Le « cas tunisien » examiné à la loupe de l’étranger : S’en plaindre ou s’en féliciter!?

Le « cas tunisien » examiné à la loupe de l’étranger : S’en plaindre ou s’en féliciter!?

La « situation en Tunisie » est devenue un sujet récurrent pour des pays proches ou amis. De l’Algérie voisine dont le président dit qu’elle est visée par « un complot » et que son pays se tiendra à ses côtés « qu’on le veuille ou non » à l’Italie toute proche dont la présidente du conseil des ministres pronostique l’effondrement de son économie et voit la menace de « hordes » d’immigrés illégaux se jetant sur les plages siciliennes inhospitalières en passant par l’Europe dont le Parlement ainsi que les ministres des Affaires lui consacrent une résolution et une réunion jugeant la situation tunisienne « très dangereuse », personne n’est en reste pour aller de son jugement et de son pronostic.

Les Etats-Unis qui s’estiment en droit, eux-aussi, de juger la situation tunisienne, non en raison de leur superpuissance par laquelle ils s’arrogent ce droit, mais surtout du fait d’une relation séculaire et d’un appui qui n’a jamais fait défaut, ne se font pas prier pour dire ce qu’ils pensent d’un pays et d’un régime qui est pour eux un laboratoire pour la démocratie et de pluralisme des idées et des convictions dans un monde arabo-musulman monolithique. Leur secrétaire d’Etat, qui jouit d’un haut rang dans la hiérarchie de l’administration washingtonienne élève la voix de son côté pour faire part des inquiétudes de son pays vis-à-vis de la situation politique en Tunisie depuis que le président Kais Saied s'est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021. En prenant fait et cause pour les principaux partis d'opposition tunisiens qui dénoncent une «dérive autoritaire» qui fait vaciller la jeune démocratie issue de la première révolte du Printemps arabe en 2011, les américains sont accusés d’ingérence dans les affaires tunisiennes. Le ministre Blinken a beau dépêcher à Tunis son assistante chargée des affaires du Proche-Orient Barbara Leaf, celle-ci est traitée en paria. Un black-out total est observé sur son déplacement tunisien. C’est l’ambassade américaine qui a informé les Tunisiens qu’elle a été reçue par le ministre Nabil Ammar dont les activités de moindre importance remplissent en long et en large la page officielle du département. Le chef de l’Etat qui l’avait reçu dans de précédentes visites l’a carrément ignorée.

De cet intérêt grandissant pour « le cas de la Tunisie » faut-il s’en plaindre ou s’en féliciter. A l’évidence, le pouvoir en place est troublé par cette attention qui ne se dément pas. S’il ne tenait qu’à lui, il aurait préféré que la Tunisie tombe dans les oubliettes. « L’inquiétude et la préoccupation » de l’étranger s’agissant de la crise en Tunisie sont jugées comme une « intolérable immixtion » dans les affaires internes de la Tunisie. « Nous sommes aussi en droit de faire part des mêmes inquiétude et préoccupation pour ce qui se passe à l’extérieur de nos frontières » n’a cessé de dire le président de la République Kaïs Saïed pour balayer d’un revers de main l’intérêt malvenu pour les affaires tunisiennes.

Mais à bien y regarder, les Tunisiens doivent se féliciter de cette attention soutenue pour leur pays. C’est que la Tunisie n’est ni l’Albanie d’Anvar Hodja, dont le règne d’un autre temps l’a fait basculer dans le Moyen Age, ni d’ailleurs la Somalie de Mohamed Siad Barre, devenu un Etat fantôme où sévissent famine et terrorisme avec des pratiques que l’on croyait révolues comme la piraterie en mer.
Certes les raisons de cette attention sont multiples et variées, chacun y voyant son intérêt le plus urgent. Les Italiens et à leur tête Giorgia Meloni qui conduit le gouvernement le plus extrême-droite de l’après-guerre cherche à externaliser ses frontières de sorte que la Tunisie en devienne la gardienne pour bloquer les barques de fortune emmenant vers les côtes de la péninsule les immigrés venus de l’Afrique du nord comme subsaharienne. C’est la psychose des dirigeants italiens qu’ils veulent d’ailleurs communiquer aux autres Européens, puisque les immigrés rentrent en Italie non pour y demeurer mais surtout pour se répandre dans les autres contrées européennes.

