L’Ordre des Ingénieurs Tunisiens: Entre la renaissance et la dégénérescence
Par chokri Aslouj
Depuis belle lurette, les prises d’otages surtout dans les contrées au-delà de notre frontière du Sud, dont nos concitoyens payent d’une manière récurrente les frais, ne cessent de se multiplier pour déferler la chronique, nourrir les rumeurs, attiser les ardeurs et malmener les humeurs.
Pourtant, une prise d’otage d’une dimension grotesque, puisqu’elle frappe une grande organisation nationale, est soumise à une Omerta presque absolue et se joue au vu et au su de tout le monde sans susciter d’intérêt aussi bien dans les médias que sur la scène politique, ni provoquer le sursaut salvateur tant espéré dans le corps des ingénieurs, qui continue d’agoniser dans son éternelle posture expectative.
Le présent article s’inscrit dans une série d’articles similaires que j’ai publiés par le passé pour tenter tant bien que mal de briser ce silence, qui étouffe l’ingénieur tunisien, qui tue son métier et qui met à mal sa corporation. Sauf que désormais, je passerai outre l’attitude que j’ai adoptée jusqu’ici en lâchant du lest et en évitant toute partie prise pour l’un ou l’autre des camps belligérants au sein de l’ordre des ingénieurs.
J’avais espéré que dans la neutralité, mes propos conciliateurs et mes appels à la raison seraient plus crédibles et donc mieux écoutés. Aujourd’hui toutes les voix conciliantes qui plaidaient la concorde entre les ingénieurs, doivent malheureusement déclarer forfait, devant une poignée de récalcitrants d’un autre âge, qui ont confisqué l’ordre des ingénieurs et dédaigné toutes les médiations et les bons offices visant un dénouement heureux des tourmentes, qui ont secoué l’OIT et qui s’obstinent dans un refus absurde à se soumettre même au jugement exécutoire en référé, que la cour d’appel a émis en date du 2 Octobre 2015, sommant le conseil provisoire sortant à procéder à la passation immédiate au conseil élu.
L’exécution du jugement par la force publique traine encore dans les arcanes du ministère de l’intérieur et il est renvoyé pour je ne sais qu’elle raison aux calendes grecques, faisant valoir une disposition administrative, permettant aux autorités policières de différer l’exécution du jugement pour mener des consultations.
À croire les rumeurs et les indiscrétions, il semble que le conseil provisoire sortant, dans sa fuite vers l’avant, aurait tiré tous les registres et aurait impliqué des personnalités influentes, animées par les mêmes convictions, pour le soutenir dans sa rage destructrice.
À cause de ces agissements, l’ordre des ingénieurs, qui est l’une des plus grandes corporations de la République vivote aujourd’hui dans la paralysie quasi totale et à défaut d’un événement miraculeux ou d’une intervention résolue des plus hautes autorités de l’État, je crains qu’on ne va pas tarder à sonner le glas de son existence misérable qui aurait duré jusqu’au jour d’aujourd’hui plus de 30 années, au cours desquelles les ingénieurs et leur métier, auraient enduré une dégringolade humiliante et n’auraient pu concrétiser aucun acquis notable.
Les irréductibles parmi les membres du conseil provisoire sortant, pourront alors se targuer d’être arrivés à leurs fins comme déjà annoncé au lendemain de l’éclatement du conflit : plutôt saborder l’ordre des ingénieurs que de le céder à leurs confrères et consœurs, déclarés délibérément en ennemis jurés, nonobstant toutes les élections que ces derniers aient gagnées, les votes qu’ils aient remportés et les interminables guéguerres de tranchés juridiques que les différentes instances juridictionnelles aient tranchées en leur faveur et qui perdurent depuis que les résolutions de l’assemblée générale élective en date du 9 Mai 2015, ne sont pas venues du goût des faucons de la formation sortante.
Au contraire de ce que beaucoup de Tunisiens pourraient croire, cette affaire n’est guère une question interne au corps des ingénieurs, mais elle serait plutôt d’un intérêt national certain. En effet la non exécution d’un jugement, confirmé par les différentes instances, viendrait ébranler la confiance en les organes de l’État de droit, que nous souhaitons à nos enfants de pouvoir y vivre sereinement un jour et que nous tous devons œuvrer inlassablement à poser les fondements. La grogne grandissante dans la communauté des quelques 60.000 ingénieurs, qui a été contenue jusqu’ici par les sages, qui ont opté pour les méthodes responsables, pourrait déborder, si on ne voit aucune lueur de lumière au bout de ce tunnel.
