Pour un système Westphalien aux génomes africains !

Pour un système Westphalien aux génomes africains !

Par Mahjoub Lotfi Belhedi

Universitaire, spécialiste en Droit et en Questions stratégiques 

En dépit des efforts déployés par l’UA en termes d'intégration économique et de sécurité, le bilan dans sa bi-traduction comptable et extra-comptable, demeure  en deçà des attentes et des espoirs portés  sur le projet panafricain ! 

Dans l'imaginaire collectif international, quant le veuille ou non, le continent  est perçu comme  un foyer emblématique des crises et des conflits, favorisant ainsi le renforcement d'une perception  afro-sceptique du projet panafricain qui prédit la fin d’un panafricanisme au goût « Monrovien » !

Entre continuité et rupture se situe cette réflexion  qui tend  à rompre avec une continuité courtisane  sans issue mais aussi  à toute vision de rupture brutale du projet panafricain á caractère fantasmagorique dans un monde incertain évoluant á des vitesses  hypersoniques.

Dans la foulé, nous allons aborder, en posture critique,  les approches d’analyse traitant la question ethnique et sa place dans le grand drame africain !

I/ Le panafricanisme : un bilan largement déficitaire !

Après le triomphe du bloc de « Monrovia »  donnant lieu  à  l’OUA en 1963, puis à l'UA en 2002, de facto, le postulat  d’une coexistence et d’une coopération harmonieuse entre les Etats africains indépendants n'a pas pu atténuer la prolifération des crises et des conflits, au contraire, le caractère endémique des tensions atteint son paroxysme et même les initiatives de l’UA,  notamment en matière de sécurité , sont souvent prises en otage par une rhétorique étatique ultra/pseudo souverainiste largement répandue. 

Bien qu'elle ait brillamment réussi à mettre en place des groupements économiques  régionaux (les CER) en vertu du traité  d'Abuja (1991), l’UA confronte des  difficultés interminables et des défis multiples à relever en termes financier, de gouvernance, de surendettement des États membres, de faiblesse du niveau des échanges commerciaux entre les Etats membres etc.
De surcroît,  le registre sécuritaire se trouve constamment  fragilisé par une instabilité politique chronique marquée par des coups d'Etat récurrents, des violations des libertés fondamentales, des crises post-électorales…, accentué par des pouvoirs restreints du Président de la Commission de l'U.A, des carences en matière de prévention des crises et des conflits et d'une impuissance à  faire face au fléau terroriste…

Sur la même lignée, les appellations  « Commission », « Parlement panafricain » et « Conseil de paix et de sécurité » données aux organes principaux de l’Union Africaine (UA) et les attributions qui lui sont dévolues sont largement inspirées au point d'imitation du schéma institutionnel/fonctionnel de l'Union Européenne, alors qu'il s'agit de deux continents aux réalités bien distinctes !

En effet, si l'Union Européenne est l'aboutissement d’un cheminement  historiographique linéaire propre au vieux continent et d'un long processus Westphalien où les Etats constituent son épine dorsale, à contrario, l’Afrique plurielle (les Afriques),  a connu un itinéraire historique singulier – n’est pas suffisamment élucidé par les chercheurs - profondément ancrée dans l'anthropologie culturelle locale du continent, dont le facteur/vecteur ethnique se situe à l’épicentre des conflictualités de pouvoir au continent. 

Est-ce vraiment la fin du rêve panafricain des pères fondateurs ?  Ou faudrait-il réajuster les timons de l’UA ? 

II/ Ethno-Etat  Vs Etat-Nation ?

Certes, le débat sur l’ethnicité  en Afrique  et son rôle dans le remodelage du paysage politique est une thématique récurrente qui a su garder, au fil des années,  une omniprésence impactante dans l'arène académique et publique ! 

Pour les uns, le continent africain n’est que la victime d’une mosaique ethnique très hétérogène facilement manipulable, et pour les autres, les ethnies ne sont en réalité que des groupes artificiels créés à des fins de domination par les colonisateurs !
A travers  cette vision binaire simpliste/misérabiliste de la question ethnique en territoire africain, il s’avère anhistorique d'assimiler  les ethnies à des groupes artificiels créés par les ex-colonisateurs  ou de les faire endosser tous les malheurs du continent.

De prime à bord,  il convient de noter que l'ethnie en tant que socle identitaire commun d’un groupe social donné, elle est à la fois un héritage commun entre les différentes aires civilisationnelles et une réalité  en perpétuelle mutation et non pas une fiction figée montée de toutes pièces. 

En contexte africain, l'ethnie se présente en tant qu’édifice identitaire  multi-strates (socio-culturel) complexe a décrypté,  d’essence sacré à ne pas toucher, forgé depuis des millénaires suite au brassage d’une multitude de peuples, disséminé aux quatre coins du continent au service des  politiques et des princes de guerre dans la conquête du pouvoir et des ressources !

Dans sa traduction géopolitique, les groupes ethniques en Afrique s'inscrivent en contre- courant aux préceptes basiques du père de la géopolitique moderne « Ratzel » reposant sur la dualité Etat/Espace vital, évoluent sous un ciel ouvert sans frontière qui n’a nullement  besoin du « Lebensraum » de Ratzel, exacerbés doublement par des pratiques ethno-étatiques discriminatoires et la montée en puissance de la mouvance terroriste.

Dans ce cadre spatio-temporel hautement spécifique, le cas de l'ethnie des « Peuls » est bien révélateur à plusieurs égards, d'une part, le peuple « Peuls »  est fortement  présent en Afrique de l’Ouest  et en Afrique Centrale d’où il incarne un biotope vivant du fameux « berceau de l’humanité », et d'autre part, les « Peuls » partagent à des nuances près, un socle culturel  qui puise ses sources originelles du royaume théocratique de « La Diina du Macina » fondé en 1818 !

Dans sa traduction politico-politicienne, en l'absence d'un sentiment national fort dans plusieurs pays du continent,  l'Afrique continue à entretenir l'image d’une terre promise à toutes les formes  de manipulation et d’instrumentalisation  politique de l'ethnicité, hier c'était le génocide Rwandais et bien d’autres trajedies, aujourd’hui, on assiste à une cascade de putschs militaires qui frappe de plein fouet certains pays africains …
 
Au final, contrairement aux approches d’analyse de culpabilisation ou de déculpalisation de l’ethnicité qui n’aboutissent nulle part, et en se référant au paradigme de « la pensée complexe » largement méconnu au sein de nos élites, il semblerait que la question ethnique en Afrique est à la fois l’une des causes génératrices (l’arrière plan historique) des crises et des conflits et la boite à outils redoutable empêchant toute reconstruction étatique à caractère fédérateur et efficient !

Sur ce plan, l’Union africaine est appelée à appréhender autrement la question ethnique,  à réinventer une Afrique plurielle en s’inspirant sans imitation cette fois-ci  du modèle Westphalien !
A suivre …  

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