JCC 2025 : Ambition renouvelée et défis structurels, un tournant pour la 36ᵉ édition

 JCC 2025 : Ambition renouvelée et défis structurels, un tournant pour la 36ᵉ édition

Les Journées Cinématographiques de Carthage s’apprêtent à ouvrir leur 36ᵉ édition du 13 au 20 décembre 2025. Fidèle à sa vocation, le festival demeure un rendez-vous incontournable pour les cinéphiles, les professionnels et le grand public, toujours porté par l’héritage du cinéma arabe et africain. Cette édition se veut à la fois un retour aux fondamentaux et une ouverture vers un espace international pluriel, en combinant continuité, renouvellement et engagement artistique.

Le festival reconfirme sa ligne éditoriale en plaçant le cinéma social, politique et engagé au cœur de sa programmation. Le choix du film d’ouverture, Palestine 36 de la réalisatrice palestinienne Anne-Marie Jacir, inscrit d’emblée cette édition dans une réflexion profonde autour de la mémoire, de l’identité et de la résistance. Plusieurs œuvres sensibles à ces questions viendront renforcer ce positionnement.

Sur le plan professionnel, les JCC maintiennent leur rôle structurant grâce à Carthage Pro, actif du 15 au 18 décembre. Véritable plateforme d’accompagnement, il réunit les ateliers Chabaka (projets en développement) et Takmil (post-production). Cette année, 17 projets dont en développement et 8 en post-production bénéficieront de ce dispositif. Une initiative qui confirme l’importance des JCC comme tremplin pour les nouvelles voix du cinéma indépendant.

Cependant, cette 36ᵉ édition s’ouvre dans un climat particulièrement perturbé, soulevant de nombreuses interrogations quant à l’avenir du festival. Plusieurs décisions prises en amont ont suscité l’incompréhension des professionnels et des journalistes.

La suppression inexpliquée de la section “Projection Presse” constitue l’une des décisions les plus contestées. Ce dispositif, pourtant essentiel pour la visibilité médiatique des films, disparaît précisément au moment où les JCC cherchent à renforcer leur rayonnement international. Cette absence prive les journalistes d’un outil indispensable pour assurer une couverture critique complète et rigoureuse.

Par ailleurs, la présence africaine se révèle étonnamment réduite cette année, en contraste avec l’ADN fondateur du festival, historiquement perçu comme un espace de dialogue Sud-Sud. Ce recul interroge le positionnement des JCC, leur attractivité et leur capacité à maintenir leur rôle unique sur la scène cinématographique régionale.

Le choix du calendrier soulève également des critiques. La tenue du festival du 13 au 20 décembre coïncide avec les examens universitaires et scolaires, suivis des vacances d’hiver. Une programmation tardive qui affaiblit la dimension populaire et formatrice des JCC, habituellement fréquentées par un public jeune et dynamique. Selon plusieurs observateurs, ce choix rompt avec la tradition automnale d’octobre-novembre, qui constituait l’un des marqueurs identitaires du festival.

À ces difficultés s’ajoute la persistance de défaillances techniques dans plusieurs salles. Les problèmes de sonorisation, l’état obsolète de certains équipements, l’instabilité de la qualité d’image et l’absence de maintenance régulière continuent de nuire à la qualité des projections. Déjà signalées lors des précédentes éditions, ces insuffisances altèrent l’expérience du public et limitent la valorisation des œuvres comme le travail des équipes artistiques. Elles rappellent l’urgence d’investir durablement dans les infrastructures culturelles.

Au-delà des enjeux conjoncturels, une problématique structurelle se pose avec acuité : la nécessité de professionnaliser et de stabiliser l’organisation des JCC.

À l’approche du 60ᵉ anniversaire du festival, la création d’une équipe dirigeante permanente s’impose. Elle devrait regrouper des compétences en programmation, production, gestion culturelle, communication et conservation. Cette stabilité est essentielle pour instaurer une politique d’archivage pérenne, aujourd’hui quasi inexistante, alors même que les JCC constituent un patrimoine majeur du cinéma arabe et africain.

Cette 36ᵉ édition met ainsi en lumière l’urgence d’une vision stratégique à long terme. Le festival ne peut plus fonctionner dans une logique de court terme : il lui faut repenser sa gouvernance, son identité artistique, son calendrier, ses infrastructures et la préservation de son histoire.

Construisant depuis six décennies sa réputation sur l’engagement, l’innovation et la solidarité cinématographique, les JCC doivent aujourd’hui engager une transformation profonde pour protéger leur héritage et consolider leur position sur la scène internationale.

La communauté cinématographique : réalisateurs, critiques, programmateurs, étudiants et publics, attend désormais des orientations claires et un projet cohérent capable de redonner aux Journées Cinématographiques de Carthage le rôle moteur qu’elles ont longtemps occupé dans le paysage culturel du monde arabe et de l’Afrique.

SAYIDA BOURGUIBA

Votre commentaire