Lotfi Brahem « conspirateur ! » : Peut-on croire la théorie du complot ?
Ainsi donc, « une rencontre nocturne eut lieu récemment sur l’ile de Djerba entre le ministre Lotfi Brahem et le chef des services secrets émiratis. Ce dernier revenait de Paris où avait eu lieu une rencontre préliminaire au sommet sur la Libye organisée par Emmanuel Macron le 29 mai. Lors de ce discret sommet, le Tunisien et l’Emirati ont mis au point la feuille de route qui devait conduire à des changements à la tête de l’Etat: révocation du Premier ministre, Youssef Chahed; possible nomination à la tête du gouvernement de l’ancien ministre de la Défense de Ben Ali, Kamel Morjane; mise à l’écart finalement du président Beji lui même, pour raisons médicales. Un peu à la façon dont le vieux président Bourguiba avait été écarté par le fringant général Ben Ali, le 7 novembre 1987 ».
Tiré d’un article signé Nicolas Beau, journaliste français, ancien du Canard Enchaîné et du Monde et actuel rédacteur en chef d’un site, Mondafrique, ce passe ne laisse d’intriguer. Il est d’ailleurs repris en boucle sans beaucoup y croire.
« Rien que ça », pouvait-on y répliquer, car ces élucubrations ont tout l’air de sortir d’un livre de science fiction. Si on y ajoute la visite de l’ancien ministre en Arabie Saoudite en février dernier et tout ce qui s’était écrit autour, à propos de sa rencontre avec le souverain wahhabite et avec son héritier et homme fort du royaume Mohamed Ben Salmane, il y a de quoi alimenter cette histoire et lui donner de la consistance.
Mais peut-on vraiment croire cette histoire abracadabrante lorsque l’on sait que les conditions de 2017-2018 n’ont rien à voir avec les circonstances qui ont présidé au « changement de 1987 », qui rappelons-le a donné lieu à un sentiment général de soulagement, puisqu’il a permis « de sauver Bourguiba de Bourguiba » selon le mot que l’on prête à l’ancien ministre Mohamed Masmoudi.
Entretemps, il y a eu les 23 ans de Ben Ali qui ont vacciné les Tunisiens contre le retour du pompier-pyromane, un dictateur dans les habits d’un sauveur. Il y a eu ensuite cette révolution qui a permis aux Tunisiens de s’émanciper du sentiment de peur y compris vis-à-vis de leurs dirigeants.
Mais surtout il y a eu la mise en place d’institutions démocratiques qui bien qu’elles soient encore balbutiantes ne peuvent être effacées d’un train de plume ou dans le cas d’espèce d’une gesticulation donquichottesque sans consistance aucune.
La théorie du complot a bon dos. On peut y recourir à propos de tout et de n’importe quoi. Ainsi certains n’hésitent pas d’expliquer nos maux et les justifier par le complot sioniste ou impérialiste, sinon par la jonction des deux sous forme d’impérialisme-sionisme, ce qui lui donne un peu plus de crédit.
D’autres pointent du doigt la franc-maçonnerie et ses loges entourées de mystère qui façonnent le monde selon leur bon vouloir ou plus précisément leur mal vouloir.
D’autres placent sur ce même piédestal, certaines sectes qui font et défont le monde d’après les signes qu’elles reçoivent conformément à leur perception propre de la vie. Parmi ces sectes ou considérées comme telles on peut classer sans problèmes, selon les uns et les autres, des courants parfois contradictoires et antinomiques.
Ainsi les Frères musulmans, confrérie créée au début du XXème siècle pour assoir la mainmise de la religion musulmane sur le monde y compris par la force, sont-ils placés dans le même registre que le panarabisme à la manière de Nasser, qui fut pourtant l’ennemi mortel de la confrérie ou du baathisme fondé par un chrétien Michel Aflak.
Cela n’empêche pas les gens de croire dur comme fer à la théorie du complot et procéder s’il le faut aux élucubrations les plus invraisemblables pour leur donner du crédit. Il suffit de n’importe quoi pour accréditer les histoires les plus folles. Une rencontre anodine, une présence concomitante dans un même lieu, et même prosaïquement le fait de partager les mêmes idées, tout cela peut mener à la mise en relation de faits ou de personnages auxquels on prêterait des desseins forcément inavoués pour ne pas dire inavouables. Mais il y a un fait certain, c’est que cette théorie, n’a de crédit que ce qu’on le lui accorde.
Ainsi, pour revenir à l’histoire créée autour de Lotfi Brahem, ce sont les médias qui ont repris les élucubrations de Nicolas Beau qui sont à plus à pointer du doigt. Ce sont eux qui donnent à cette théorie de l’épaisseur qui lui permet d’exister.
Ils sont d’autant suspectés quand telle la chaîne qatarie Aljazeera qui parce qu’elle veut trouver aux Emiratis et aux Saoudiens des raisons d’être voués aux gémonies, donne de la consistance à ce qui n’en a point. Pour se donner des arguments de porter des coups à l’adversaire, quoi de plus facile que de lui jeter ce genre de preuves à la figure.
La théorie du complot a bon dos car il n’en est point besoin qu’elle soit confirmée. Elle se base sur des sophismes qui pour être des arguments n’en sont pas moins faux à la base. On est en plein d’une argumentation fallacieuse qui tient à des éléments valables dans une logique qui n’en est pas.
Mais en avançant sur ce terrain glissant, pense-t-on à l’honneur de l’homme jeté aux chiens selon la formule empruntée à l’ancien président français François Mitterrand, car dans cette histoire il y a bien l’honneur d’un homme à qui on prête des intentions malveillantes.
Se rend-on compte de tout le mal qu’on peut lui causer. On semble ne pas faire grand cas de cela. Car en fin de compte, ce qui est bien ou mal, c’est selon, avec la théorie du complot, c’est qu’on peut accuser sans preuve et rendre un jugement définitif sans raison valable.
C’est la démocratie qui en prend un coup sévère car la liberté qu’elle offre est ainsi travestie et exploitée d’une manière éhontée au service d’intérêts pas toujours nets, en tout cas pas toujours conformes à ce qu’on en attend.
Peut être bien que la conjuration est établie et que tout ça était vrai et vérifié. On veut bien mais il ne suffit pas d’avancer des élucubrations, on a besoin de vérité vraie. Mais peut-on le prouver, juré craché.
Sinon il vaut mieux observer le silence qui est ici comme ailleurs d’or. RBR
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