Pendant la révolte du ras-le-bol des élèves-ingénieurs à la fin de l’année précédente et au début de l’année courante, on a eu le droit à un avant-goût de ce qui se tramerait, si cette situation délicate n’est pas prise au sérieux.
D’autres parts tout le monde s’accorde à soutenir l’idée, que le salut de la Tunisie réside en un changement radical du modèle de développement, qui doit se baser désormais sur une économie industrialisée, productrice et à haute valeur ajoutée. Le plan de développement 2016 – 2020, annoncé en grande pompe, est venu une fois de plus entériner cette certitude. Ceci ne pourra se faire que par l’implication collective, coordonnée et efficiente des Ingénieurs à travers leur corporation.
Il faudrait aller jeter un coup d’œil, sur ce qui se fait outre-Rhin en la matière et s’inspirer du VDI (Verband Deutscher Ingenieure), qui est le pendant allemand de l’OIT tunisien (la comparaison s’arrête malheureusement à la simple similarité dans la dénomination), du rôle qui lui est assigné par l’État ainsi que des moyens colossaux qui lui sont alloués pour qu’il soit un des acteurs principaux de la politique de développement et le moteur de l’industrie allemande, qui a fait de ce pays, le géant économique européen, qui insuffle le respect à tout le monde.
Aussi, les ingénieurs mériteraient le prix Nobel de l’abnégation et de la discipline. En effet, il ne faut pas oublier non plus, que pendant les pires moments post-révolution, alors que tous les autres corps de métiers faisaient la surenchère pour désosser un État affaibli et une économie en berne, les ingénieurs ont fait l’exception et n’ont conduit aucun mouvement social en préférant donner à la patrie plutôt que de lui demander.
Le mouvement syndical des ingénieurs qui est entrain de prendre forme, pourrait jouer dans les années à venir un rôle stabilisant, rationnel et médiateur et constituer le maillon manquant entre l’organisation patronale et la centrale ouvrière, puisque les ingénieurs sont à la fois des salariés, des dirigeants et des chefs d’entreprises et ils veilleront sans doute à ce que les grands équilibres, qui permettent notre vie ensemble, ne soient jamais rompus puisqu’ils ont en grand intérêt. Ceci permettra sans doute d’épargner à notre pays des secousses destructrices supplémentaires, surtout si on veut réellement mettre le fondement d’une industrie à haute valeur ajoutée, en ligne avec les standards et les pratiques internationaux.
Enfin, j’userai de cette tribune pour lancer des appels à :
-Monsieur le Chef du Gouvernement pour redéfinir le rôle de l’OIT dans la société selon une formule gagnant-gagnant, qui permettra d’une part de valoriser l’ingénieur tunisien et d’autres part de lui permettre de jouer le rôle qui lui sied et qu’il mérite dans le nouveau plan de développement pour le bien du pays. Le modèle allemand serait comme déjà évoqué, l’exemple réussi dont on pourrait s’inspirer.
-Monsieur le Ministre de l’intérieur pour débloquer la situation en permettant l’exécution par la force publique du jugement en référé, portant sur la passation des responsabilités de l’OIT du conseil provisoire au conseil élu.
-Mes collègues membres du conseil provisoire sortant, qui se sont trouvés à contrecœur au milieu d’un conflit nihiliste, qui leur a été imposé et qu’ils ne détiennent ni les tenants ni les aboutissants, qu’il est grand temps de mettre fin à cette dégénérescence et de se distancer ouvertement des agissements de la minorité parmi eux, qui a confisqué l’ordre des ingénieurs pour en faire un fond de commerce personnel.
-Mes collègues membres du conseil élu, d’œuvrer à réparer rapidement les pots cassés et à rassembler tous les ingénieurs autour d’un projet fédérateur qui ferait des ingénieurs les bâtisseurs d’avant-garde de la deuxième République.
-Tous les consœurs et confrères, ingénieurs tunisiens de participer activement à la renaissance de notre corporation.
Chokri Aslouj (Ingénieur)
Membre du conseil des grands électeurs de l’Ordre des Ingénieurs Tunisiens - OIT
Membre de l’Ordre des Ingénieurs Allemands - VDI