Le 15 octobre 1963, Bizerte, « dernière séquelle de l’ère coloniale », redevient tunisienne
Ce samedi 15 octobre 2016 la Tunisie célèbre le 53ème anniversaire de l’évacuation des forces militaires françaises de la base navale de Bizerte.
En ce même jour de 1963, deux ans et trois mois après la bataille de Bizerte, les bâtiments de la marine française quittent la rade de Bizerte. Vers 14 heures, en une cérémonie discrète, un officier décroche le drapeau tricolore, il le plie en quatre, le met sous son bras et rejoint le navire amiral, qui sera le dernier à quitter le port.
L’évacuation du dernier soldat français se termine vers 15 heures. Les quais où, jusqu’à la veille, trois cargos, douze navires de guerre, un porte-avions, trois mille hommes et des tonnes de matériel attendaient d’être embarqués sont étrangement déserts.
Au même moment, l’aviso Destour, battant pavillon tunisien, apparaît à droite de la rade. À son bord, un petit groupe de responsables tunisiens qui regardent le dernier bateau français s’éloigner. Parmi eux, Bahi Ladgham, Secrétaire d’état à la présidence et à la défense nationale (faisant office de Premier ministre de fait) et Secrétaire général du Néo-Destour, Taïeb Mehiri, Hassib Ben Ammar, Mahjoub Ben Ali entre autres.
Vers 16 heures, un officier français ouvre la grande porte de fer, un énorme trousseau de clefs à la main. Le bateau accoste à l’endroit même où était amarré le navire amiral français. Une petite foule, qui a envahi le port, entonne l’hymne national et lance des « Yahya Bourguiba ! » (« Vive Bourguiba ! »).
Bahi Ladgham hisse le drapeau tunisien sur la base, puis annonce solennellement au téléphone à Habib Bourguiba qui était à l’autre bout de la ligne à son bureau à la Kasbah : « Mission accomplie, monsieur le Président ». Le combattant suprême savourait sa victoire. Bizerte, « dernière séquelle de l’ère coloniale », selon les mots de Bourguiba, est enfin rendu aux Tunisiens. Dans les rues de la ville, c’est la liesse populaire. Bientôt, la joie s’étendra à tout le pays.
En 1958, prenant prétexte du bombardement par les forces françaises du village Sakiet Sidi Youssef sur la frontière avec l’Algérie, Bourguiba exige et obtient le retrait des troupes françaises du territoire tunisien à l’exception de Bizerte. Il ne devait cesser depuis lors de revendiquer l’achèvement de la décolonisation par l’évacuation de la base navale de Bizerte. Dans le climat de surenchères nationalistes, tant à l’intérieur (les yousséfistes mettent toujours en doute l’indépendance du pays) qu’à l’extérieur (avec le Nasser triomphant au Moyen orient), il voulait obliger les Français à rendre Bizerte, et non le recevoir de leurs mains, à un moment choisi par eux. Le général de Gaulle, aux prises avec la guerre d’Algérie, n’entendait se laisser « rien dicter ni arracher soit du dedans, soit du dehors », comme il disait. La rencontre entre les deux hommes, en février 1961, au château de Rambouillet, près de Paris, tourna au dialogue de sourds.
Sous les pressions tant internes qu’externes, Bourguiba déclenche dans des conditions qui restent à clarifier par les historiens mais qui rendaient inéluctables la guerre, la bataille de Bizerte le 19 juillet 1961. Elle se prolongea quatre jours durant. Les forces en présence étaient très déséquilibrées : un corps d’élite français bien entraîné et une armée tunisienne courageuse, mais fort peu expérimentée et mal équipée, adossée à des volontaires plus gênants qu’utiles. Bilan officiel des pertes : côté français, 27 militaires tués et une centaine de blessés ; côté tunisien : 632 tués, dont 330 civils. Il serait beaucoup plus lourd côté tunisien.
L’évacuation de Bizerte tourne une page de l’histoire mouvementée entre la Tunisie et la France.
Mais pour Bourguiba l’évacuation de Bizerte ne devait pas rester un événement national. Dans le climat du nationalisme arabe triomphant, il tenait à montrer que sa politique des étapes était plus efficiente. Il décide alors de fêter solennellement l’’évacuation des troupes françaises le 15 décembre 1963, à Bizerte. Plus de 300 000 personnes sont rassemblées dans la ville en liesse. Pour la circonstance, il invite à cette célébration le Raïs égyptien Gamal Abdel-Nasser, le président algérien Ahmed Ben Bella et le prince héritier libyen Hassan Al-Ridha. Le Roi Hassan II invité se fait représenter par un de ses conseillers, Abdelhadi Boutaleb. La postérité retiendra l’image de Bourguiba triomphant au milieu de deux figures du nationalisme arabe, Nasser et Ben Bella, qui n’avaient jusqu’alors cessé de fustiger les « compromissions » du leader tunisien avec l’Occident.
Avec la France, tout était déjà rentré dans l’ordre. Les relations diplomatiques ayant été rétablies, Paris avait repris son aide. Il faut attendre le 12 mai 1964 c'est-à-dire sept mois après l’évacuation de Bizerte pour que les relations de Tunis avec Paris connaissent une nouvelle crise. En ce jour anniversaire du Traité du Bardo de triste mémoire, Bourguiba apposa sur la même table la loi de nationalisation des terres agricoles parachevant ainsi la décolonisation totale du pays.
RBR
Avec Wikipedia
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