La Tunisie est-elle un pays en sursis?

  La Tunisie est-elle un pays en sursis?

Dans une interview publiée dans le Point Afrique le 12 janvier courant, Michael Ayari, chercheur  et membre de l’organisation cris Group, a analysé la situation de la Tunisie, huit ans après le 14 janvier 2011. « Ses rapports, d'épais documents, font autorité » écrit le journal.

Pour lui, chacun a interprété le mouvement enclenché le 17 décembre 2017 et qui a abouti à l’effondrement du régime de Ben Ali, en place depuis plus de 23 ans, « selon sa propre grille idéologique. Certains ont vu ça comme une vraie révolution, de manière un peu romantique, avec les opprimés, les gens de l'intérieur du pays, qui se réveillent. D'autres, certains islamistes, ont vu ça comme un signe de Dieu, la fin des tyrannies, d'autres encore y virent une révolution quasi socialiste. Et certains comme une normalisation du système avec son insertion dans la mondialisation, contre des élites rentières qui étouffaient les velléités d'entrepreneuriat, en rackettant à tout-va. Quand Ben Ali est parti, il y a eu une lutte pour imposer une définition de ce qui s'était passé. On a retenu qu'il s'agissait d'une révolution démocratique, comparable à la chute du mur de Berlin et de l'Union soviétique. Que la Tunisie se dirigeait vers un régime politique démocratique avec une croissance économique tirée par le libéralisme. C'était l'idée générale. ».

Il a relevé « la capacité des élites politiques à parvenir à un consensus, à dialoguer. Le dialogue national mené en 2013 est une expérience originale qui a fonctionné ».

Or, huit ans après, on est passé de « l’illusion à la désillusion ». Car, explique Ayari, aujourd'hui, on a l'impression que la Tunisie est en sursis, car la parenthèse Printemps arabe s'est refermée. Elle reste la dernière survivante. La démocratie n'est plus analysée comme un principe supérieur commun, mais comme utilité. L'utilité, c'est quoi ? La croissance économique, davantage de justice sociale… Ça ne s'est pas réalisé. Et les populations de l'intérieur du pays estiment n'avoir rien gagné de cette transition et sont de plus en plus prêtes à revenir à un régime plus dur, même si elles en seront les premières victimes. Le fait de vouloir revenir à ce fantasme d'État de justice, avec la corruption contenue, une administration objective et rationnelle, une égalité des chances, une forme de méritocratie, avec un État bienfaiteur, peut pousser la population à plébisciter un régime dictatorial. Ce qui irait de pair avec les tentatives régionales de mettre fin à l'expérience tunisienne ». Tout cela, parce qu’aucune « force politique n'a un véritable programme, une stratégie, une vision. Le gouvernement non plus. Le plus difficile en Tunisie n'est pas d'avoir des idées, mais de pouvoir les réaliser. La chaîne de commandement étant rompu au sein de l'administration et l'absence de coopération interministérielle expliquent l'incapacité à mettre en place des réformes structurelles, des politiques publiques. »

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