L’alarme est retentissante et le chef de la diplomatie européenne s’en soit fait l’écho avec une inhabituelle véhémence « Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur ce qui se passe en Tunisie. » a souligné l’Espagnol Josep Borrell résumant les échanges des ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept. « La situation y est très dangereuse », a-t-il poursuivi sur un ton inhabituellement dramatique. « L’Etat tunisien, présidé depuis 2019 par Kaïs Saïed, qui s’est arrogé tous les pouvoirs après son coup de force du 25 juillet 2021, est non seulement au bord de la faillite, mais ses services de sécurité ont arrêté une vingtaine d’opposants politiques depuis le début de l’année », résume-t-on de l’autre rive de la Méditerranée. S’y mêlent « tournant répressif », « risque de libanisation » pour donner un ton dramatique à la situation d’un pays « au bord de l’effondrement économique et social » qu’il faut éviter à tout prix. En sus des flux migratoires qui vont augmenter cette situation « crée plus d’instabilité et d’insécurité dans la région »

Par la voix de leur haut représentant pour les relations extérieures et la sécurité, les Vingt-Sept demandent donc à la Tunisie de respecter « l’Etat de droit, les droits de l’homme, les engagements pour d’importantes réformes structurelles » et d’assurer « la finalisation du programme déjà convenu avec le Fonds monétaire international ». « Le président tunisien doit le signer, c’est indispensable », a ajouté M. Borrell, précisant que cela « doit être fait rapidement ».
Les Tunisiens n’ont pas apprécié qu’on leur dicte ce qu’ils doivent faire surtout que les réformes préconisées par l’instance financière internationale risquent d’être impopulaires notamment le démantèlement des subventions sur les produits de base. Or, sans plan du FMI, « il nous sera impossible d’apporter une aide budgétaire », précisent plusieurs sources européennes.

Même son de cloche du côté américains comme s’ils se sont passés le mot. Le secrétaire d'Etat Antony Blinken ne dit pas autre chose quand il alerte sur la nécessité pour la Tunisie de trouver un accord avec le FMI, sans lequel l'économie du pays pourrait «s'effondrer». «La chose la plus importante qu'ils puissent faire en matière économique est de trouver un accord avec le FMI», a dit Antony Blinken en réponse à une question lors d'une audition devant le Sénat à Washington.
«Nous les encourageons fortement à le faire parce que le risque est que l'économique s'effondre», a ajouté le chef de la diplomatie américaine.

Ce qui est paradoxal et porte à réflexion, c’est que les Américains et les Européens disposent si on comptabilise les quotes-parts des principaux membres de l’UE (à savoir l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas) de plus du tiers du capital du FMI (17,7% pour les USA et 16,1% pour les quatre pays de l’UE. Ils sont en mesure donc de faire avaliser par le conseil d’administration où leurs représentants siègent le crédit de 1,9 milliard de dollars US sur lequel un accord de principe a été conclu.
Lors de la crise financière de la Grèce entre 2010 et 2011, outre les centaines de milliards de dollars accordés par ses partenaires européens, Athènes a obtenu du FMI un prêt de 28 milliards de dollars dont la dernière tranche de 1,9 milliards de dollars arrivera à échéance en 2024. D’une superficie de 131.957 km2 pour une population de 10,5 millions d’habitants, la Grèce est en tout point équivalente de la Tunisie. Seule différence, la dette publique est de l’ordre de 370 milliards de dollars soit 280% de son PIB. Rien à voir avec la Tunisie dont la dette est de l’ordre de 35,5 milliards de dollars soit 80% de son PIB.

Accorder un prêt de 1,9 milliards de dollars sur quatre ans à la Tunisie (avec des tranches semestrielles) est sans conteste une goutte d’eau si la compare à ce qui est consenti aux autres pays. On la conditionne d’ailleurs à une indispensable contribution de pays frères et amis. L’Italie invite le Qatar et les Emirats à mettre la main à la poche. Selon certaines sources, Kaïs Saïed a pris son téléphone pour requérir un prêt de 500 millions de dollars de l’Emir du Qatar qui ne répond pas à sa doléance.
Américains et Européens qui ont les clefs des caisses du FMI disent en chœur que pour éviter l’effondrement de l’économie tunisienne, le FMI doit accorder le prêt dont l’accord de principe a été obtenu avec la Tunisie. N’est-ce pas à aux qu’ils doivent faire le reproche.

Si la Tunisie met en place une diplomatie active pour faire pression sur ses partenaires américains et européens en vue de sortir de la crise majeure qu’on lui prédit, elle a tous arguments pour avoir gain de cause pour peu que l’on sache comment s’y prendre. L’intérêt pour la Tunisie montre bien que personne parmi nos partenaires ne veuille la laisser tomber. Ses atouts ne sont pas à démontrer, tant ils tiennent de sa position stratégique, de son histoire multiséculaire et de ses ressources humaines à nul autre pareil.
Faudrait-il pour se faire apaiser le climat politique délétère dans le pays et revenir aux constantes d’une démocratie en devenir. Si cela semble être le prix à payer, ce n’est pas cher payé !

RBR

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