Le gouvernement Chahed face à des défis socioéconomiques à la pelle
Les Tunisiens vivent dans l’attente de la réalisation du slogan porté lors de leur révolution désillusion, plus de cinq ans après la chute du régime de Ben Ali en 2011. Les revendications sont restées lettres mortes.
Alors que durant la décennie précédente, la Tunisie affichait une croissance annuelle moyenne d’environ 5%, l'économie a fortement ralenti depuis les bouleversements politiques, économiques et sécuritaires qui touchent le pays depuis 2009. En 2015, la croissance est estimée à 1% selon le FMI. Pour 2016, la Tunisie table sur un taux de croissance d'environ 3%.
L’économie tunisienne présente, cinq ans après le déclenchement de la révolution, de nombreuses vulnérabilités qui pèsent sur son potentiel de croissance. A 0,8%, la croissance est quasiment à l’arrêt en 2015, année marquée par l’impact des attentats sur l’économie. La balance courante, le déficit et la dette publics sont des sujets d’attention, tandis que le programme mis en œuvre entre 2013 et 2015 par le FMI n’a pas permis de faire suffisamment avancer les réformes nécessaires.
Dette
La dette s’accroit depuis 2011. Avec un niveau de 53,2% du PIB en 2015. La situation sera certes plus difficile, puisque l’échéancier de la dette publique tunisienne est remarquablement chargé pour les trois années à venir. La Tunisie devra rembourser à ses créanciers 4,3 milliards de dinars (1,9 milliard d’euros) en 2016 ; 5,5 milliards de dinars (2,4 milliards d’euros) en 2017, dont 500 millions de dollars au Qatar ; 4,9 milliards de dinars (2 milliards d’euros) en 2018 et 4,2 milliards de dinars en 2019.
Inflation
L’inflation est encore élevée mais a tendance à diminuer. Elle se situe aux alentours de 3,4% au premier trimestre 2016 . Toutefois, l’inflation ressentie par les ménages est plus forte débouchant ainsi sur une perception largement partagée de dégradation du pouvoir d’achat.
Balance commerciale
Le solde de la balance des transactions courantes est une source de préoccupations. Il s’est établit à environ 9% du PIB en 2015. Si la balance commerciale s’est améliorée sous l’effet de la baisse de la facture énergétique et des résultats exceptionnels enregistrés par les exportations d’huile d’olive, la crise touristique affaiblit très sensiblement le solde courant. Il y a au moins un milliard de dinars (420 millions d’euros) de manque à gagner dans le secteur des phosphates et autant dans les hydrocarbures, en plus de près d’un milliard d’euros dans le tourisme. C’est donc déjà bien que la croissance reste positive. Elle est en effet de 0,7% en 2015. Une dépréciation vertigineuse du dinar en 2015
Agriculture
L’agriculture est un secteur clef de l'économie tunisienne et l'amélioration de sa production ces dernières années a permis de développer le secteur (culture d'oliviers, d'arbres fruitiers et de palmiers). Cela a également permis au pays d’atteindre un niveau de sécurité alimentaire suffisant. L'agriculture biologique est également en plein essor, la Tunisie étant le deuxième pays le plus performant dans cette industrie. L'agriculture assure plus de 8% du PIB et emploie près de 15% de la main-d’œuvre. Ces performances sont la conséquence d’importants efforts de soutien et de modernisation réalisés dans le cadre d’une politique de développement et de régulation des activités agricoles et rurales.
Des reformes sont urgentes afin d’améliorer sensiblement ce secteur. D'abord, le monde rural est dirigé de manière quasiment soviétique car tenu par l'Etat. Un total de 700.000 hectares de terres, d'anciennes fermes de colons français, ont été nationalisées après l'indépendance et n'ont toujours pas été privatisées. Il s'agit d'un stock important de bonnes terres sous exploitées, et donc déficitaires. En plus, 1,8 million d'hectares de terres communales n'ont pas de propriétaire. Enfin, la politique des prix administrés plombe le secteur qui n'est plus rentable. L'agriculture est le seul secteur qui avait soutenu la croissance économique en 2015.
