Mabrouk n'y est pas allé de main morte, en ce 14 janvier hautement symbolique. « Nous avons besoin d’un Bourguiba…un vrai ! ». Devant les étudiants de Sciences Po, à la Conférence « Penser la Révolution tunisienne » ce matin à Tunis, il n'a pas non plus pris de gants pour interpeller les dirigeants européens, en déclarant : « L’Europe doit savoir que le Maghreb n’a pas vocation à installer une « Jungle de Calais » sur nos rivages, ni à se voir submergé par le flux déstabilisant des refoulements ». Étaient présentes plusieurs personnalités, parmi lesquelles Marek Halter, Jean-Pierre Sueur, Taïeb Baccouche et Hamadi Jebali. Une allocution où...la langue de bois diplomatique est visiblement restée au vestiaire, et dont voici la teneur :

 

 « Jeunesse de ce pays,

Permettez tout d’abord une pensée particulière et compassée pour les jeunes de Tunisie, qui ont été - et sont toujours - l’incarnation avec tant de constance et de détermination, de ce que l’on a appelé « la Révolution populaire tunisienne ». Ils auraient tant souhaité façonner leur futur, dans un Etat à la hauteur de leurs espérances.

A l’exception de militants courageux notoirement connus - qui ont été réprimés et broyés par le despotisme et la tyrannie - de grandes franges de notre génération s’étaient couchées, durant les vingt années passées, devant les brimades de la « brute du quartier ».

L’écume de nos cheveux blancs doit donc se faire humble, devant l’ampleur du tsunami de la jeunesse partisane.

La Révolution tunisienne (continuons malgré tout à l'appeler comme ça) a aujourd’hui six ans et toutes ses dents sont déjà sorties ! Ceux qui se déclarent l’incarner, vont devoir concrétiser dans les actes, les attentes de ceux qui ont véritablement fait la révolution sur le terrain et qui s’interrogent. Serait-elle restée inachevée ? Serait-ce une Révolution sans jasmin pour vous, les jeunes ?

Vous, qui avez été baptisés de l’aphorisme « Génération Jasmin » et qui devenez à votre tour - aujourd’hui – les symboles de la souveraineté, qui doit appartenir à l’ensemble des tunisiens.

Vous, qui devenez à votre tour - aujourd’hui – les tenants du forum commun maghrébin, où seront libres de s’exprimer les opinions les plus diverses.

Porteurs de la magie qui va devoir impérativement opérer, vous avez la charge de le faire… « Dar dar… Bït bït… Zanga zanga ! »,comme disait un autre dictateur de triste mémoire.

Le sentiment d'un risque de confiscation de la Révolution par des forces obscurantistes est vivace. Les coups de boutoirs des jeunes des régions et des « damnés de la terre » sont de plus en plus nombreux et virulents…au risque d’accompagner une segmentation du pouvoir.

Le motif de cette résistance c’est l’indignation de la jeune génération, qui s’est engagée dans le sillage de la responsabilité. Celui de la personne humaine, désormais collective, afin de ne pas laisser tuer l'espoir, de manière pernicieuse !

Il faut réinjecter de la démocratie à tous les échelons de la société. Tout comme la Carte d’identité est obligatoire, la Carte d’électeur et le vote doivent devenir obligatoire.

Après les pères combattants de l’indépendance, les jeunes sont devenus à leur tour - aujourd’hui – les étendards d’une souveraineté qui doit appartenir à l’ensemble des maghrébins. Ils ont hissé à bout de bras les symboles de la démocratie vivante et ceux des lois partagées, au cri du cœur : « Vivre Libre ! ». Mais méfions-nous de « l’enthousiasme mortel » qu’évoquait déjà Frantz Fanon !

Car, comment penser et définir les contours des liens de l’Europe avec le Maghreb, sans repenser ici la révolution dont la Tunisie maghrébine a été le berceau ?

Du haut de son beffroi - et parfois avec effroi - l’Europe observe le Maghreb. En sachant pourtant qu’elle n’est pas elle-même étrangère à la dislocation programmée d’une de ses composantes…qu’est la Libye.

Dans ce contexte, comment la politique étrangère de l’Europe en direction de son voisin du sud pourrait-elle rester imperméable aux mutations dont est désormais porteur le Grand Maghreb ? Et comment l’image - de ce Maghreb là - se reflète-t-elle au travers du prisme de l’absence de politique étrangère, encore si peu harmonisée entre l’Europe et le Maghreb ? Un prisme qui se heurte fatalement à la multiplicité de ses facettes !

Autant de facettes qui ne peuvent pas faire l’objet ici, au cours de cette cérémonie d’ouverture, d’un inventaire probablement rébarbatif.

Comme par exemple, la politique européenne de l’Algérie, les accords du Maroc avec l’Europe, ou aujourd’hui, la réforme de l’accord d’association avec la Tunisie, qui prendra fin ce 22 février 2017.

Quelle perception et quelle vision l’Europe a-t-elle du Maghreb et est-elle aussi  dyadique qu’on le présente ? En tout cas, ce qui peut d’ores et déjà être dit, c’est que l’Europe est en demande d’un Maghreb Uni et que ceci passe inévitablement par la pierre angulaire des égards, des uns pour les autres, et même par la déférence. 

Il ne faut pas oublier que la première étape de la relation entre l’Europe et le Maghreb a été celle de l’Indépendance et de l’ouverture à ce que l’on appelait alors « le Monde Libre », par opposition au bloc communiste.

