De la promotion des cantines à la promotion de l’export
L’autre jour, j’apprenais sur un site d’information à Internet (1), que Mme Aziza Htira, nouvelle PDG du CEPEX s’adonnait à une expérience sur les cantines scolaires au niveau régional. J’apprenais par la même occasion qu’elle mobiliserait éventuellement pour cela une agence onusienne à savoir le Programme Alimentaire Mondial (PAM).
J’avoue que cette nouvelle m’a grandement surpris. Etant moi-même un ancien cadre du CEPEX, j’ai vu passer à la tête de cet Etablissement Public étatique pas moins de neuf présidents directeurs généraux et directeurs généraux (2), et jamais je n’ai eu à savoir que le premier responsable du Centre s’adonnait durant l’exercice de ses fonctions à une autre activité que celle de la promotion des exportations (3).
La raison est bien simple : Le CEPEX était tout le temps sous la demande pressante de prestations de la part des opérateurs économiques privés du commerce extérieurs constitués pour la plupart sous forme de PME.
Certes, le Centre a connu avec les années une expansion compte tenu du besoin ressenti par les Pouvoirs Publics de mieux se déployer à l’international. Le résultat en a été notamment la création de la Maison de l’Exportateur regroupant sur son site outre le CEPEX, d’autres intervenants publics ou d’autres bureaux de corporations, chargés de fournir un appui logistique ou financier aux exportateurs.
Parfois cependant, la Maison de l’Exportateur a dévié de son rôle premier qui est de fédérer et d’agréger un climat des affaires plus favorable à nos opérateurs.
C’est ainsi que cette bâtisse monumentale, construite à coup de dizaines de milliards de dinars, a eu malencontreusement à accueillir des kermesses et des festivités n’ayant rien à voir avec l’export.
En fait le PDG ou le DG du CEPEX n’étaient pas alors seuls à la barre de navigation. Des instructions tombaient comme une épée de Damoclès –en contradiction avec l’autonomie complète de gestion de cet établissement soumis uniquement à un pouvoir de tutelle et non à un pouvoir hiérarchique- sur la tête du Ministre du Commerce qui répercutait « l’ordre » comme une fatalité induite par le destin sur celle du PDG.
L’instruction provenait en général de la part des « ruches » de conseillers qui entouraient le Président de la République au Palais de Carthage et qui lassés de se tourner les pousses tout au long de la journée cherchaient des idées « géniales » pour plaire au maître de céans.
Maintenant, la révolution est arrivée et on espérait que toutes ces gesticulations donquichottesques allaient finir. Et voilà qu’on entend dire que la nouvelle PDG s’adonne à des activités qui peut-être dans le passé sonnaient comme de languissants souvenirs des jours heureux mais dont on doit faire aujourd’hui bel et bien un deuil définitif.
Je ne doute pas par ailleurs que Mme Htira essaye de bien faire mais il semble qu’elle se soit laissé entraîner vers une voie infructueuse.
Le CEPEX, à cette étape de son existence devra à mon avis affronter des défis autrement plus redoutables.
Parmi ces derniers, je classe l’octroi à l’exportateur le bénéfice d’un mécanisme d’obtention d’une information commerciale plus précise et plus fiable via un système approprié. Je pense en particulier à celui de la diffusion périodique des statistiques régionales du commerce extérieur.
Actuellement, au point de vue constitutionnel on tend à démocratiser le processus de décision dans les régions et on ne saurait pour cela trouver une voie plus opportune que celle de la mise en place d’une démocratisation de l’accès à l’information économique et commerciale en dégageant en particulier le potentiel des régions à l’exportation.
Jusqu’ici la stratégie adoptée par l’Etat était surtout la concentration sur la recherche d’octroi d’emplois au sein des entreprises tournées à l’export qui sont pour une grande part non résidentes (off shore).
Ce choix entraîne l’absence d’une homogénéité au niveau de la sélection du site où l’entreprise s’implante et génère une décision hasardeuse et indifférenciée ne tenant pas compte des ressources spécifiques de la région autres que celles de la main d’œuvre.
Par conséquent l’élaboration de statistiques régionales du commerce extérieur et la démocratisation de leur exploitation permet de donner aux nouveaux créateurs de projets exportateurs qu’ils soient sous forme de sociétés industrielles ou commerciales d’obtenir un nouvel éclairage au niveau des moyens de gain de compétitivité à partir d’une diversité plus riche de facteurs de production et de commercialisation dégagée au plan régional.
Pour cela les services Centre du Commerce International de Genève (4) seraient d’un apport considérable à notre tissu économique. Nous savons en effet que l’un des objectifs majeurs du CCI est de rechercher par tous les moyens à donner une assistance aux pays en voie de développement.
C’est ainsi qu’il met actuellement à la disposition des opérateurs de ces derniers un logiciel gratuit sur Internet pour l’évaluation du potentiel mondial des produits correspondants à leur offre y compris en leur fournissant des informations sur les partenaires potentiels et les droits de douane que les acheteurs de leurs produits acquitteront (trademap.org , macmap.org, etc..).
