Etudiants tunisiens en France : motivations et parcours

D’après Campus France, l’agence chargée de la promotion de l’enseignement français à l’étranger, le nombre d’étudiants tunisiens qui poursuivent leurs études France ne cesse d’augmenter (+8,2% en 2015, +17% en 2016). « Ceci s’explique en partie par les partenariats entre les deux pays, ayant abouti par exemple à l’ouverture de l’Université Tunis-Dauphine en 2009, et à celle de Sciences-Po Tunis en 2016. D’autres grandes universités et écoles devraient également voir le jour en Tunisie », précise Stephane Darmas, qui ajoute que « depuis deux ans, nous allons nous-mêmes à la rencontre des étudiants tunisiens, dans les universités de province en particulier – hors Tunis – pour expliquer le système des études en France. »
La France demeure, en effet, la première destination des étudiants tunisiens qui souhaitent poursuivre des études à l’étranger. Les informations recueillies à partir d’une enquête spécifique et monographique, la seule et unique jusque là, publiée en 2009, mais jamais exploitée, et réalisée conjointement par l’Observatoire français de la vie étudiante (OVE) et l’Observatoire national de la jeunesse (ONJ), sur « les conditions de vie des étudiants tunisiens en France »*ont contribué à une meilleure connaissance de leur expérience universitaire, leur projet et leurs conditions de vie et d’études. Elle a permis d’identifier les difficultés matérielles ou sociales susceptibles de compromettre la poursuite des études ou la réussite aux examens, et de disposer d’indicateurs sur la qualité des conditions de vie des étudiants tunisiens.
Près de 15.000
Les étudiants tunisiens en France constituent depuis plusieurs décennies une composante importante de la population étrangère de l’enseignement supérieur en France. Ils sont près de 15.000(sans compter les binationaux) inscrits dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et constituent plus de 5% de la population étrangère des établissements supérieurs en France. Ils arrivent derrière les Marocains et les Algériens. A partir de l’année 2000, le nombre des Tunisiens dans l’enseignement supérieur a progressé de 55% et la France constitue le premier pays d’accueil des étudiants tunisiens poursuivant leurs études en dehors de leur pays. Ils représentent actuellement près de 60% de l’ensemble des étudiants tunisiens inscrits dans les différentes universités étrangères dans plus de 60 pays.
L’enquête a permis de mieux appréhender la façon dont ils s’impliquent dans le processus de l’affiliation au sein d’un nouveau système universitaire et d’une nouvelle société. Ces résultats sont, en effet, à mettre en rapport, d’une part avec leurs projets initiaux, motivations, attentes et la préparation de leur « voyage éducatif », et d’autre part, avec leur expérience française et le projet d’avenir qu’ils élaborent à l’issue de leurs études. Les réponses ouvertes et fermées fournies par ces jeunes ont permis de dresser les profils des divers types d’étudiants tunisiens inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur français.
Les parcours scolaires et universitaires des étudiants avant de partir en France montrent que leur projet d’études à l’étranger s’inscrit dans une logique d’amélioration du niveau universitaire. L’impossibilité de continuer les études en Tunisie et la valeur du diplôme obtenu à l’étranger ont motivé la majorité des étudiants interrogés pour partir en France. Ces projets initiaux et les attentes formalisées vis-à-vis du choix de la France en tant que pays d’études sont liés les uns aux autres, et nous aident à mieux comprendre comment se décide et s’organise le projet d’études à l’étranger. Les motivations évoquées par les étudiants pour partir en France révèlent la pluralité des raisons qui poussent les jeunes Tunisiens à quitter leur pays et s’installer en France pour achever leurs études. Dans l’ensemble, la « préférence pour la France » constitue un élément commun partagé par une très grande majorité de l’échantillon même si la raison de ce choix varie chez les uns et les autres. La France peut constituer pour beaucoup un choix « naturel » compte tenu des liens historiques, culturels et politiques. La France continue à mobiliser les espoirs et les attentes. Si l’on s’intéresse aux motivations mises en avant par les étudiants, on peut identifier quatre types de projet : certains viennent en France pour se former, d’autres pour s’inscrire dans un parcours de recherche; certains privilégient la dimension de découverte culturelle et les derniers se trouvent dans une logique migratoire visant à s’installer en France, souvent en appuyant sur leur réseau relationnel et familial.
