L'économie tunisienne ou le culte de l'idéologie de rente !
Par Mahjoub Lotfi BELHEDI, Spécialiste en réflexion stratégique
Contrairement à la corruption ou toutes autres formes de délinquance en « col blanc », l'économie de rente revêt un caractère légal via une batterie de lois, décrets, circulaires visant à la protection des privilèges économiques de quelques-uns à l'abri de la concurrence et ce au détriment de toute logique d'efficience économique et d'équité sociale !
En parfaite démarcation aux systèmes rentiers établis en Libye et en Algérie provenant principalement des ressources naturelles, l’économie de rente tunisienne repose :
- d’une part, sur les ressources créatrices d'opportunités d'affaires, captées par des cartels de familles à travers un régime d’autorisations et de licences,
- d'autre part, elle s’appuie sur une longue histoire remontant à l'ère beylicale au point de devenir une spécialité tunisienne au goût appétissant pour une poignée de cartels et des groupes de pression et aux saveurs hautement amer pour une large partie de la population, se traduisant par une série de textes, des mécanismes et des règles parfaitement intégrés et légitimités par les différents systèmes politiques. Cette économie n'évolue pas en marge du système politique en place, au contraire, elle vit en symbiose avec lui, se nourrit de ses faiblesses et de ses opportunités.
D'après l’économiste tunisien Elyes Jouini, auteur du « plan du jasmin», cette économie «correspond à la situation dans laquelle l’Etat, pour consolider sa capacité à juguler tout débordement, s’appuie sur un groupe ou sur une élite, dont les membres jouissent de privilèges, d’un accès facilité aux emplois, aux agréments, aux financements, en échange de leur soutien à l’Etat… cette économie de rente a pu se justifier dans les années 70 et 80, lorsque l’Etat a voulu sortir d’une économie administrée pour faire naître une génération d’entrepreneurs.
Nombre d’entre eux étaient alors hauts fonctionnaires, commerçants… or, les élites économiques et politiques des années 70 ne sont pas celles d’aujourd’hui...», tout en évoquant en caractère gras que «La rente est plus pernicieuse que la corruption parce qu’elle s’appuie sur des bases légales mais elle est également plus dangereuse car elle génère tous les excès, elle fait le lit de la corruption et du népotisme. Elle engendre l’économie parallèle qui est, par certains aspects, le rejet du système rentier et de ses quasi-monopoles. La rente empêche aussi l’accès des nouveaux entrants et constitue la principale cause de la quasi-absence de grandes entreprises tunisiennes d’envergure internationale… ».
Mais la question totalement négligée par les contestataires du système rentier (à titre d’exemple l’association Alert) est la suivante : Est-ce le phénomène de rente est l'apanage de quelques familles tunisiennes ? Ou au contraire, sommes-nous en présence d’une économie de rente à multiples acteurs et facettes ?
En effet, pour des raisons intrinsèquement historiques (la génétique commune de l’UGTT et du Parti Socialiste Destourien) et en vue de maintenir un certain équilibre de "dissuasion" entre différents groupes sociaux, l'Etat tunisien a favorisé, depuis l’indépendance, l’émergence d'une oligarchie syndicaliste puissante en termes socio-économiques.
Sur le plan social, l'UGTT a pu durant des décennies - au moins dans les apparences - jouer le rôle de firewall contre toute mesures antisociales prises par les pouvoirs politiques.
Ce rôle savamment mené par la centrale syndicale dissimule des longues périodes de connivence explicite / implicite avec les pouvoirs en place (surtout sous le règne du régime Ben Ali) aboutissant à la genèse d'un nouveau produit de rente á caractère hybride reposant sur une plateforme d’activités économiques légalement reconnue (hôtel, assurance, agence de voyage, coopérative de pêche …) et à la diffusion d’une culture rentière d'abus et de népotisme surpassant la sphère économique publique pour atteindre toute une société en quête illusoire d’un positionnement réconfortant …
Cette économie rentière de typologie particulière - qu'on puisse nommer de cartel syndical bien structurée tout autour d'un Etat major et des brigades de fantassins à l’échelle régionale - ne cesse de générer une multitude de sous régimes rentiers à caractère corporatif (corps d'avocats, d'experts-comptables, de médecins …) où chaque profession revendique sa part légitime du gâteau rentier issue des textes législatifs et réglementaires en vigueur ...
Dans cette situation d'indivision généralisée et chronique du système rentier, l'idéologie rentière prospère étouffant toutes alternatives de salut ou de relance économique !
Votre commentaire