« Les voies de l’argent sale sont impénétrables »

« Les voies de l’argent sale sont impénétrables »

Recevant lundi 14 Septembre 2020 la nouvelle ministre des Domaines de l'Etat et des affaires foncières Leila Jaffel, le président de la république  Kaîs Saied a décidé la création d'une commission, auprès de la présidence de la République, chargée du suivi des dossiers de l'argent spolié et des dépassements relatifs aux biens de la communauté nationale, à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

La question de « l’argent sale » revient, ces dernier temps comme un leitmotiv chez le chef de l’Etat qui en a fait son nouveau cheval de bataille. Par définition, « l'argent sale est une expression utilisée dans le langage courant pour qualifier les sommes d'argent obtenues illégalement suite à la commission d'une infraction ».  C'est donc de l'argent gagné de manière malhonnête et qui peut provenir du détournement de fonds, de la corruption, de la fraude fiscale, du trafic de drogue, du vol, de la revente d'armes à feu, de l'escroquerie…et les biens mal acquis.

La question des biens mal acquis s’est posée en Tunisie au lendemain du 14 Janvier 2011 avec la promulgation du décret-loi 2011-13 du 14 Mars 2011, portant confiscation d’avoirs et de biens meubles et immeubles. Il concerne « tous les biens meubles et immeubles et droits acquis après le 7 novembre 1987 et qui reviennent à l’ex-président de la République Tunisienne Zine El Abidine Ben Haj Hamda Ben Haj Hassen Ben Ali, son épouse Leila Bent Mohamed Ben Rehouma Trabelsi, les autres personnes désignées dans la liste annexée au présent décret-loi ainsi qu’à toute autre personne dont il est prouvé l’obtention de biens meubles ou immeubles ou droits par l’effet de ses relations avec lesdites personnes ».

Juste après, une commission nationale chargée de la récupération des biens illégalement acquis et placés à l’étranger a été créée, également par décret-loi, portant la signature du président intérimaire Foued Mebazaa en date du 26 mars 2011.  Cette commission, présidée par le gouverneur de la Banque centrale, se compose de représentants des ministères des Finances, des Affaires étrangères, de la Justice et du chef du contentieux général de l’Etat. Sa principale mission consiste à évaluer, situer et obtenir la récupération des avoirs indûment acquis et placés dans des banques étrangères. Elle s’est penchée sur la réalisation «d’un recensement exhaustif des biens et des avoirs est en cours». Le premier pas a été le gel des avoirs identifiés et les procédures judiciaires sont engagées avec des commissions rogatoires et des enquêtes sur les biens mal acquis. Des cabinets d’avocats tunisiens et étrangers ont été choisis pour engager la rude bataille de la récupération de ces biens à l’étranger. Leurs honoraires qui sont très élevés ont été assurés par des donateurs étrangers. Deux années plus tard, la Tunisie a récupéré 28 millions de dollars d'avoirs détournés au Liban par Leila Ben Ali. Le chèque a été remis au président Moncef Marzouki par le procureur général du Qatar, Ali Ben Fetaïs Al-Marri, chargé par l'ONU de coordonner les enquêtes sur les avoirs détournés par les dirigeants renversés par le printemps arabe, au cours d’une cérémonie organisée au palais de Carthage en avril 2013. Une bagatelle. Car depuis, aucun sou n’a été récupéré et la commission a été dissoute en mars 2015 et c’est le contentieux général de l'État qui a pris la relève.

Un véritable parcours de combattant

Toutefois, vu les antécédents dans ce genre d’affaires, on ne peut pas s’attendre au rapatriement des avoirs. Longues sont les procédures qui doivent être conformes aux conditions des pays où l’argent a été placé, dont notamment  «la garantie que le rapatriement des valeurs patrimoniales serait prise dans le cadre d’une procédure juridique répondant aux exigences spécifiques du Pacte international sur les droits civils et politiques». Il faut, également, que les pays concernés acceptent de coopérer et que leurs banques acceptent de lever le secret sur les comptes des personnes visées. Or, jusque-là, peu de pays ont «daigné» distiller quelques informations et geler les avoirs en attendant l’aboutissement des procédures. Ne dit-on pas que «les voies de l’argent sale sont impénétrables».
Pourtant, les accords internationaux et notamment la Convention Mérida sur la corruption signée en décembre 2003 et à laquelle la Tunisie a adhéré en 2008 «posent le principe d’une coopération internationale en matière de blocage et de restitution des avoirs volés dans le cadre d’actes de corruption par les dirigeants politiques ou d’entreprises». On estime le volume de l’argent illégalement détourné chaque année dans le monde entre 20 et 40 milliards de dollars. «Souvent avec la complicité des pays et des banques qui n’entendent pas se laisser délester de quelques  milliards de liquidités bienvenues».

 Quid de la transparence et de l’honnêteté ?
Bien avant la Tunisie, d’autres pays se sont cassé les dents sans arriver à des résultats probants. La question de la restitution des biens mal acquis a commencé à se poser dès 1960 avec la demande formulée par les autorités ghanéennes auprès de la Confédération suisse pour récupérer les avoirs du président K.Nkrumah. Demande restée sans réponse. En 1979, ce sont les autorités iraniennes qui réclamèrent la récupération des avoirs du Shah placés dans les banques suisses. Toujours rien. Il faut attendre 1997 pour voir les autorités suisses accéder à une demande formulée par le Mali en 1991 pour lui restituer une partie des avoirs de l’ancien président Moussa Traoré et 2003 pour que ces mêmes autorités restituent une infime partie des avoirs de Ferdinand Marcos que les Philippines réclamaient depuis 1986. Depuis, peu de pays ont réussi à obtenir gain de cause en récupérant une partie, souvent infime, du pactole illégalement transféré à l’étranger. L’ancien Zaïre court, depuis 1991, derrière l’argent de Mobutu dont la mort a constitué un prétexte pour certains pays comme la Belgique pour arrêter les procédures, «le décès étant un motif d’extinction du droit de punir et donc de confisquer». Au total une dizaine de pays ont vu les procédures aboutir après de longues années de batailles juridiques, réussissant à récupérer une partie des avoirs illégalement mis à l’étranger. Quatorze autres attendent encore, comme c’est le cas du Pakistan de Benazir Bhutto, du Chili de Pinochet, du Liberia de Charles Taylor, de l’Iran du Shah, de l’Indonésie de Mohamed Suharto, de la Serbie de Milosevic… qui se lassent derrière la poursuite des avoirs détournés de leurs anciens dictateurs. Le constat est à tout égard affligeant. «Près de 99 % des fonds détournés continuent de prospérer en toute quiétude».
Pour un peuple spolié, le recouvrement des avoirs volés est une gageure.
Et dire que «les biens mal acquis ne profitent jamais»!​
Source : le rapport CCFD, Terre solidaire 2009. www.ccfd.asso.fr.
 

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