Les leçons d’un vote : Nidaa pitoyable, Ennahdha sûr et Chahed en sursis?

 Les leçons d’un vote : Nidaa pitoyable, Ennahdha sûr  et Chahed en sursis?

 

La description que fait une journaliste du point de presse impromptu convoqué samedi en début d’après-midi au Palais du Bardo par le groupe Nidaa Tounés pour annoncer son revirement quant au vote de la confiance en faveur du nouveau ministre de l’Intérieur est, on ne peut plus, parlante.

C’est un Hafedh Caïd Essebsi au teint livide et à la mine déconfite, qui assiste, silencieux au point de presse, les yeux regardant le bout des pieds, le téléphone à l’oreille pour montrer qu’il était occupé.

Alors que le président du groupe Sofiène Toubel annonçait la nouvelle d’une voix chevrotante, il est rabroué par son chef au sujet de la condition qu’il semble mettre à cette volte-face, le retour de Youssef Chahed dans dix jours au Parlement pour solliciter un vote de confiance.

Le point de presse se termine dans le brouhaha, les députés présents dont certains venaient de faire devant la plénière le réquisitoire du gouvernement Chahed n’y comprenaient rien. Car on leur demande pas moins de tourner casaque et d’encenser celui qu’ils venaient à l’instant de tailler en pièce.

Sans dire un mot, le directeur exécutif quitte le point de presse le regard hagard alors que ses lieutenants essaient de faire contre mauvaise fortune bon cœur. En moins de vingt-quatre heures, Nidaa Tounés version Hafedh Caïd Essebsi a commis des fautes impardonnables en politique.

En effet, la veille le numéro1 de ce parti a sonné le tocsin appelant le groupe parlementaire à une réunion devant arrêter la position à prendre quant au vote de confiance. Tout le monde savait que le vœu du patron était de dire non à Youssef Chahed et à son poulain car il était persuadé, à raison, que le chef du gouvernement voulait utiliser cette carte pour renforcer son autorité.

Alors 39 députés sur les 55 membres du groupe se réunissaient dans un silence lourd et sachant ce que HCE voulait se sont entendus par un vote secret, décidé pour faire le maximum de pression sur les récalcitrants-et on ne sait qui en a eu l’idée- de refuser la confiance par 21 voix, contre 12 et 6 abstentions. HCE pouvait partir tranquille les mains dans les poches après avoir obtenu ce qu’il voulait.

Mais au saut du lit samedi matin, voilà qu’une vingtaine de députés nidaïstes annoncent par la voix d’un de leurs, Jalel Ghédira sur une radio privée qu’ils voteront la confiance en dépit de la consigne du parti.

Evidemment, c’est le branle-bas de combat car entretemps, le groupe de l’UPL qui s’est fait un peu oublier suite aux démêlées judiciaires de son ex-président Slim Riahi annonce qu’il va accorder la confiance.

Surtout que la veille comme par enchantement l’interdiction de voyager qui le frappait a été levée. On murmure même que le gel de ses biens et avoirs va être lui aussi rapporté.

De même, le groupe Al-Horra de Nidaa Tounés, sur lequel on comptait pour que la confiance ne fut pas accordée est traversé par des divisions les uns voulant s’abstenir alors que d’autres sont favorables à la confirmation de la nomination du nouveau ministre.

Pour préserver l’unité du parti dirigé par Mohsen Marzouk, l’idée de demander un report de la plénière en vue surseoir au vote de confiance est même avancée sans la moindre chance qu’elle soit retenue.

Alors que le chiffre des présents à la plénière était donné par le président de l’Assemblée, Mohamed Ennaceur, soit 168 députés, ce qui est un record pour un samedi après midi en pleine canicule, il apparaissait, avant que le chef du gouvernement ne prenne la parole devant les députés que le vote de confiance était acquis et que rien n’allait arrêter le train déjà en marche.

Coaché ou non par son président de père, le directeur exécutif arrive au Palais du Bardo-pour l’anecdote il débarque en même temps que Youssef Chahed- pour suivre de près l’événement. Il était d’ailleurs précédé par le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi qui même s’il est sûr que ses consignes seront respectées, voulait être sûr qu’il n’y ait aucune voix discordante.

