Les médias étrangers et la Tunisie : un mauvais procès ou une vraie querelle
Il a suffi que le président de la République pointe du doigt la presse étrangère accusée d’avoir « exagéré » la portée des troubles ayant accompagné les protestations qui ont pour origine la flambée des prix, pour que le hiatus entre les tenants de l’ordre fort d’une part et les adeptes de la liberté débridée d’autre part se fait jour rappelant aux Tunisiens un passé pas lointain où les médias internationaux étaient rendus responsables de beaucoup de maux dans lesquels le pays se débattait.
Ainsi la couverture d’événements qui ont bien eu lieu donne-t-elle lieu à des controverses. Aucun ne peut nier que des affrontements, des échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre ont été enregistrés ça et là et que des pillages, braquages, vols et autres formes de violence se sont déroulés sur fond de protestations sociales. Du reste les médias tunisiens en ont rendu compte en long et en large. Les photos et autres vidéos diffusées à cette occasion sont pour la plupart prises par des reporters tunisiens.
A moins de vouloir imposer le silence, c’est-à-dire le black-out sur ces événements, ce qui est impossible à l’ère des réseaux sociaux et des médias alternatifs, on ne pourrait empêcher la presse étrangère comme les médias locaux de couvrir ces événements ou simplement d’en parler.
Comme la liberté de la presse est un tout indivisible, on ne peut en défendre l’exercice par les médias nationaux et trouver que la presse étrangère en fait un usage excessif ou exagéré. Est-ce parce qu’ils lui consacrent leur une ou l’ouverture de leurs journaux radiodiffusés ou télévisés que les médias internationaux sont accusés d’en avoir trop fait. La hiérarchie des informations relève de l’appréciation des responsables des médias mais personne ne peut contester que les événements se déroulant en Tunisie méritaient une place de premier ordre d’autant plus qu’ils coïncidaient avec une date-phare celle de la victoire de la révolte ayant eu lieu sept ans auparavant. Celle de la révolution du jasmin ayant enclenché ce qu’on appelé « le Printemps arabe » qui reste un moment historique à nul autre pareil.
D’ailleurs si on peut faire un reproche à la presse étrangère c’est d’avoir mis en rapport les événements récents avec cette date historique. Mais là aussi ce reproche tombe à l’eau, car la presse nationale elle aussi a fait le même parallèle parlant de climat de morosité, de « mécontentement social qui enfle » ou de « colère face à la persistance des maux -pauvreté, chômage et corruption- à l’origine de la chute de la dictature » comme le fait le Courrier international qui reprend d’ailleurs l’article d’une journaliste tunisienne.
Celle-ci prend soin d’écrire d’ailleurs que « Si l’idée de protester contre les augmentations des prix était du goût de nombreux Tunisiens, la tournure prise par les manifestations est loin de faire l’unanimité. Et pour cause, des vols, des braquages, des altercations musclées avec les forces de l’ordre et de nombreux dégâts matériels [ont été] enregistrés. »
Quoi de plus normal dès lors que de faire des analyses de la situation et des comparaisons entre les espoirs nés un certain 14 janvier 2011 et la réalité vécue sept ans plus tard. La presse tunisienne s’en est donnée à cœur joie et si on reprend les articles publiés sur le plan national on se rendra bien compte que les médias étrangers ont été plutôt magnanimes. Sur ce terrain, il ne faut pas regarder par le seul prisme de la couverture télévisée, toujours réducteur quand bien même il semble avoir une influence toujours démesurée sur les téléspectateurs.
Cela justifie-t-il pour autant un contrôle plus strict des correspondants de presse couvrant des manifestations, la brève interpellation d’un journaliste français ainsi que la multiplication des violations et des restrictions à l’encontre de correspondants de médias étrangers, comme l’a déploré le Syndicat national des journalistes tunisiens. A l’excès, on ne peut remédier par un autre excès, fut-il justifié.
Sur ce plan comme sur d’autres, il faut raison garder et ne pas tomber dans la recherche du bouc émissaire. Le mal est en nous et ce n’est pas en niant la réalité que l’on peut trouver les remèdes à une société qui va mal et qui a réuni tous les ingrédients pour une explosion sociale redoutée.
Cela veut-il dire que rien n’est contestable dans ce grand intérêt pour les affaires tunisiennes. Loin s’en faut. La presse française surtout n’a jamais oublié sa fonction de donneur de leçon et elle ne se prive pas de remplir ce rôle. Ainsi lorsqu’on lit sur les colonnes du journal le Monde un éditorial consacré à la Tunisie en date du 12 janvier sous le titre « l’envers du décor d’une transition tant célébrée à l’étranger », on ne peut qu’être perplexe. « Il est peut être temps, que le regard extérieur sur la Tunisie soit moins naïf. La célébration lyrique du « modèle démocratique » tunisien, cet exercice diplomatique obligé, doit cesser de s’aveugler sur le forces du statu quoi qui s’emploient à vider la révolution d’une partie de sa substance. Si les Européens veulent prouver la sincérité de leur soutien au peuple tunisien, il leur faut d’abord déjouer tout un discours qui exalte les acquis démocratiques dans la forme pour mieux les affaiblir dans la réalité. »
Et le journal de référence de dénoncer pêle-mêle « les couches privilégies (qui) restent sous-fiscalisées » ou « une présidentialisation du régime politique à laquelle s’emploie le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi à rebours de l’inspiration parlementaire de la Constitution de 2014 » ou encore le fait que « la coalition dirigeante formée autour des partis Nidaa Tounès (moderniste) et Ennahdha(islamiste) se partagent les dépouilles de l’Etat en érodant insidieusement les contre-pouvoirs ».
Et le journal de conclure : « Ces reniements, qui ouvrent la voie à une possible restauration autoritaire, tissent la toile de fond de la grogne actuelle. Exiger des dirigeants tunisiens qu’ils honorent la promesse de 2011 est le meilleur moyen de garantir la stabilité de ce pays unique. »
Nul doute que l’on n’est plus dans la configuration journalistique mais bien devant une recommandation donnée par une autorité supérieure. Si ce n’est de l’ingérence dans les affaires tunisiennes, ça lui ressemble beaucoup.
RBR
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