Ils réussissent relativement bien
Comme tous les étudiants étrangers, les Tunisiens tendent à vivre une expérience difficile de la rupture et de l’apprentissage de nouvelles normes. Beaucoup de choses changent dans ce passage à une université étrangère : les relations interpersonnelles à l’université, l’organisation pédagogique des cours, les normes et codes des activités universitaires, les relations avec les enseignants, leurs exigences et disponibilité, les examens et les devoirs. De même, les connaissances et le savoir-faire disciplinaires ne sont pas toujours identiques d’un système universitaire à un autre. On peut donc repérer plusieurs types de ruptures liées non plus à l’installation en pays étranger mais à la réussite de ses études dans un pays étranger. Ces ruptures menacent par définition les étudiants étrangers plus que tous les autres. Malgré ces difficultés « pédagogiques », les Tunisiens semblent se débrouiller relativement bien. On peut même parler d’un processus d’adaptation relativement réussi des étudiants tunisiens si on compare les résultats de cette enquête avec ceux des autres enquêtes de l’OVE sur les étudiants étrangers. Il s’agit de construire une nouvelle identité tout en devenant membre de la communauté universitaire. Dans l’ensemble, les jeunes interrogés se sentent relativement intégrés, et réussissent assez bien leur « passage » : le sentiment d’isolement n’est exprimé que par une minorité. Effectivement, les étudiants français et autres étrangers les accueillent et les soutiennent plutôt activement.
Une bonne capacité d’adaptation
En matière de sociabilité, la moitié des étudiants interrogés déclarent ne pas avoir de difficultés dans leurs relations avec les autres étudiants. Ceci témoigne, d’une part, des capacités d’adaptation des étudiants tunisiens dans des contextes socioculturels différents, et, d’autre part, de l’ouverture des étudiants en France sur l’autre. En effet, l’université française serait, dans une large mesure, un lieu de métissage culturel. Toutefois, une minorité des interrogés avouent avoir des difficultés dans leurs relations avec les autres étudiants.
Le faible taux de boursiers (24%), d’une part, et la faible demande de bourse, d’autre part, font que les étudiants sont souvent obligés de multiplier le recours à diverses sources pour financer leurs études, des divers aides possibles en France aux ressources tirées d’activités rémunérées en passant par l’aide des parents ou de la famille. Sur ce dernier plan, environ la moitié des enquêtés déclarent recevoir de l’aide de leur famille. Cette aide est régulière pour la moitié d’entre eux et occasionnelle pour le reste de ceux qui bénéficient de l’appui de leur famille. Cette aide concerne de manière égale les deux sexes. Ce soutien est le pendant de l’importance que les familles tunisiennes accordent à l’investissement dans l’éducation observée dans le pays.
L’un des points saillants des résultats de cette enquête est la grande satisfaction des enquêtés (80,0%) d’être perçus comme Tunisiens. Ceci témoigne de la fierté des interrogés d’être Tunisiens et d’être perçus en tant que tels à l’étranger. En effet, l’émigration pour les enquêtés semble ne pas avoir affaibli leur patriotisme, probablement le contraire est-il plus vrai.
Après les études que faire ?
Qu’envisagent-ils au terme de leurs études ? Dans les réponses sur les projets d’avenir (après les études que faire ?) nous retrouvons des résultats assez similaires à ceux obtenus dans d’autres enquêtes menées en France. En gros, un tiers des étudiants envisage de rentrer en Tunisie, un tiers ne pense pas rentrer et le troisième tiers est encore au moment de l’enquête dans une position d’incertitude (ils ne savent pas).
Il est important de noter que ceux qui envisagent de rester en France, ou d’aller dans un autre pays, ne le font pas seulement en fonction de leur légitime intérêt personnel, mais sont plus convaincus que les autres que cela est meilleur pour leur pays. En effet, 61% de ceux qui envisagent de rester en France pensent que cela est mieux pour leur pays contre seulement 23% pour l’ensemble de l’échantillon. De même, 39% de ceux qui envisagent de partir dans un autre pays pensent que cela est mieux pour leur pays contre seulement 7% pour l’ensemble de l’échantillon.
Les étudiants les plus enclins à rentrer au terme de leurs études sont ceux qui envisagent d’effectuer des études assez avancées (Doctorat et autres). Ceci est compréhensible par les perspectives meilleures qu’ils ont par rapport à leurs collègues des cycles inférieurs. La catégorie Bac+5, comprenant probablement les étudiants en grandes écoles, est celle qui affiche le plus d’incertitude sur la question du retour. Pour ces derniers, les perspectives intéressantes existent, mais la tentation de l’étranger reste forte. La question du retour de nos étudiants à l’étranger semble ainsi conditionnée essentiellement par les perspectives que leur offre leur pays.
*L’enquête a été réalisée sous la supervision de Brahim Oueslati, alors directeur général de l’Observatoire national de la jeunesse, et Guillaume Houzel, président de l’Observatoire de la vie étudiante. Le rapport final a été élaboré par Hédi Zaiem, Lilia Gaâloul et Sanim Ben Abdallah, du côté tunisien, et Saeed Paivandi, Ridah Ennafaâ et Louis Gruel, du côté français.
Brahim Oueslati
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