L’École en Tunisie : une crise profonde qui perdure

L’École en Tunisie : une crise profonde qui perdure

“ Toutes les doctrines, toutes les écoles, toutes les révoltes, n'ont qu'un temps.”

Les établissements scolaires (écoles, collèges et lycées) accueillent, à partir de lundi 16 septembre, 2 millions 354 mille 820 élèves, soit une augmentation de 2% par rapport au nombre d'élèves de l'année scolaire précédente, selon des données fournies par le Ministère de l'Éducation.

Ces élèves sont répartis comme suit : 1 million 92 mille 220 sont inscrits au cycle primaire, y compris ceux des classes préparatoires, et 1 million 262 mille 600 élèves inscrits aux collèges (enseignement général et technique) et lycées.

L’actuelle rentrée scolaire enregistre également une augmentation du nombre des classes (814 nouvelles classes) portant ainsi leur nombre total à 90 635, réparties en 37 892 classes au niveau primaire, y compris la classe préparatoire, et 52 743 classes aux collèges et lycées.

Selon les données du département de l'Éducation, une légère augmentation de 0,4 % a été enregistrée au niveau du nombre des enseignants (titulaires et contractuels), au cours de l'année scolaire en cours, soit une augmentation de 636 nouveaux enseignants, portant le nombre total d'enseignants à 154 mille 779.

Le nombre d'établissements éducatifs a augmenté, également, au cours de la rentrée scolaire 2024-2025. Ainsi, 37 nouveaux établissements ont vu le jour, portant leur nombre total à 6 163 établissements, selon la même source.

Depuis l’indépendance, la stratégie nationale de l’éducation a toujours lié l’instruction au progrès social. À partir des années 1980, cette vision n’a plus collé à la réalité. Pis encore, l’enseignement, surtout à l’université, est devenu synonyme de chômage et de lourd fardeau financier pour la famille. Cette réalité influence considérablement le moral des élèves qui décrochent de l’enseignement public et préfèrent (pour ceux qui ont les moyens) les institutions privées. En plus, avec les transformations du marché du travail et leur inadéquation avec un système d’éducation usé et mal réformé, l’absence de considération vis-à-vis du savoir et de l’éducation, à leur juste valeur, n’a pas aidé à améliorer la situation.

Puisse l’année 2024-2025 être l’année d’un retour durable à un rythme normal de scolarité à temps complet pour chaque enfant, et se couronner de réussites et de nombreux succès pour toutes et tous ! Excellente année scolaire

Des données inquiétantes : “Si l'ennui était mortel, l'école serait un cimetière.”

Vu la crise profonde que l’école publique tunisienne traverse, la situation pousse au désespoir et au pessimisme.

En Tunisie selon l’enquête réalisée par l’Institut national de la statistique (INS) et le ministère de l’Économie et de la Planification, le taux de scolarisation au niveau du cycle primaire a baissé, au cours des 10 dernières années, atteignant 92,2 % en 2023 ; contre 96,9 % en 2018 et 98 % en 2012. Le taux de scolarisation au 1er cycle de l’enseignement secondaire a atteint 76,5 % en 2023, contre 82 % en 2018.  36 % des enfants âgés de 7 à 14 ans ne possèdent pas les compétences de base en lecture. Et 68,3 % de cette même tranche d’âge n’ont pas les compétences de base en calcul.

On s'approche, aujourd'hui, de plus d’'un million de jeunes désespérés. Les chiffres sur le décrochage scolaire, font honte dans un pays où l'enseignement est obligatoire, 110 mille élèves dont dix mille du cycle primaire ont abandonné les bancs de l’école.

L'absentéisme des enseignants constitue un phénomène inquiétant mais il est inadmissible de voir celui qui œuvre à créer l'intelligence croupir au bas de l'échelle de la rémunération de la fonction publique.

Les données délivrées par le département des études, de la planification et des systèmes d’information au ministère de l’Éducation confirment que le phénomène de la violence en milieu éducatif est devenu très grave. Elles montrent que le ministère de l’Éducation enregistre chaque année entre 13 000 et 21.000 cas de violence dans les établissements éducatifs, en particulier dans les collèges et les lycées.

