Elections en Turquie : Erdogan n’est plus sûr d’être réélu et son parti, l’AKP arriver en tête
Quelque 56,3 millions d'électeurs turcs sont appelés dimanche aux urnes. Ils voteront à la fois pour les législatives -à un seul tour- et pour le premier tour de la présidentielle. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a bousculé le calendrier politique en annonçant en avril dernier que les élections prévues initialement en novembre 2019 seraient avancées d'un an et demi, certainement motivé par la crainte d'une crise économique qui pointe avec une chute vertigineuse de la livre turque, une inflation à deux chiffres et un important déficit des comptes courants.
L'enjeu de ces élections est considérable car le vainqueur sera doté de pouvoirs renforcés après une révision constitutionnelle, adoptée par référendum en avril 2017. Une réforme exigée par le chef de l’Etat turc moins d'un an après que ce dernier a échappé à une tentative de coup d'Etat menée par des militaires en juillet 2016. Après les élections, le système parlementaire turc se transformera en présidence exécutive.
Recep Tayyip Erdogan remportera-t-il la présidentielle dès le premier tour et parviendra-t-il à maintenir la majorité de son parti, l'AKP, au Parlement? C'est le scénario que l'actuel chef de l'État souhaitait lorsqu'il a convoqué les élections, espérant prendre l'opposition au dépourvu. Mais la probabilité de le voir se réaliser a nettement reculé, avec la dégradation de la situation économique et un nouvel élan trouvé par l'opposition.
C'est en effet la première fois qu'un adversaire se montre capable de lui tenir tête. Si aucun candidat ne remporte plus de 50% des voix dès le premier tour de la présidentielle, un second tour se tiendra le 8 juillet.
"On peut penser qu'il sera difficile pour Erdogan de l'emporter au premier tour", analyse Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble. "Déjà à la présidentielle de 2014, alors qu'il n'y avait que trois candidats, il ne l'a emporté qu'avec 51,7% des suffrages. Cette année, il y a six candidats, ce qui entraîne une forte dispersion des voix."
Ironiquement, l'opposition est cette année aidée par de récents amendements législatifs portés par l'AKP, qui lui ont permis de former des alliances, ce qui pourrait renforcer sa présence au Parlement. Dans le cas où le président sortant remporterait la présidentielle mais que l'AKP perdrait le contrôle du Parlement, ce scénario plongerait la Turquie dans une période d'incertitude, secouerait la confiance en l'économie et provoquerait potentiellement de nouvelles élections.
Parmi les cinq candidats qui lui font face, Muharrem Ince. Ce député du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate et laïc, le parti créé par le fondateur de la République Mustafa Kemal Atatürk) a réuni jeudi des milliers de supporters -2,5 millions selon les organisateurs- lors d'un rassemblement électoral à Izmir. Avant ces élections, il était surtout connu pour être l'agitateur du Parlement avec des discours passionnés et une répartie cinglante.
L'homme, qui s'est imposé comme le détracteur le plus virulent de Recep Tayyip Erdogan, pourrait se retrouver face à lui lors du second tour de la présidentielle. Il a critiqué la dérive autoritaire du président, promet de lever "sous 48 heures" l'état d'urgence en vigueur depuis près de deux ans, de revenir à un régime parlementaire ou encore de ne pas gouverner depuis le pharaonique palais présidentiel à Ankara.
"Après quinze ans de pouvoir, il y a un phénomène d'usure pour Erdogan. Muharrem Ince a joué sur sa fatigue, sur le besoin de sang neuf", note Jean Marcou. La course s'annonce plus serrée que ne l'avait envisagée Recep Tayyip Erdogan.
S'il reste l'homme politique le plus populaire en Turquie, les sondages montrent qu'il n'est pas assuré de récolter les 50% des voix qui lui permettraient d'être élu dès le premier tour. L'indétrônable président turc a dû affronter dans cette campagne expresse une union inattendue des partis d'opposition et un concurrent, Muharrem Ince, capable de rivaliser avec lui. Mais si l'opposition l'emportait, encore faudrait-il qu'elle parvienne à s'entendre.
"L'opposition existe, elle a réussi à faire alliance, mais elle est hétérogène, pointe Jean Marcou. Elle se compose des kémalistes, d'une partie des nationalistes, des islamistes. Dans ce bloc anti-Erdogan, ce qui les rassemble, c'est la volonté de sauver la démocratie. Mais s'ils gagnaient, il ne va pas être aisé pour eux de cohabiter et de s'entendre pour constituer un gouvernement."
L'AKP, qui fait alliance avec le Parti du mouvement nationaliste au sein de l'"Alliance du peuple", est favori de ces deux scrutins, mais certains analystes pensent qu'il ne remportera pas non plus la majorité parlementaire. "Il y a un acteur qu'il ne faut pas oublier: le parti kurde, qui est actuellement le troisième du pays, ajoute le spécialiste de la Turquie.
Pour avoir une majorité absolue contre Erdogan, il faudra compter avec eux. Lors des dernières élections, ils ont représenté plus de 10% des voix." Le plus à craindre, estime Jean Marcou: un résultat qui ne serait pas un franc échec pour Recep Tayyip Erdogan.
"Cette situation interlope pourrait alimenter des tensions. Déjà en 2015, lorsqu'il n'a pas obtenu la majorité absolue au Parlement, il a joué la carte de l'échec du gouvernement de coalition pour annoncer des élections anticipées."
Et en cas d'échec à la présidentielle, "il pourrait se mettre en retrait, puis chercher le moyen de revenir pour se présenter comme le garant de la stabilité".
Source BFMTV-France
Votre commentaire