Peut-on réellement parler d’un nouveau rôle de la Banque Centrale ?
Par Habiba Nasraoui Ben Mrad
Docteure en Sciences Economiques Chercheure et Enseignante Universitaire
La Banque Centrale (de Tunisie) est un prêteur en dernier ressort contraint, et à moins que la causes originelles de la nature et des modalités de financement de l’économie Tunisienne, disparaissent la BC est appelée à jouer un rôle actif pour s’associer à tous les acteurs économiques et permettre, la reprise économique.
De l’efficacité de la politique d’augmentation continue des taux directeurs
En tous les cas, la stratégie de gestion de la crise déployée en cours de cette période, doit éviter toute mesure, contraignante, ou restrictive, qui sera lourde de conséquences
Les décideurs politiques Tunisiens ne semblent guère saisir la fragilité de nos structures économiques, qui méritent d’être protégées.Une politique protectionniste s’impose désormais, car nos entreprises, pour la plupart des petites PME ne sauraient résister à de tels fléaux. Entre la crise pandémique et la guerre Russie-Ukraine, non dotée de mécanismes adéquats de résilience, la tâche de nos PME, à moins d’être assistées, semblerait bien du domaine de l’impossible
En économie d'endettement, la prédominance du crédit bancaire est essentiellement due à l'écart structurel entre épargne et investissement. En effet le recours aux marchés de capitaux s'il paraît chose évidente pour les grandes entreprises, n'est pas possible pour les petites entreprises ou celles présentant des bilans non conformes aux conditions d'accès à ces marchés.
L’évolution du TMM depuis 2018, marque cette volonté des autorités monétaires de mener une politique monétaire restrictive pour contenir l’inflation en augmentant le coût du crédit bancaire. Au mois de mars 2020, le TMM s’élevait à 7,35%, contre 7,90% en mars 2019. Aujourd’hui le TMM s’élève à plus de 8%, encore trop élevé au vu des caractéristiques du tissu industriel Tunisien
La politique de rigueur de la Banque Centrale s’avère en fait inefficace, l’inflation à deux chiffres qui sévit en Tunisie, depuis quelques mois en est le parfait exemple. La raison à cette inefficience est toute simple, l’inflation galopante et incompressible observée depuis quelques années, n’est pas d’origine monétaire, mais a été impliquée par le glissement du dinar et la non rationalisation des importations, l’augmentation des coûts à l’importation, et la prédominance d’un secteur parallèle, qui échappe au contrôle de l’Etat.
La Banque Centrale ne peut plus continuer à ignorer la réalité d’une économie en déclin et l’obligation qu’elle a de faire passer en priorité les problèmes liés à la croissance et au chômage et aux difficultés des PME Tunisiennes de par leur nature vulnérables. Une politique de ciblage n’a aucun sens dans de telles circonstances.
La Banque Centrale doit adhérer, à la logique et à l’urgence « d’un plan de sauvetage de l’économie », suivi d’un plan de relance, devant permettre d’assurer une transition juste vers le développement durable.
Réhabiliter la Banque Centrale dans ses fonctions
La Banque Centrale doit être réhabilitée dans ses fonctions d’orientation du crédit vers l’investissement productif du secteur réel , voire pour accorder directement des crédits aux secteurs jugés prioritaires , tel le secteur agricole.
Un réseau composé de divers établissements spécialisés a plus de chances d’orienter le crédit vers des activités productives
A l’instar de plusieurs autres Banques Centrales, la BC doit adopter des politiques de réponse à la crise visant plus directement à soutenir l’emploi. Via des mécanismes d’aide aux prêts destinés à protéger l’emploi dans les PME, qui constituent la plus grande source d’emplois. Ces mécanismes devant garantir que les PME empruntent à des taux d’intérêt plus bas et que les banques bénéficient d’incitations supplémentaires pour pouvoir proposer ces prêts.
La Banque Centrale doit également demander aux banques commerciales de proposer des plans de report des remboursements sans intérêt.
Cette politique devra permettre non seulement de faire face à la crise, mais également de développer de nouveaux mécanismes de « résilience ».
La BC doit élargir ses dispositifs de garantie pour y intégrer une plus grande variété d’actifs ; en mettant en œuvre des mécanismes supplémentaires de (re)financement et d’achat ciblés et non ciblés.
La BC doit associer la politique de taux d’intérêt à un objectif d’emploi chiffré et un taux de chômage n’accélérant pas l’inflation à l’image de la Réserve fédérale américaine en 2012.
Avant 2008, de nombreuses banques centrales souscrivaient à un cadre strict comportant un objectif unique (la stabilité des prix) et un instrument unique (le taux d’intérêt), officialisé par l’approche de « ciblage de l’inflation » selon laquelle un objectif d’inflation annoncé doit être atteint, en ne laissant aucune place à des objectifs secondaires comme l’emploi. la croissance, le développement, ou la réduction de la pauvreté.Après 2008 , la stabilité financière a été acceptée comme un objectif supplémentaire que les banques centrales devaient prendre en compte, par le biais d’une politique macro prudentielle.
En temps de crise, la Banque Centrale doit mettre en place des cadres et des instruments politiques ; « non conventionnels ». Ce changement de pratique en réaction à un choc peut également s’observer dans la riposte politique des banques centrales face à la grave contraction de l’économie provoquée par la pandémie de COVID-19.Bien que cela date d’il y a plus de deux ans nous en citerons tout de même deux exemples à savoir :
Celui de la Banque de Réserve d’Australie et de la Banque Populaire de Chine (BPC). En effet Pour permettre aux banques de prêter davantage aux PME pendant la période de bouleversement due à la COVID-19, la Banque de réserve d’Australie a mis en place un mécanisme de financement à terme d’au moins 65 milliards de dollars US offrant l’accès à un financement à 25 points de base pendant trois ans, tout en différant le remboursement des prêts pour les petites entreprises affectées par la crise de COVID-19.
Quant à la Banque Populaire de Chine (BPC), elle a ajouté (270 milliards de dollars US) à ses mécanismes d’octroi de nouveaux prêts et de réescompte afin de soutenir , les microentreprises, les PME et le secteur agricole, et a prévu une réduction de leurs taux d’intérêt. De nouveaux instruments ont été mis au point pour soutenir le prêt aux microentreprises et petites entreprises, notamment un programme de « financement de crédit » à taux zéro.
Nous ne pouvons nier ici la faiblesse des mécanismes d’accompagnement dont ont bénéficié nos entreprises, qui pour plus de cent milles ont du fermer leurs portes. La Banque Centrale saura-t-elle en tirer les leçons nécessaires, avec une guerre Russie-Ukraine qui semble persister ? La réforme du statut, not de la Banque Centrale ne relève -t-il pas de l’urgence ?
Habiba Nasraoui Ben Mrad : Docteure en Sciences Economiques Chercheure et Enseignante Universitaire
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