Des réformes nécessaires

Une école Tunisienne qui connait de graves problèmes. Il est temps d'offrir une autre alternative en la transformant en profondeur pour qu’elle soit le ferment d’une société qui tourne le dos à l’individualisme, l’égoïsme et la loi du plus fort. Cela ne se fera pas tout seul. Mais comment parler de réforme quand on change tous les six mois de Ministre ?

D’abord, celui de l’argent : Le budget du ministère de l’Éducation représente environ 15 % du projet de budget général de l’État pour 2024, et est le plus élevé par rapport au reste des budgets alloués aux autres ministères, suivis respectivement par les budgets de l’industrie, de l’intérieur, de la défense et de la santé.

L’État, qui consacre, en 2024, 7,91 milliards de dinars, contre 7,55 milliards de dinars dans la loi de finances complémentaire de 2023 à l’éducation dans son ensemble ne peut suivre indéfiniment cette augmentation sans remettre son équilibre budgétaire en cause. Les dépenses de rémunération pour l’année 2024 représentent l’essentiel des dépenses. , s’élevant à environ 6,7 milliards de dinars. Que reste-t-il pour la réhabilitation de plus de 6252 écoles et instituts publics ?

De leur côté, les parents trouvent que les études leur coûtent déjà trop cher et sont pourtant appelés à payer davantage dans les années à venir. Souvent, les familles s'endettent pour que les jeunes fassent des études et puissent, en retour, les aider. Mais aujourd'hui, par manque de débouchés professionnels, les jeunes reviennent au contraire comme charge supplémentaire. Ils sont obligés de faire des petits boulots non qualifiés pour survivre ou être chômeur de longue durée. Le retour vers la famille est alors vécu comme une humiliation, un échec personnel. C'est presque une mort sociale.

Ensuite, celui de la qualité et de l’adaptation des formations.  Le nombre de diplômés du supérieur, qui a déjà doublé au cours des dernières années, ira crescendo, pour atteindre plus de 11306 à l’issue de l’année universitaire 2023, contre 7741 en 2018. Il va falloir leur offrir d'une part des choix de formation mieux adaptés à leur profil et d'autre part répondre aux besoins futurs du marché de l’emploi en Tunisie et à l’étranger, notamment dans les pays africains et du Moyen Orient. Il faut développer des liens de coopération Sud-Sud bénéfiques aux différents partenaires.

Et enfin, une école citoyenne solidaire : C’est une école au service d’une société juste et qui construit l’indispensable mieux vivre ensemble. Et c’est bien ce dont nous avons particulièrement besoin aujourd’hui, à l’heure où la société se délite sous les coups de boutoir de l’argent-roi, du profit à outrance et du chacun pour soi. L’école publique doit aussi contribuer à la prise de conscience des élèves citoyens. Si l’école publique devait toujours être le lieu où l’on apprend les « fondamentaux » – lire, écrire et compter –, sa mission civique doit être aussi de former des citoyens libres et éclairés qui sauraient faire prévaloir les exigences de la raison et de la conscience contre toutes les idéologies discriminatoires, ethniques, intégristes qui portent la haine et la guerre dans leurs fondements.

Dans « Comment je vois le monde », Albert Einstein écrivait :

« Chers enfants ! Pensez bien à ceci : les choses admirables que vous apprenez à connaître dans vos écoles sont l'œuvre de nombreuses générations, créée dans tous les pays de la terre au prix de grandes peines et d'efforts passionnés. Tout cela est déposé entre vos mains comme un héritage, de manière que vous le recueilliez, que vous le vénériez, que vous le développiez et que vous le transmettiez un jour fidèlement à vos enfants. C'est ainsi que nous, mortels, nous sommes immortels dans cette chose que nous créons en commun, contribuant à des œuvres impérissables. »

Je citerai aussi Victor Hugo vu le grand rôle joué par l’école dans nos sociétés : Celui qui ouvre une porte d'école, ferme une prison.

Le débat est ouvert à tous alors que la rentrée scolaire vient de démarrer, que vous soyez élèves, enseignants, parents, responsables d'éducation, intervenants dans le domaine, ou syndicalistes, apportez votre contribution pour que l'école devienne un lieu d'éducation à la citoyenneté au sens large du terme et un lieu d'épanouissement de l'individu au profit de l'intérêt général du pays.

Abdessatar Klai

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