Dr Chokri Jeribi: "Il est de notre devoir de contribuer à la production de données utiles au pays"
Honoris United Universities et Eshmoun Clinical Research, engagés chacun dans les domaines de l’éducation, de la formation et de la recherche de pointe dans la santé en Tunisie, se sont associés à Emrohd Consulting, pour sonder les Tunisiens sur diverses questions d’actualité relatives au covid-19 et réalisé une enquête intitulée “Les Tunisiens, le Covid-19 et l’intention de se faire vacciner".
A l’occasion de la sortie des résultats de cette enquête, Chokri Jeribi, directeur de l’entreprise Eshmoun, du nom du dieu punique de la guérison, spécialisée dans la recherche en santé et Président de la chambre nationale des entreprises de recherche en santé, a bien voulu répondre aux questions d’Espace Manager :
Espace manager: Pourquoi une étude sur le Vaccin anti COVID et surCOVID-19 en Tunisie en ce moment ?
ChokriJeribi: En Tunisie, l’épidémie COVID19, dans sa deuxième vague est très intense, elle est d’ampleur exceptionnelle. La situation est loin d’être maitrisée. En l’absence de traitement curatif contre cette maladie, les pays se dirigent vers le traitement préventif, le vaccin anti COVID a été développé en un temps record. Il s’agit d’une performance historique dans le domaine de la recherche clinique.
Le vaccin a été développé et mis sur le marché en moins de 10 mois.Habituellement un tel développement nécessite entre 6 et 10 ans.
Au moment où notre pays s’est engagé dans la course à l’approvisionnement en vaccins, les Tunisiens s’impatientent de voir le vaccin arrivé dans leur pays.
Paradoxalement, à juste titre, et sous l’effet de « fake news » notamment dans les réseaux sociaux, ils se posent beaucoup de questions par rapport à l’inocuité de ces vaccins, d’autant plus que beaucoup de ces vaccins anti Covid-19 ont utilisé de nouvelles techniques.
Ainsi, une étude scientifique rigoureuse évaluant la confiance des Tunisiens par rapport aux vaccins proposés ainsi qu’une évaluation de leur degré de connaissances et de sensibilisation sur les vaccins et sur COVID s’est imposée. De par notre position d’entreprise actrice dans le domaine de la santé, il est de notre devoir de contribuer à la production de connaissances et de données, utiles pour notre pays, encore plus en période de crise.
Cette étude est de nature à mettre en exergue d’une part les seuils de consentement à la vaccination et d’autre part les facteurs de défiance ressentis au sein de la population.
L’impact des résultats d’une telle étude est considérable sur la stratégie de sensibilisation de la population et sur l’approche à mettre en place dans la stratégie de vaccination.
Pourquoi ce rapprochement entre Eshmoun et l’université Honoris United Universities ?
Eshmoun est une entreprise tunisienne spécialisée dans la recherche en santé. Elle est engagée dans un objectif de transformer notre pays de consommateur de données en santé à pays producteur de données en santé. Ceci ne peut être atteint sans un développement et disposition de ressources humaines qualifiées dans les métiers liés à la recherche en santé et en particulier dans la recherche clinique.
L’université Honoris United universities, un leader dans l’éducation et la formation en Tunisie et en Afrique investit beaucoup dans la formation en santé.
C’est dans ce cadre que Honoris United universities et Eshmoun Clinal reasearch, deux partenaires académiques très actifs dans le domaine de l’éducation dans la santé et la recherche clinique, se sont associés depuis quelques années.
Des programmes de formation, entre autres, ont été développés. Fruit de ce partenariat, deux promotions ont été déjà formées dans le domaine de la recherche clinique.
Quand nous avons pensé à la réalisation de cette étude, naturellement, nous l’avons proposée à nos partenaires d’Honoris qui n’ont pas hésité à adhérer à l’idée et au projet.
Dans un souci de rigueur scientifique, nous avons confié la réalisation de l’étude sur le terrain à une entreprise expérimentée spécialisée dans le domaine des sondages d’opinion, Emrhod Consulting, en l’occurrence.
Quelle méthodologie a été adoptée dans cette étude ?
Notre expertise et expérience dans le domaine des études observationnelles de recherche, l’expérience dans les approches pédagogiques d’Honoris united universities et l’expérience et la disponibilité d’une base de données représentatives fiable au niveau d’Emrhod Consulting ont permis d’opter pour une méthodologie rigoureuse.
Ainsi, nous nous sommes basés dans notre étude sur un questionnaire destiné à deux types d’échantillons, un premier échantillon national représentatif de la population tunisienne des 24 Gouvernorats et un deuxième auprès notamment d’un échantillon d’agents exposés, composé par le corps médical et paramédical ainsi que par des métiers de premiers plans, en contact direct avec les citoyens.
Le choix du deuxième échantillon a été dicté principalement par le fait que cette catégorie fait partie des populations prioritaires retenues par le ministère de la Santé pour être vaccinées. Une comparaison et analyses comparatives des résultats dans les deux échantillons ont été entreprises.
Quelles sont les principaux résultats de cette étude ?
Chokri Jeribi: Près de 46 % des Tunisiens déclarent que si le vaccin était disponible, ils ne se feraient pas vacciner. A l’inverse, plus de 41% des Tunisiens déclarent qu’ils se feraient vacciner. Près de 13% des Tunisiens sont hésitants et ne le savent pas encore.
