Elisabeth Guigou : « je suis frappée par la forme physique et intellectuelle du président Essebsi, sa sagesse et sa lucidité »
Élisabeth Guiguou, la présidente de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale française est une habituée de la Tunisie qu’elle visite pour la septième fois depuis 2012. Elle vient participer aux côtés d’Audrey Azoulay, la ministre de la Culture et de la Communication, aux réunions du Forum 5+5 de la Culture qui se tiendra ce vendredi à Tunis.
L’ancienne garde des sceaux, ministre de la justice dans le gouvernement Jospin en 1997( la première femme à avoir été nommée à ce poste), a profité de sa présence parmi nous pour s’entretenir, dans la soirée de jeudi 9 février, avec quelques représentants des médias au siège de la résidence de l’ambassade de France à la Marsa. Au menu principal le rapport de la Mission d’information sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb a été présenté le 18 janvier dernier devant la commission des affaires étrangères. Avec son affabilité coutumière, elle s’est prêtée, pendant plus d’une heure, aux questions des journalistes, en présence de l’ambassadeur Olivier Poivre d’Arvor, toujours prompt à intervenir pour éclaircir certains points en rapport avec les relations entre la France et la Tunisie.
Espacemanager en a profité pour lui poser quelques questions.
Espacemanager : la déclaration des députés français, par des mots peu diplomatiques, sur « l’instabilité politique » des trois pays du Maghreb, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, dirigés par des chefs d’état à « la santé fragile » a suscité des réactions de désapprobation et risquent de froisser les pays concernés.
Elisabeth Guigou : personnellement je désapprouve cette déclaration et je trouve parfaitement déplacés les propos tenus par les députés français sur l’état de santé des dirigeants des trois pays du Maghreb. Ils ont fait montre d’un franc parler inhabituel sur une question qui pourrait indisposer les trois pays cités. Ces propos ne doivent en aucun cas altérer les relations excellentes entre la France et les trois pays. D’ailleurs, les auteurs de ces propos ont reconnu « leur erreur » et se sont excusés oralement et par écrit auprès des autorités marocaine, algérienne et tunisienne.
Sur un autre plan, j’ai eu l’occasion de rencontrer, au cours de mes différentes visites en Tunisie (la dernière en date était au mois de mai 2016), le Président Essebsi que je connais depuis longtemps et à chaque fois je l’ai trouvé en très bonne santé. J’étais même frappée par sa forme physique et intellectuelle, ainsi que par sa sagesse et sa lucidité.
Vous savez à quel point, je suis liée personnellement à ces pays avec qui nous avons un lien qui est d’une part historique avec la proximité géographique et d’autre part surtout humain et culturel. J’ai beaucoup d’estime et d’admiration pour la Tunisie en qui j’ai confiance. J’ai participé à la Conférence internationale sur l’investissement tenue à Tunis fin novembre dernier et qui a été un véritable succès.
La France n’a pas de leçon à donner aux autres. Il faut dire, également, que nous sommes tous en situation de vulnérabilité par rapport au terrorisme et il y va de notre intérêt de coordonner très étroitement avec les pays du Maghreb pour éradiquer ce phénomène.
Espacemanager : le rapport de la Mission d’information sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb a dressé un tableau sombre de la situation en Tunisie, pays qui « reste fragile, au plan social, politique et sécuritaire ». Ne voyez-vous pas qu’il est allé loin comme pour mettre à nue les lacunes et les défaillances de la jeune démocratie ?
Elisabeth Guigou : je tiens d’abord à préciser que le rapport a été élaboré sous la responsabilité de ses auteurs, c’est-à-dire les députés qui ont fait partie de la mission présidée par un membre de l’opposition le Républicain Guy Tessier et avec comme rapporteur le socialiste Jean Glavany, un membre de la majorité. De ce fait il n’engage qu’eux et la commission des affaires étrangères n’a fait que publier le rapport. Et la publication ne vaut pas approbation.
S’agissant du diagnostic de la Tunisie, il n’est pas aussi alarmant qu’on le pense. Au contraire, je trouve qu’il contient des appréciations positives sur la ce pays devenu le symbole des révolutions arabes. Le fait de dire que nous avons tous intérêt à ce que le pays réussisse sa transition et que nous plaidons pour un soutien plus accru et un programme spécial de la part de l’Union européenne pour votre pays participe d’un souci constant de voir l’expérience tunisienne s’imposer comme un modèle dans son environnement.
Espacemamanager : le rapport a proposé des solutions aux problèmes du pays. Dans quelle mesure, ces solutions pourraient-elles aboutir et qu’entend faire la France pour inciter l’Union européenne à soutenir davantage la Tunisie ?
Elisabeth Guigou : Nous devons absolument entraîner davantage les Européens et d’autres aussi dans cette entreprise pour les inciter à soutenir davantage la Tunisie. Le Maghreb est pour la France et pour l’Europe un atout considérable. Nous devons, par conséquent, avoir la volonté de définir un nouveau partenariat qui tourne évidemment le dos à toute forme de néocolonialisme. La politique de voisinage, principal outil de coopération avec les pays du Maghreb, révisé après 2011 afin de soutenir les partenaires qui engagent des réformes en faveur de la démocratie, de la primauté du droit et des droits de l’homme, de contribuer à leur développement économique inclusif et de promouvoir un partenariat avec les sociétés parallèlement aux relations avec les gouvernements.
Je crois, aussi, qu’un des défis fondamentaux que nous allons devoir affronter avec les pays du Maghreb, c’est comment concilier sécurité et mobilité. Les jeunes vont maintenant faire leurs études en Inde, en Chine, au Canada, depuis longtemps aux Etats-Unis… C’est pour cela que je propose un Erasmus des associations. Il y a un vivier dans les sociétés civiles qui regarde vers l’Europe, qui partage nos valeurs et dont on ne parle pas assez car on parle surtout de ce qui ne va pas. La France a cette responsabilité-là et celle d’entrainer les Européens avec nous.
Espacemanager : la Libye s’enlise dans une crise profonde qui impacte la situation non seulement de ses voisins mais aussi de la rive nord de la Méditerranée. Une initiative tripartite entre la Tunisie, l’Algérie et l’Egypte vient d’être lancée pour tenter de la désamorcer. Comment l’Europe pourrait-elle soutenir les efforts des trois pays ?
Elisabeth Guigou : la France est très attendue sur les sujets de sécurité et de stabilisation de la région. Au-delà du rôle politique qui lui revient, et qu’elle entend assumer, dans le règlement des crises de la région, particulièrement en Libye et poursuivre son appui à ce pays. De ce fait, je pense que les protagonistes libyens doivent commencer par s’entendre. Nous les Européens nous devons faire tout pour soutenir les efforts des trois pays et aider à trouver une solution à la crise libyenne. Au plan géographique, comme c’est dit dans le rapport, la priorité doit être accordée à la stabilisation de la Tunisie, soumise à des risques qui dépassent ses capacités.
Brahim Oueslati
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