L'Italie menace de suspendre son aide à la Tunisie à cause des migrants
Le Monde: La reprise des flux de départs de migrants tunisiens irréguliers vers la péninsule italienne provoque un regain de tensions entre Tunis et Rome
La relation se crispe à nouveau entre la Tunisie et l’Italie sur le dossier migratoire. Plus de 4000 Tunisiens ont atteint les côtes italiennes durant le mois de juillet, bien au-delà du précédent pic d’arrivées qui avait culminé à 2700 en octobre 2017. Alarmé, Rome a dépêché à Tunis le 27 juillet sa ministre de l’intérieur, Luciana Lamorgese. Le 30 juillet, l’ambassadeur tunisien à Rome était convoqué. Le lendemain, Luigi Di Maio, ministre des affaires étrangères, faisait monter la pression d’un cran en brandissant des menaces. Sans réponse tunisienne adaptée, a-t-il mis en garde, l’aide italienne pourrait être suspendue, évoquant une première enveloppe de 6,5 millions d’euros. Une telle poussée de fièvre italo-tunisienne sur le dossier migratoire n’est pas inédite. En juin 2018, l’ambassadeur italien à Tunis avait été convoqué par le ministère des affaires étrangères à la suite de propos désobligeants de Mattéo Salvini, à l’époque vice premier ministre et ministre de l’intérieur, dénonçant l’« envoi » par la Tunisie de « repris de justice » en Italie.
Face au regain de tension, Kais Saïed, le chef de l’État tunisien, a tenté d’apaiser les esprits. Il s’est rendu dimanche 2 août à Sfax (centre) et à Mahdia, deux principaux points de départ à 140 km vers l’île de Lampedusa. Au programme : passage en revue des garde-côtes, visite de trois escadrilles offertes par l’Italie. Entouré d’uniformes, le président tunisien a cherché à rassurer les pays voisins en mettant en scène un Etat veillant sur ses frontières.
Eliminer les motifs de départs
Il a aussi adressé un message d’une autre nature. Dans un modeste bureau de la garde nationale maritime, il a en effet évoqué la responsabilité « collective » des deux côtés de la méditerranée, imputant le phénomène migratoire - entre autres raisons - à « l’inégale répartition des richesses dans le monde ». « Au lieu d’investir davantage dans les forces côtières pour éradiquer ce fléau, a-t-il précisé, il faut éliminer les motifs originels qui poussent ces candidats à se jeter à la mer ». Il a ajouté que la Tunisie portait sa part de responsabilité. « La question est essentiellement tuniso-tunisienne » car le pays a « échoué à résoudre les problèmes économiques », a-t-il expliqué. Les projets sont nombreux mais ils sont, à ses yeux, entravés par « les blocages politiques et administratifs ».
De telles pesanteurs n’ont guère été arrangées par la crise politique dans laquelle la Tunisie est plongée depuis des semaines. Le gouvernement d’Elyes Fakhfakh a dû démissionner fin juillet à peine cinq mois après sa prise de fonction. Le parti islamoconservateur Ennahda, dominant au sein de la coalition gouvernementale, a tiré profit d’accusations de « conflit d’intérêts » visant M. Fakhfakh pour le pousser vers la sortie. Son ministre de l’intérieur, Hichem Mechichi, a été choisi par le chef de l’État pour constituer le prochain gouvernement.
Dans ces conditions, le soupçon que les autorités tunisiennes aurait pu sciemment fermer les yeux sur la nouvelle vague de départs n’est guère pris au sérieux par certains observateurs. «Ce n’est absolument pas le cas », assure Romdhane Ben Amor, le chargé de la communication du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une des organisations les plus dynamiques de la société civile tunisienne. « En juillet dernier, il y a eu près de 250 interceptions de la garde maritime, précise M. Ben Amor. C’est un record aussi. Les sécuritaires sont épuisés.»
« Plus il y a de départs de passeurs et de migrants, moins il y a de risque de se faire intercepter, ajoute-t-il. C’est une logique, non une stratégie coordonnée ». Depuis la récente acquisition de trois vedettes et de radars par les autorités tunisiennes, les passeurs se sont adaptés. Les petits bateaux en plexiglas et en bois ont remplacé les bateaux usuels d’une dizaine de mètres - de type chalutiers - chargés d’une centaine de personnes à bord, aisément détectables.
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