Le Nord Ouest n’a pas besoin d’aides, mais d’une valorisation de son potentiel dormant
Jamais la région du Nord Ouest n’a été au cœur de l’actualité nationale que ces jours ci et jamais la ville d’Ain Draham n’a été érigée sur un piédestal comme une madone que durant ces journées de grand froid. Il a fallu la conjonction de plusieurs facteurs météorologiques, froid, pluie et neige, qui ont occasionné plusieurs dégâts humains et matériels et provoqué la détérioration du sol et de l’infrastructure, pour que toute la région soit mise sous les feux de la rampe. Avec cet enchaînement médiatique sans précédent pour montrer la misère sous son visage le plus émacié, la précarité de la vie dans des zones montagneuses et difficilement accessibles, les inégalités sociales criardes et le peu d’égard dont a bénéficié cette région des années durant. Les Tunisiens et avec eux le gouvernement ont pris conscience des difficultés dont souffrent les habitants des zones enclavées et sous équipées. Des habitants qui ont appris à endurer la rigueur de la neige et du froid, à vivre dans l’indigence et à prendre leur mal en patience. Mais ils n’apprécient guère cette volonté délibérée des médias de mettre à nu leur misère. Eux qui ont, toujours, eu le sens de l’honneur et de la dignité. La chaine de solidarité qui s’est développée pour secourir une population en proie à tous les malheurs, si elle est appréciable en ces temps de rigueur, ne doit pas tourner, pour certains politiques, élus de la région en tête, à l’exhibitionnisme ni être exploitée à des fins politiques. Les dysfonctionnements constatés tant au niveau de la prévention, de la logistique, de l’organisation et de la coordination n’ont fait qu’ajouter aux souffrances de la population.
Le château d’eau coule sous ses eaux
Cette situation n’est pas nouvelle et elle se répète au moins une fois tous les trois ou quatre ans. La dernière fois où la région a connu les mêmes effets de la vague de froid, c’était en cette même période de 2013. Déjà, à chaque fois que la Mejerda gronde et sort de son lit, c'est le Nord-Ouest, château d'eau de la Tunisie, qui coule sous ses eaux. Et ce sont les villes de Jendouba, Bousalem, Béja et Medjez El Bab qui se trouvent sinistrées. Mais c'est surtout la paisible petite ville de Bousalem qui coule et ses habitants qui se trouvent dans le pétrin.
La Mejerda, qui prend sa source à Souk Ahras en Algérie avant de se jeter dans la Méditerranée, s'étend sur 450 kilomètres dont 350 en Tunisie. Elle est devenue une source de vie pour les agriculteurs et a favorisé le développement de la culture d'irrigation. Mais elle a, de tout temps, représenté un danger pour la région. Déjà en 1937, à la suite de pluies diluviennes, l'oued a débordé, provoquant de grandes crues et occasionnant de gros dégâts aux hommes, au sol, au bétail et aux habitations. Pour mieux exploiter les débits que charrie cet oued, on a créé «un Office de la mise en valeur de la vallée de la Mejerda» dont la principale mission est de lutter contre les inondations, en plus de «l'assainissement et du drainage, la défense et la restauration des sols».
Une cinquantaine d'années après, en 1973 exactement, la catastrophe n'a pu être évitée et les villes de Jendouba et Bousalem furent submergées d'eau à la suite de pluies exceptionnelles. C'est que la Mejerda, qui traverse des plaines soumises à une forte érosion, «charrie d'importantes quantités d'alluvions et un grand apport de sédiments dans le golfe de Tunis ». La construction du barrage Sidi Salem, le plus grand en Tunisie, sur la plaine de Oued Zarga dans le gouvernorat de Béja et dont les travaux ont duré quatre ans(1977-1981), a permis une meilleure exploitation des eaux de pluie mais n'a pas pu juguler les crues.
Atouts et richesses inexploités
Le Nord ouest qui regroupe quatre gouvernorats, le Kef, Jendouba, Béja et Siliana est doté de plusieurs atouts et richesses naturelles. Couvrant une superficie d’un peu plus de 16.000 kms2, soit environ 10% de la superficie totale du pays, il assure plus de la moitié (60%) de la production céréalière nationale, renferme 75 % des réserves d’eau et dispose de 40% de des ressources forestières du pays. Des richesses naturelles qui font de la région, « le château d’eau, le grenier et le poumon de la Tunisie ». Son sol a recelé, jusqu’à un passé récent, des richesses considérables en zinc, phosphate, plomb, fer, barytine. Plusieurs sites miniers, maintenant fermés, notamment dans le gouvernorat du Kef, ont longtemps constitué de véritables recours pour une population à la recherche d’emplois stables. La proximité de la forêt et de la mer, Ain Draham et Tabarka notamment, et une archéologie qui témoigne d’une histoire fort ancienne, numide, carthaginoise et romaine devaient assurer à la région un avenir touristique prometteur. Des noms comme Sicca Vénéria(Le Kef), Bulla Regia, Mactaris (Maktar), Dougga, de son nom antique Thugga, la table de Jugurtha (Kalaat Senam), Mdaina… qui témoignent de la présence d’anciennes civilisations, sont peu connus et très peu visités.
En même temps, de toutes les régions de la Tunisie, c’est celle où la population a été la plus paupérisée et la plus déracinée. En 1980, la population des quatre gouvernorats représentait 16% de la population totale du pays. Plus de trente après, elle ne représente plus que 8%. L’explication se trouve dans l’exode massif vers les grandes métropoles, Tunis surtout, mais aussi vers l’étranger, qui a caractérisé la région et qui s’est accéléré tout le long des trois dernières décennies au point que qu’elle connait le plus faible taux de croissance du pays avec 0.7% contre 17.1% pour le grand Tunis, par exemple.
Des caractéristiques communes
La région du Nord ouest présente des caractéristiques communes qui permettent de faire « une synthèse logique et cohérente des situations existantes dans les 4 gouvernorats et surtout, d’approcher de manière efficace un développement intégré au niveau de l’ensemble de la région ». Il faudrait, par conséquent, « revoir le système institutionnel régional, réviser les plans d'aménagement du territoire, réétudier le financement des projets dans les régions et mettre en place une nouvelle stratégie du développement régional ». Et c’est au gouvernement de montrer l’exemple en initiant un modèle de développement qui prenne en compte les atouts de la région et ses potentialités en ressources humaines et naturelles et leur valorisation optimale. Avec des secteurs comme l’agro alimentaire, les carrières, les mines (Sra Ouertane attend encore d’être exploitée), mais aussi le tourisme avec le pole Ain Draham-Tabarka, l’université de Jendouba créée en 2003 et censée constituer un moteur de promotion, elle peut prétendre à un nouveau modèle de développement qui pourrait se concrétiser en une véritable « stratégie de développement » s’inscrivant dans le long terme et participant d’une approche prospective et efficiente et non «d’une approche misérabiliste qui s’inscrit dans une optique de sauvetage». «Il est impératif, en effet, de valoriser le potentiel dormant de la région qui n’a pas été, jusque-là, suffisamment exploité et exploré».
B.O
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