Meral Aksener, la femme qui fait peur à Erdogan

 Meral Aksener, la femme qui fait peur à Erdogan

 

Issue du MHP nationaliste, l’ancienne ministre turque de l’Intérieur, Meral Aksener a fondé le Iyi Parti, le Bon parti en turc avec comme objectif : fédérer les déçus de l’AKP, le parti Justice et Développement fondé par le président turc Recep Tayyip Erdogan ou des sociaux-démocrates en vue des élections de 2019.

Dans les locaux flambant neufs du « Iyi Parti » à Ankara, le moral est au beau fixe. Lancée fin octobre, la formation se revendiquant du centre droit fait une entrée remarquée dans l’arène politique turque. Un sondage en fait même la deuxième force du pays pour les législatives de novembre 2019, derrière le Parti de la justice et du développement (AKP).

Mieux encore, la cheffe de file du Iyi Parti (IP), Meral Aksener, 61 ans, se retrouverait au second tour de la présidentielle - organisée à la même date - face à l’homme fort de Turquie. Dès lors, la nouvelle outsider, qui affiche tout de même vingt ans de politique au compteur, en est convaincue : «Je suis une menace pour lui.»

A ses côtés, Meral Aksener peut compter sur le soutien de plusieurs figures politiques, issues comme elle du MHP, le Parti d’action nationaliste (extrême droite) et ayant décidé de quitter le navire suite au ralliement de leur leader, Devlet Bahçeli, à la ligne d’Erdogan. Ces«renégats» se sont notamment fait remarquer au printemps 2016 après avoir fait campagne, malgré les pressions, contre le projet de réforme constitutionnelle du Président.

Aujourd’hui, avec son programme ambitieux (retour au système parlementaire, croissance à 6 %, rétablissement d’une justice indépendante, etc.) pour une Turquie «usée», l’Iyi Parti veut ratisser large. Electeurs nationalistes, déçus de l’AKP ou centristes issus des rangs de la formation d’opposition, le CHP (social-démocrate kémaliste) : tous sont les bienvenus sous la bannière flanquée d’un soleil radieux du Bon Parti.

Révélée sur la scène nationale par ses quelques mois passés au ministère de l’Intérieur, entre 1996 et 1997, dans les heures sombres des combats de l’Etat turc contre la guérilla kurde du PKK, Meral Aksener jouit dans son pays d’une image de «dame de fer», alimentée par ses quinze années de service au sein du parti ultranationaliste.

Régulièrement, la presse occidentale la décrit en «Marine Le Pen turque». Elle se verrait plutôt endosser le rôle d’une autre figure politique française : «J’ai suivi les élections françaises de près et le choix d’élire M. Macron.» A l’instar des «marcheurs» du nouveau locataire de l’Elysée, elle veut «aller écouter le pays». Elle liste ainsi une dizaine de villes qu’elle s’apprête à visiter. Et de tacler le pouvoir : «Tout le monde reste assis, y compris Erdogan. Moi je leur dis : "Vous usez vos sièges, moi, je vais user mes chaussures."»

Et tout comme Macron, la patronne du IYI Parti veut incarner «une troisième voie» dans une vie politique turque polarisée. Un parti intermédiaire, entre conservateurs et sociaux-démocrates, entre l’islam politique porté par Erdogan et les défenseurs de l’héritage séculaire de Mustafa Kemal, le père de la Turquie moderne. Un esprit de synthèse politique quasi permanent, qui s’apparente plus à une volonté de maintenir un flou stratégique.

Interrogée sur le futur des relations avec l’Union européenne, Meral Aksener affiche ainsi un positionnement prudent, épousant une opinion turque quelque peu indécise : «Pas de rapprochement, ni d’éloignement.» Et d’appeler à un dialogue «réaliste, d’égal à égal». Si, dans le discours, l’Iyi Parti se veut inclusif, de fait, son programme et ses dirigeants en font une vitrine de l’identité turque. La place des minorités (kurdes, arabes, alévis, etc.) n’est que très peu évoquée.

Aksener défend pourtant un nationalisme «sans racisme». Le parti doit déjà faire face à ses premiers dérapages. Le 23 novembre, Ümit Özdag, un de ses stratèges, a ainsi publié un tweet affirmant que 32.6 % des 4 millions de Syriens vivant en Turquie étaient en «surpoids», et 27,7 % «obèses» quand, dans le même temps, 1,25 million de citoyens turcs connaissaient «la faim». Un nationalisme qu’il faudra pourtant tempérer, estime Sinan Ülgen, président du Center for Economics and Foreign Policy Studies : «Si Meral Aksener souhaite défier Erdogan, elle va devoir trouver une stratégie pour obtenir le soutien des Kurdes.»

Jusqu’ici, les partis d’influence nationaliste ont toujours refusé de reconnaître «un problème kurde» dans le pays. Pourtant, les régions de l’est et du sud-est de la Turquie - majoritairement peuplées de Kurdes - accusent un sérieux retard de développement, résultat de plus de trente années de guerre contre le PKK.

Meral Aksener, consciente de ce vivier électoral ignoré, multiplie les séjours dans les régions kurdes et promet des aides financières aux futurs entrepreneurs locaux. Bien insuffisant pour l’heure pour convaincre les électeurs pro-kurdes. L’enjeu est pourtant décisif, rappelle Sinan Ülgen : «Sans cet électorat, Aksener ne peut pas gagner.»

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