Dans ce cadre il existe des options de recherche et d’investigation très intéressantes s’appliquant non seulement au domaine des biens mais s’étendant également à celui des services. De ce fait le CEPEX pourrait recourir aux services du CCI (ou ITC en anglais) pour solliciter son assistance en matière de création de bases de données informatisées dans le secteur de l’exportation au niveau régional de biens et services en impliquant dans ce partenariat l’institut national de la statistique et la douane.
Jusqu’à présent la Tunisie a pu constituer un guide pour les pays de l’Afrique subsaharienne au niveau de la modélisation de la gestion des structures d’encadrement du commerce extérieur et de l’investissement dont dans le domaine des établissements statistiques, conduisant à une modernisation de la gestion des bases existantes. Cette assistance aux pays africains était originale dans la mesure où le transfert du modèle était bien dimensionné. Ainsi les pays africains ne pouvaient recourir à un transfert de modèles de pays du Nord éloignés de leur culture et très décalés par rapport à leur stade de développement.
Cette contribution a pu être considérée par ailleurs comme une exportation de services rémunérés fournie par nos agents publics ou semi-publics et étendue à d’autres secteurs comme l’électricité pour la STEG et l’eau pour la SONEDE et d’autres.
Le CEPEX est –il faut le rappeler- un organisme public créé avec le concours agissant du CCI (décret de 1973). Des experts du CCI ont en effet permis par leur assistance à ce centre d’exister et d’encadrer à son tour les secteurs exportateurs manufacturier et commercial tunisiens.
Il est de ce fait temps de passer à une autre phase de l’assistance du CCI (ce qui n’exclut pas le recours à d’autres formes d’exportation de technologie des pays du Nord), celle en matière de ses services au niveau régional (5) et notamment au niveau de l’affinement des statistiques du commerce extérieur au niveau régional.
Cette forme de collaboration nous rapproche davantage des projets structurels porteurs susceptibles de faire acquérir au CEPEX un nouveau pallier qualitatif des services qu’il offre aux opérateurs et qui permet en plus d’avancer avec davantage de succès dans la coopération décentralisée et par là même dans le renforcement de l’autonomie des régions.
Un dernier point que je voulais signaler : les journées portes ouvertes du CEPEX réunissant récemment les Représentations Economiques du Centre à l’étranger à nos opérateurs économiques.
Il est à cet égard très important de faire remarquer dans ce contexte que le nombre important d’entreprises tunisiennes agissant dans le domaine du commerce extérieur (import-export) a peu de signification s’il concerne des unités peu structurées. C’est pourquoi il s’agit d’effectuer un suivi rigoureux pour mieux identifier la composition intrinsèque des entreprises concernées qui ont sollicité une assistance ou demandé des informations à nos représentations dans ce cadre.
En effet, si nous jetons un œil à la base de données informatisée des entreprises exportatrices tunisiennes actualisée à la présente date, nous constatons que le nombre qui y figure ne correspond à l’activité effective de ces dernières.
Ce sont pour la plupart des entreprises personnes physiques, possédant une activité occasionnelle, ou sont des entreprises personnes morales à faible capital et peu structurées et qui ne répondent pas aux critères et aux paramètres leur permettant d’attaquer le marché international.
Un travail d’épuration et de tri de cette base pour dégager les entreprises réellement performantes est par conséquent nécessaire.
Une fois ce travail effectué, ladite base « cosmétisée » et passée au peigne fin peut être fournie au CCI avec tous les renseignements nécessaires pour être incorporée comme un nouveau critère de recherches de la base de la CCI (6) et permettre ainsi de mieux faire connaître nos entreprises exportatrices et de leur trouver des partenaires sur une base plus scientifique et plus rationnelle.
Voici donc à mon avis un travail plus intéressant que celui de s’occuper des cantines scolaires, occupation qui a sans doute une portée sociale mais il relève à d’autres qui ont plus de temps libre de s’en charger surtout en ce moment.
Par Hatem Karoui,
(Conseiller en exportation)
(1) www.webmanager.com/magasine/restauration-aziza-htira-reve-de-cantines (6 août 2015)
(2) MM. Néjib Ben Miled, Hassine Bouzid, Kamel Belkahia, Habib Daldoul, Hamdane Ben Othman, Hédi Ben Romdhane, Férid Tounsi, Youssef Néji, Abdellatif Hammam.
(3) Sauf pour Néjib Ben Miled et Kamel Belkahia qui montaient en parallèle de nouveaux projets semi étatiques, à savoir la société Foire Internationale de Tunis et la société Zone Franche de Bizerte, projets étroitement liés à la promotion des investissements et de l’exportation.
(4) Voir : marketanalysis@intracen.org
(5) Le CEPEX dispose de bureaux régionaux à Sousse et à Sfax mais non équipés pour agir de manière autonome.
(6) Naturellement, le chiffre d’affaires pourrait ne pas être divulgué et rester confidentiel. Par ailleurs le CCI fait figurer dans la base des entreprises qu’il utilise actuellement celle figurant dans les bases privées comme le COMPASS qui appelle le consentement des entreprises à y être portées. Ce qui suppose une consultation préalable de nos entreprises exportatrices pour cette opération.