Le témoignage de Imed Trabelsi portera-t-il un coup fatal au projet de réconciliation ?
Rasé de près, le visage avenant, le verbe facile avec un vocabulaire bien recherché, Imed Trabelsi, le neveu de Leïla Ben Ali, la femme de l’ancien président a montré, lors de l’audition de l’IVD diffusée vendredi soir une humilité qui tranchait avec l’arrogance de son oncle Belhassen Trabelsi lors de son unique sortie télévisuelle sur une chaîne privée. Enregistrée dans un bureau de la prison de Mornaguia, cette audition semble avoir été bien préparée. Peu de complices sont cités nommément. Les détails donnés sur les malversations dans lesquelles il a trempé se voulaient une méthode de défense puisqu’il s’est évertué à banaliser son rôle. Ainsi selon ses dires, il a enfreint peut être à la loi, mais sans une volonté délibérée de le faire. Puisqu’il s’est toujours conformé à l’apparence des textes, il n’est pas à blâmer. Ce qui doit l’être c’est le système qui lui a permis d’avoir les facilités liées à son statut de proche de l’épouse de l’ancien chef de l’Etat. D’ailleurs, Ben Ali ne l’aimait pas beaucoup, a-t-il affirmé en préambule. Evidemment, il n’est pas le seul. Sans parler des plus favoris que lui dont le bien-aimé gendre Sakhr El Matri à qui on ne dit jamais non, il y a aussi d’autres profiteurs qui ne sont pas forcément de la famille et des proches et qui, eux n’ont pas été inquiétés. Selon lui, le système de prébendes et des trafics de tous genres n’a pas cessé après la révolution, il s’est même élargi avec parfois les mêmes profiteurs. « Oui j’ai fauté, oui j’ai enfreint à la loi mais je l’ai fait, peut-être, par ignorance, mais non par arrogance ou par appât du gain, je le regrette et je demande pardon aux Tunisiens. Je suis en outre prêt à dédommager ceux à qui j’ai pris quelques choses. Sept ans de prison ça suffit. J’ai laissé ma fille à l’âge de deux mois, elle a maintenant 8 ans, quand est-ce je vais m’occuper d’elle » dit-il les yeux vides presqu’embués de larmes avec l’intention d’émouvoir ses spectateurs dans une imploration qui semble réglée avec soin.
Le tarfic de bananes accaparé
Cependant, à l’entendre il a bien trempé dans des trafics totalement illicites. Ainsi reconnaît-il avoir profité d’une rente de quasi-monopole dans l’importation des bananes avec un partenaire qu’il n’a pas nommé et à qui il a fait intervenir sa tante pour lui supprimer une amende de 20 millions de dinars qui allait, selon ses dires, le ruiner et en plus la tête du directeur général de la douane de l’époque Ali Trabelsi. Depuis, les douaniers du port de Rades ont été pratiquement mis à sa disposition avec qui il a, également, mis en place un système d’importation de téléviseurs, de conditionneurs d’air, de fruits secs, de spiritueux ou de tabac pour narguilé introduits sous le fallacieux régime du dépôt sous douanes accordé aux entreprises exportatrices assujetties à la loi 1972. Le même système servait pour l’exportation du cuivre provenant de Libye.
Mais à part cela, il n’a rien fait d’illégal, cherche-t-il à faire valoir. S’il a été un promoteur immobilier il n’a rien entrepris qui soit en dehors du texte de la loi. Il avoue que ses demandes, toujours conformes à la loi sont diligentées par l’administration dont les agents tiennent une « bourse » des personnes qui sont dans les faveurs de la tête de l’Etat. Il déclare même que son entreprise de bâtiment et de travaux publics a gagné un appel d’offres en étant de loin la moins-disante. Toutefois, le ministre dont il n’a pas révélé le nom lui a demandé de retirer son offre en lui proposant d’être dédommagé par un tour de tables, ce qu’il allait refuser quand bien même ses partenaires italiens étaient d’accord pour le faire.
Sur l’histoire du yacht français volé en pleine mer avant d’être emmené au Port de plaisance de Sidi Bou Saïd, il a cherché à se disculper. J’ai été acquitté par le tribunal tunisien qui a eu à juger l’affaire, dit-il mais en passant sous silence le marché fait avec les autorités françaises de l’époque pour transférer le procès à Tunis dans la mesure où il est interdit par la loi d’autoriser l’extradition de nationaux. C’était aussi pour passer l’éponge sur une affaire qui a défrayé la chronique et que l’ancien président cherchait à dégonfler pour éviter ses effets négatifs sur les relations avec la France, avec l’assentiment des autorités françaises de l’époque parlaient de « miracle tunisien ». Sur tout cela il fait l’impasse.
Le témoignage reste incomplet
Un seul nom est cité dans cette audition un peu particulière, celui de l’actuel PDG de la compagnie Tunis Air Elyes Mnekbi. Colonel de l’armée de l’air le 14 janvier 2011, c’est lui qui était présent à l’aéroport militaire de l’Aouina où les proches de l’ancienne famille « régnante » étaient rassemblés alors qu’ils avaient l’intention de quitter le pays par les airs, sur les pas de Ben Ali et de sa famille qui ont pris l’avion pour l’Arabie Saoudite. Selon lui, l’officier supérieur qui se préparait à le battre en a été dissuadé par un ami commun. Il lui a même proposé de quitter le pays avec les membres de sa famille pour peu qu’il puisse avoir à sa disposition un avion à cette fin. Ce qu’il avait réussi à obtenir de ses amis italiens. La fuite devait avoir néanmoins l’assentiment du Premier ministre de l’époque Mohamed Ghannouchi. Mais celui-ci a refusé son autorisation, ce qui devait mettre fin à ce plan. Cette histoire sonne comme un désaveu pour un homme qui semblait jusque là irréprochable.
L’IVD nous a habitués de faire parler les victimes. C’est la première fois qu’on entend le témoignage de quelqu’un qui est classé parmi les bourreaux de l’ancien régime. Le témoignage reste néanmoins incomplet puisqu’on ne sait pas ce qu’en pense le chef du Contentieux de l’Etat qui est dans le cas de l’espèce le représentant de la victime.
Toutefois, le timing de ce témoignage de l’un des proches de la femme de l’ancien président est bien voulu à un moment où le projet de loi relatif à la réconciliation économique et financière est en examen dans la commission de législation générale de l’Assemblée des représentants du peuple. Il a démontré que la corruption a été rendue facile par les services de l’administration et que certains hauts fonctionnaires de l’état y compris quelques ministres étaient complices dans ce genre d’affaires. Par un simple coup de fil passé du palais de Carthage, tout devenait possible y compris l’effacement d’une amende aussi importante soit-elle, le limogeage d’un haut responsable consciencieux ou encore l’attribution d’un marché juteux en violation des règlements en vigueur. Ce témoignage risque donc de porter un coup fatal au projet de réconciliation économique et financière qui divise actuellement la classe politique, en forunissant des arguments à ses pourfendeurs.
RBR
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