Tourisme
La Tunisie demeure exposée à la menace terroriste sur son territoire. La présence de mouvances djihadistes dans les zones reculées et la surreprésentation de la communauté tunisienne auprès des jihadistes en Libye représentent une menace pour la sécurité intérieure du pays. L'attentat du 18 mars 2015 contre le musée du bardo qui a fait 22 morts et celui de Sousse, le 26 juin (38 touristes tués sur une plage) ont découragé les touristes. La porosité de la frontière libyenne à l'est renforce le risque de débordement du conflit voisin. Un manque à gagner de 1 milliards de dinars en 2015. 2016 s’annonce sous de bons auspices avec l’arrivée massive des russes, polonais et les frères voisins algériens.
Des réformes fondamentales doivent être menées avec les acteurs du secteur pour lui redonner une seconde jeunesse et le rendre plus attractif, plus industriel, plus diversifié et plus performant vis-à-vis de la concurrence étrangère.
Chômage
Le taux de chômage s’élève à 15.3% de la population active mais ce chiffre masque des disparités inquiétantes qui alimentent les troubles ayant éclaté dans le centre-ouest du pays au début de l’année 2016 – disparités entre régions, entre hommes et femmes, entre jeunes et moins jeunes, entre diplômés et non-diplômés – avec ce paradoxe que le taux de chômage des diplômés dépasse aujourd’hui 30%. Les marges de manœuvre budgétaires n’autorisent plus comme au lendemain de la révolution un programme massif de créations d’emplois publics.
La paix sociale
Le pays négocie un virage très important pour son renouveau. Les grèves générales, le manque de dialogue et de négociations sociales ont handicapé l’activité économique ces dernières années. La quasi-totalité de nos conflits sociaux tourne autour de cette incapacité à dialoguer de bonne foi et de bonne intelligence. Le gouvernement lui-même propose souvent le débat lorsque sa décision est déjà arrêtée.
L’actualité nous rappelle, au quotidien, au rôle de la paix sociale dans le développement de notre pays. La croissance économique dépend de la sécurité, de la paix sociale et du retour au labeur. La fin du désordre social est la condition sine-qua-non pour amorcer et réussir ce départ.
Youssef Chahed est parvenu à intégrer deux syndicalistes (Mohamed Trabelsi et Abid Briki) dans son gouvernement en espérant retrouver une paix sociale vitale à la relance de l’activité. Il faut beaucoup de sagesse politique pour faire patienter la classe ouvrière. Le syndicalisme doit assurer sa mutation du revendicatif au t participatif au bon fonctionnement de nos services publics et nos entreprises. Inspirons nous du dialogue social dans les pays du Nord où chacun est gagnant.
Vers quel horizon ?
Tout le monde reconnait que la situation sécuritaire a évolué positivement notamment sous le gouvernement de Habib Essid alors que le volet socioéconomique est toujours en crise aigüe.
Alors que le plan stratégique de développement 2016-2020 est en cours de finalisation (Yassine Brahim), il devient urgent de concevoir et de mettre en œuvre les réformes en mesure de relancer la compétitivité et l’attractivité de la Tunisie. Les bailleurs, souvent déroutés par les carences de la gouvernance économique et financière, continueront à accompagner les efforts que les autorités tunisiennes voudront bien entreprendre
La question de la lutte contre la pauvreté et la marginalisation est toujours posée depuis 2011 aux différents gouvernements successifs. Pour le moment, ce rêve légitime des Tunisiens « Emploi, Liberté, dignité nationale » est loin d’être réalisé. Youssef Chahed réussira-t-il à trouver la solution magique en poursuivant la même politique imposée par le FMI une politique libérale d’austérité et de démantèlement des services publics ? L’innovation est demandée à tous les acteurs
C'est maintenant de dire toute la vérité aux Tunisiens sur la situation catastrophique de la Tunisie afin qu’ils acceptent les indispensables « décisions douloureuses » et les sacrifices pour des jours meilleurs.
Paraphrasons Alexis De Tocqueville « Les Tunisiens ont fait en 2011 le plus grand effort auquel se soit jamais livré aucun peuple arabo musulman. »
Churchill lors de son premier discours devant la chambre des communes promettait « Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur » au peuple britannique. Aujourd’hui cette citation doit être reprise par Youssef Chahed et par chacun des acteurs socioéconomiques dans une répartition juste et équitable des efforts.
Le succès n'est pas final, l'échec n'est pas fatal, c'est le courage de continuer qui compte.
Bonne chance à ce gouvernement et à la Tunisie.
Klai Abdessatar
26/08/2016
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