Au niveau des cibles exposées, près de 50 % déclarent qu’ils se feraient vacciner, en particulier le corps médical qui accepte de se faire vacciner dans une proportion de 65%.
Le motif de refus de se faire vacciner aussi bien au niveau de la population générale qu’au niveau de la population des sujets exposés est lié, dans 57% des cas, à la peur de potentiels effets indésirables causés par les vaccins.
Par rapport aux pays d’origine des vaccins, l’échantillon représentatif de la population générale montre que les Tunisiens, dans 53% des ca,s ne lient pas d’importance au pays de provenance du vaccin dans leur décision ; contre seulement 29% qui y attachent de l’importance.
A l’inverse, au sein des populations exposées, 41% déclarent donner de l’importance au pays de provenance des vaccins. En particulier au niveau des médecins où 57% ont déclaré que le pays d’origine des vaccins peut influencer leur décision de se faire vacciner ou pas.
Au niveau information et au niveau de connaissances des Tunisiens par rapport aux vaccins, seulement 2.4 % des Tunisiens ont une idée précise sur l’état d’avancement de la recherche sur les vaccins anti COVID.
Ce taux est de 18% chez la population exposée. Il en est de même pour ce qui est des connaissances des Tunisiens au niveau de la composition des vaccins où seulement 1.9 % en ont une idée.
60% de la population estime que la communication destinée au grand public n’est pas suffisante, un avis partagé aussi bien par les médecins que par le reste de la population interviewée.
Interrogés sur leur consentement de participer volontairement à des essais cliniques sur les vaccins contre COVID-19, les Tunisiens sont d’accord avec un taux de 35%. Ce taux est de 50% chez le personnel médical.
Par rapport à l’évolution de la pandémie en Tunisie avec l’arrivée du vaccin, plus de 43% de l’échantillon représentatif de la population générale Tunisienne pense que le COVID- 19 va disparaitre.
A l’inverse, au niveau du corps médical, 57% pense qu’il va plutôt diminuer et à un degré beaucoup moindre que pour la population générale,il disparaitra avec un taux de 25.5 %.
Dans un autre volet, lié au COVID-19, 11 % des Tunisiens déclarent avoir effectué un test COVID-19. Ce taux est plus important chez les sujets exposés (22%), en particulier au niveau de la population médicale où ce taux a atteint 40%.
Le taux de positivité parmi les sujets testés aussi bien au niveau de la population générale qu’au niveau de la population exposée est de l’ordre de 31%. Ce taux est beaucoup plus important (46%) chez les sujets exposés hors personnel médical et paramédical.
Comment comptez-vous optimiser et exploiter les résultats de cette étude ?
Quand on a pensé réaliser, cette étude, c’est justement pour pouvoir l’exploiter afin de contribuer à optimiser et apporter notre modeste valeur ajoutée pour la réussite de la stratégie de vaccination mise en place.
Ainsi, nous avons déjà transmis tous les résultats de l’étude au Ministère de la Santé et aux autres structures concernées.
Quelles sont vos principales recommandations suite aux résultats de cette étude ?
Chokri Jeribi : Il est urgent et impératif d’établir et de procéder à un plan de sensibilisation aussi bien au niveau de la population générale qu’au niveau des populations exposées à travers un plan de communication adapté aux deux catégories.
L’accent doit être mis sur la bonne tolérance des vaccins en s’appuyant sur le nombre très important de personnes déjà vaccinées dans le monde, plus de 100 millions ont été déjà vaccinées, que sur les résultats des études cliniques liées à la tolérance des vaccins.
Un message bien étudié, vulgarisé, compréhensible et accessible à toutes les catégories de la population, devrait être véhiculé. Des témoignages et engagements de personnes connues et crédibles, en faveur de la vaccination doivent être médiatisés ainsi que l’usage de moyens et outils de communication, adaptés et simples aideraient à convaincre les citoyens à adhérer à la vaccination.
Dans le même cadre, afin de rassurer les citoyens sur le respect des conditions de la chaine de froid et de distribution,au moment de la campagne, il serait utile de procéder à des reportages de terrain montrant la disponibilité de tous les moyens requis pour assurer le respect de cette chaine de froid.
Etant donné que le citoyen adhère plus facilement à la vaccination quand il comprendra mieux le vaccin utilisé, nous proposons de procéder à la mise en place d’un plan de communication relatif aux vaccins, à leur composition,à leur respect des étapes requises dans le développement ainsi qu’à leur mécanisme d’action. Un message utilisant des supports simples tels que des bandes dessinées par exemple, des spots attractifs et compréhensibles, loin du langage technique, incompréhensible par des non-initiés.
Une attention doit être réservée à l’implication de la Tunisie aux études de recherche clinique internationale, à travers un plan d’action étudié et élaboré avec la chambre nationale des entreprises de recherche en santé opérants en Tunisie (CRO). D’autant plus que 35% des Tunisiens ont manifesté leur accord à participer volontairement aux essais cliniques.
Dans l’attente de l’arrivée des vaccins, que recommandez-vous ?
Tout d’abord, au niveau de l’Etat, tout doit être mis en œuvre pour accélérer l’arrivée des vaccins et le respect des dates déjà avancées.
Au niveau de la population, tout citoyen doit être conscient qu’il existe « un vaccin » disponible à son niveau actuellement, celui des mesures barrières. Si elles sont respectées, elles permettront une réduction significative du taux de contamination et de décès dans notre pays et nous permettront de sortir de cette crise beaucoup plus rapidement.
Propos recueillis par N.B.M.
Votre commentaire