Sans aucun complexe, plusieurs dirigeants historiques s’étaient tournés vers l’espace qu’ils considéraient comme le plus à même de servir les intérêts de leur pays et ceux du Maghreb. Ils avaient été les premiers à comprendre que le Maghreb doit « se placer » en contigüité avec l’Europe. Ils avaient alors développé une véritable mutation avant l’heure.

Les Pères des indépendances ont ainsi su imposer l’image du Maghreb, solidaires dans le combat pour l’indépendance et lui permettre de passer de l'ombre à la lumière. Qui ne se souvient du panache de la remontée triomphale de l’avenue Broadway à Manhattan en mai 1961 – cinq années seulement après l’Indépendance. Celle d’Habib Bourguiba - Doyen des leaders nationalistes du Maghreb - saluant debout la foule des américains, massée de chaque côté du parcours. En hommage à un si petit pays du Maghreb, devenu si grand de par sa politique étrangère, alors que l’on confondait encore Tunisie et Tasmanie. N’était-ce pas là une image singulière de notre Maghreb, portée par celui qui appartenait à la race des seigneurs, et qui en fait encore pâlir plus d’un aujourd’hui…56 ans après ?

Le Grand Maghreb aurait besoin aujourd’hui d’un Bourguiba…un vrai ! De leaders, Hommes d’Etat visionnaires et volontaires. Nous en sommes, malheureusement, bien loin !

Pourtant cette image du Maghreb mériterait de reprendre forme en Europe. Ce Maghreb qui avait longtemps été symbolisé par la présence glorifiante de grands militants, à la tête de nombreuses organisations internationales prestigieuses, tels que Mongi Slim à la Présidence de l’Assemblée Générale des  Nations Unies en 1961, Bahi Ladgham à la Présidence de la Mission de cessez-le feu Palestine en 1970, Habib Chatty à la Présidence de l’Organisation de la Conférence Islamique en 1979, Chédly Klibi au Secrétariat Général de la Ligue Arabe, Chédly Ayari à la Présidence de la Banque Arabe de Développement de l’Afrique…et tant d’autres encore. Relayés aujourd’hui par Taïeb Baccouche à l’UMA.

Désormais c’est une seconde étape entre l’Europe et le Maghreb qui s’amorce. Par exemple avec la Tunisie, où l’Europe est en train de tenter de dépasser, la période passée. Celle qui a suivi en 1987 le Coup d’Etat pseudo-spartakiste d’un obscur troufion galonné, qui a laissé des traces tragiques de ce qu’il estimait comme son« droit de cuissage » sur la région. Une étape qui aura pollué le paysage euromaghrébin de manière durable.

Le tic-tac était alors déjà réglé à l'avance, en matière de politique étrangère entre l’Europe et le Maghreb, de manière apocryphe. Une politique qui était malheureusement façonnée pour le compte et à la mesure de certains courants politiques, qui se sont avérés loin d’être ceux d’Hommes d’Etat d’envergure et que la jeunesse maghrébine veut éjecter…pour ne pas dire « déjecter ». La politique étrangère intermaghrébine et euromaghrébine était à la mesure de l’incarnation des pouvoirs instaurés au Maghreb durant le quart de siècle précédent. Elle était plate, sans odeur et sans saveur, sans relief ni prise de position saillante. Ni au sein de l’OUA, où le Maghreb avait brillé par sa carence. Ni au sein de l’UMA depuis bientôt 30 ans, où les pays membres avaient montré de grandes déficiences. N’oublions pas que le 17 février prochain correspondra au 28ème anniversaire de la création de l’UMA, obstinément privé de grandes célébrations de la part des Etats membres.

Votre étape à vous, jeunes du Maghreb, devra être celle de la relève des bâtisseurs de l’indépendance et de la modernité. Celle des victoires et des combats, tels qu’ils ont été portés tout au long de l’Histoire millénaire du Maghreb, sur les plages euromaghrébines de cette Mare Nostrum qui nous est si chère !

Une Mare Nostrum, dont les eaux submergent en ce moment nos enfants qui vont s’y jeter par flots entiers, sous la poussée du désespoir et sous l’effet attractif d’une Europe qui se raidit.

L’Europe doit savoir que le Maghreb n’a pas vocation à installer une « Jungle de Calais » sur nos rivages, ni à se voir submergé par le flux déstabilisant des refoulements. Au lieu de façonner l’avenir commun décrispé, que les institutions européennes affichent pourtant  officiellement ostensiblement.

C’est cela aussi, la douloureuse réalité actuelle de « l’Euro-Maghreb », vue de l’autre côté de la Méditerranée !

A la lumière de son présent, l’image en Europe du Grand Maghreb nouveau, a besoin de repères et de références internationales retrouvées. Plus que jamais le Maghreb doit projeter vers l’Europe la réhabilitation de son Histoire républicaine. Celle de la glorieuse épopée de la lutte pour l’Indépendance. Celle des résistants valeureux aux despotismes. Celle des martyrs de la liberté. Celle des « Combattant Suprême ».

Car si nos gouvernants actuels veulent percevoir la véritable image que reflète actuellement le Maghreb en Europe : il suffirait qu'ils se regardent eux-mêmes dans leur propre miroir...…à moins, qu'il ne s'agisse d'un miroir sans tain ! »

 

14 janvier 2017
Ghazi MABROUK
Eurolobbyiste
Conseiller Spécial de l’Observatoire Européen du Maghreb
Vice-président de l’Alliance Economique Européenne
Docteur en Sciences Politiques de l’Université de Paris

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