Dans un accès de sagesse, ou parce que les jeux sont faits, c’est le revirement à 180 degrés. Une volte-face qui a pris tout le monde de court y compris les députés de Nidaa Tounés favorables à la direction exécutive, à l’exemple du porte-parole de celle-ci, Mongi Harbaoui, qui se sont lancés quelques minutes plus tôt dans des diatribes et de sévères réquisitoires contre Youssef Chahed et son gouvernement. disant sans entournures ni figures de style qu’ils n’accorderaient pas la confiance requise.

Passé le moment de surprise, le reste de la séance n’apportait rien de neuf. Le vote de confiance allait passer comme une lettre à la poste avec 148 voix pour c'est-à-dire plus des deux tiers des membres de l’assemblée.

Seuls 21 députés, ont refusé leur confiance : 13 ont voté contre et 8 se sont abstenus, c'est-à-dire moins que les 27 députés inscrits aux groupes du Front populaire et celui dit démocratique, qui tous les deux ont annoncé franchement qu’ils n’accorderaient pas leur confiance.

Si le vote de confiance est indéniablement dans l’intérêt de la Tunisie puisqu’il concerne la confirmation du ministre de l’Intérieur dans cette conjoncture sensible marquée par des menaces terroristes toujours possibles comme partout ailleurs du reste, il ne fait pas de doute que Youssef Chahed va en profiter pour renforcer son autorité sur le gouvernement. Le remaniement ministériel plus large dont il parlait devenait d’actualité.

Le mouvement Ennahdha qui n’a eu de cesse de proclamer son soutien à Youssef Chahed et qui a été le premier à annoncer qu’il votera favorablement la confiance au nouveau ministre de l’Intérieur, Hichem Fourati sort renforcé de cette épreuve.

Après sa victoire aux élections municipales, où il a occupé la première place des partis en compétition loin devant Nidaa Tounés, une victoire amplifiée lors du choix des présidents des conseils municipaux, le mouvement islamiste confirme qu’il est un parti qui sait allier stratégie de redéploiement avec une tactique bien rodée de s’allier aux tenants effectifs du pouvoir.

La politique de consensus menée avec Béji Caïd Essebsi est en voie d’être préservée avec Youssef Chahed qui représente pour lui l’avenir.

D’aucuns parlent d’un deal entre Ennahdha et le chef du gouvernement qui justifierait le soutien inconditionnel qui lui est témoigné. Mais on ne peut qu’en être surpris car quels sont les termes de ce deal s’il peut mettre en danger la politique de consensus mise en œuvre entre les deux compères, BCE et Rached Ghannouchi. Quand bien même cela est envisagé, n’est-il pas de la part d’Ennahdha sa manière de mettre en œuvre la formule si chère à Caïd Essebsi père de « la patrie au dessus des partis ».

Ce vote sera-t-il sans conséquences sur la suite des événements. Ce n’est pas si sûr. Pour Nidaa Tounes, il ne semble pas qu’il y ait la moindre intention d’en tirer les conséquences qui s’imposent. La guerre contre Youssef Chahed n’a pas l’air de s’arrêter en si bon chemin.

Ce parti veut la tête du chef du gouvernement et il n’aura de cesse de la réclamer. Avec l’appui de la centrale syndicale UGTT qui n’en démord pas à vouloir pousser Chahed vers la porte de sortie.

Au lieu de se remettre en question, et de rechercher des voies et moyens pour se repositionner sur la scène politique, y compris en convoquant un congrès national, la direction nidaïste risque de faire de la fuite en avant, à moins que la sagesse ne l’emporte, ce qui ne semble être la chose la mieux partagée au sein de ce mouvement.

Ce qui importe le plus c’est la réaction du président de la République à ce vote de confiance. Va-t-il s’en satisfaire, lui qui a appelé Chahed soit à démissionner, soit à aller devant le Parlement. Même s’il va s’accommoder du résultat de ce vote, il n’est pas sûr qu’il n’en tiendra pas rigueur au parti Ennahdha qui a soutenu le chef du gouvernement jusqu’au bout lui permettant de gagner une bataille.

Mais Youssef Chahed gagnera-t-il pour autant la guerre. Ça c’est une autre paire de manche.

RBR

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