Le comble de la médiation, des médias sans médiateurs

Le comble de la médiation, des médias sans médiateurs

 

En 1947, alors que les médias américains étaient accusés de tous les maux, à raison souvent, tombèrent les conclusions de la fameuse commission Hutchins : les médias, presse écrite et radio essentiellement, sont accusés d’irresponsabilité sociale et appelés à l’autodiscipline. La Federal Communications Commission, FCC, créée en 1934, retrouva sa vigueur pour sévir. Suivirent les Européens, essentiellement les Britanniques qui créèrent en 1953 le Conseil de presse.

Les deux piliers de ce rapport furent autodiscipline et responsabilité sociale des médias. Les Britanniques l’ont très vite compris et traduit en régulation et écoute. Ecoute des premiers concernés par les médias, autrement dit le public. Soixante-dix ans plus tard, en Tunisie, l’on se cherche encore. De quels mécanismes le public tunisien dispose-t-il pour faire valoir ses droits vis-à-vis des médias ? A quelles obligations les médias tunisiens sont-ils tenus? La loi, sans plus. Est-elle respectée ? Non, pour l’essentiel.

Non respectée pour l’essentiel puisqu’aucun média audiovisuel, hormis Mosaïque Fm, n’a jugé nécessaire de se plier aux dispositifs règlementaires les obligeant à instituer la fonction de médiateur. La Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle, HAICA, imposant elle-même la médiation au sein des radios et télévisions, privées et publiques, n’a jamais réagi à ces flagrants manquements. Pourquoi ce mutisme, voire cette complicité avec les contrevenants ?

Il y aurait de la jalousie quant aux compétences de la HAICA. La médiation est l’instrument d’autorégulation par excellence alors que la HAICA est le prototype d’une instance de régulation. Deux approches différentes, deux modes opératoires différents et, surtout, deux conceptions différentes de la perception des rapports entre les médias et la politique d’un coté et des rapports entre les médias et le public de l’autre.

Passons outre les considérations politiques qui éclateront au grand jour à l’annonce de la création du Conseil de Presse et focalisons sur les rapports médias-public. Créer un poste de médiateur au sein des radios et télévisions c’est être constamment à l’écoute du public pour gérer les rapports conflictuels, souvent assez tendus, entre les Tunisiens et leurs médias. C’est prendre en compte, sérieusement et institutionnellement, les observations et plaintes des usagers. C’est aussi favoriser le dialogue entre ceux qui produisent les contenus et ceux qui les consomment.

Concrètement le médiateur est la conscience collective qui essaie quotidiennement de détendre l’ambiance, de rectifier le tir et de résoudre à l’amiable les différends entre les professionnels des médias et leurs auditeurs et téléspectateurs, en dehors de la contrainte de la loi et des procédures administratives. C’est en se référant aux exigences du public d’une part et aux règles déontologiques du média de l’autre que le médiateur intervient. Or que se passe-t-il aujourd’hui ?

Auditeurs et téléspectateurs sont sans voix. Au mieux, Ils décompressent sur les réseaux sociaux ou attendent que la HAICA réagisse. Mais qui nous garantit que les mobiles de la réaction de la HAICA coïncident avec  les véritables plaintes du public ? Et de quel droit, dans une démocratie, persiste-on à parler au nom du public ? Mieux encore, pourquoi faire substituer au public une armée d’ « observateurs » au sein de la HAICA pour répertorier les dépassements des médias, le tout aux frais du contribuable ?

Le public n’est pas mineur et il est mieux placé que les observateurs, désignés en son nom, pour dénoncer ce qui le dérange parmi les contenus qui lui sont proposés. Le principe des plaintes formulées par le public, qu’elles soient à l’adresse des medias papiers ou audiovisuels, est la règle partout dans les démocraties. De France l’on se déplace aujourd’hui au Bénin, en Afrique du sud ou en Bulgarie pour observer et apprendre.

Quand on voit que c’est de l’expérience de la BBC, en modèle d’écoute, qu’est née la Press Complaints Commission -ou Commission des plaintes de la presse- en Grande Bretagne l’on comprend la portée et le poids de la médiation, non seulement au niveau interne mais aussi externe, quant à la régulation et mieux encore à l’autorégulation. Il est vrai que ces organes, en Grande-Bretagne ou ailleurs, sont assez souvent critiqués par les médias, les autorités ou le public. Ce fut le cas lors de l'affaire des écoutes téléphoniques illégales du tabloïd News of the World en 2011. La PCC fut accusée de mollesse tellement le scandale était énorme.

Ce fut le cas aussi en 2015 lorsque  L'Office of Communications, OFCOM, l’équivalent de la HAICA toutes proportions gardées, a affirmé que la BBC World News avait violé les règles en diffusant des films de propagande pour des parties étrangères. Mais en aucune manière les mécanismes de plaintes, au sein des médias ni au niveau du paysage médiatique, n’ont été mis en cause. Les médiateurs non plus.

Les plaintes émanant du public mettent la pression sur les médias. C’est vrai qu’elles ne donnent jamais lieux à des sanctions matérielles mais plutôt d’ordre moral bien plus efficaces. Le média amené, par le médiateur ou l’instance en charge de l’autorégulation,  à reconnaitre ses torts sur ses propres ondes ou pages fera plus attention à ses contenus. En revanche des sanctions édictées obligatoirement venues d’en-haut, suspension de programmes ou amendes, nous l’avons vécu, attisent les polémiques et font de la publicité au média incriminé. Allez savoir si les dividendes publicitaires avaient augmenté ou baissé lors de la suspension, pendant un mois,  des deux émissions de El Hiwar Ettounsi.

Il y a un siècle déjà, en 1916, la Suède fonda le premier Conseil de Presse de par le monde, traitant entre autres des plaintes des lecteurs et ressemblant à un tribunal. La tradition faisant son chemin, plusieurs instances, au nord comme au sud, virent le jour en s’adaptant aux circonstances et favorisant régulation et autorégulation au profit des publics. Et c’est de la responsabilité sociale des médias dont il est question, même les médias privés. Surtout les médias privés.

Mohamed Chelbi

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