Pr Halima Benbouza: "Oeuvrons pour une Afrique plus saine et plus prospère, c’est un devoir envers nos populations et générations futures"
Attendue à la troisième conférence internationale sur la Santé publique en Afrique (CPHIA 2023), prévue du 27 au 30 novembre 2023 à Lusaka (la capitale Zambienne), la chercheure et scientifique algérienne Halima Benbouza a bien voulu rencontrer Espace Manager.
Biologiste de renom au parcours assez riche et diversifié aussi bien dans son pays qu'à l'étranger, Halima Benbouza est actuellement cheffe de file du développement des biotechnologies en Algérie pour la santé, l’agriculture et la protection de l’environnement.
Dans cette interview, cette experte aux multiples compétences évoque l'importance d'une telle manifestation pour le continent, les grands enjeux de la santé publique sur le continent. Pour elle, la CPHIA doit continuer à élargir l’éventail de ses horizons pour guider et soutenir l'innovation et la recherche scientifique afin de générer de nouvelles connaissances et des produits de santé révolutionnaires. Pour cela, les pays africains doivent s’activer davantage pour la mise en œuvre d'un nouvel ordre de santé publique, afin de contribuer à construire une Afrique plus saine et plus prospère aussi bien pour le continent que pour le monde. Entretien !
Espace Manager: Vous êtes une personnalité connue dans le domaine de la science et de la biotechnologie aussi bien en Algérie qu'à l'étranger pour avoir occupé des postes stratégiques dans le domaine de la recherche. Mais la tradition voudrait que vous vous présentiez brièvement à ceux et celles qui ne vous connaîtraient pas !
Pr Halima Benbouza: Je vous remercie pour votre aimable présentation. Brièvement, je suis une scientifique avec un parcours assez riche et diversifié où chaque étape avait son importance et son impact spécifique sur ma carrière professionnelle : des études universitaires au pays et à l’étranger, ensuite l’enseignement et mes activités de recherche scientifique que je continue à mener, ainsi que la supervision des masters et doctorants à l’université, et par la suite les postes de responsabilités à différents niveaux, et enfin la fonction supérieure au sommet de l’édifice du système national de la recherche scientifique et développement technologique algérien.
Je tiens juste à souligner que le travail et l’échange avec des experts internationaux de divers horizons, notamment ceux d’instances internationales (régionales et/ou mondiales) m’ont permis d’acquérir de nouvelles compétences et d’orienter ma réflexion et mes actions vers des préoccupations plus régionales et globales conformément aux priorités nationales de recherche.
Vous participez, du 27 au 30 novembre à Lusaka (Zambie), à la 3ème conférence internationale sur la santé publique en Afrique (CPHIA 2023).Quel sera votre apport à cette manifestation d'envergure en tant que chercheur et biologiste, et pas en tant que médecin ?
Merci pour cette question pertinente! En fait, souvent la santé est uniquement associée avec la médecine, alors que ce n’est pas du tout le cas, car quand il s’agit de résoudre des problèmes de santé complexes et élaborer des politiques publiques et stratégies de santé nationales, régionales et mondiales, l’interdisciplinarité et la recherche collaborative est incontournable.
En effet, les problèmes de santé humaine, animale et environnementale sont souvent interconnectés et doivent être considérés ensemble. Donc, cela nécessite une approche holistique en intégrant des connaissances et des compétences variées pour apporter une perspective d’ensemble à la compréhension des interactions complexes entre la santé des écosystèmes, des cultures, des animaux et des êtres humains.
Le thème retenu lors de cette édition est le suivant: "Briser les barrières: Repositionner l'Afrique dans l'architecture mondiale de la santé". Pourquoi l'Afrique est-elle à la traine dans le domaine de la santé? Que comptez-vous apporter comme solutions ou recommandations pour remettre le continent sur les rails ?
Humm…..Je ne suis pas vraiment d’accord sur cette appréciation générale un peu sévère, à mon sens, sur l’Afrique, car il y a des efforts énormes qui ont été déployés par les pays africains pour améliorer leurs systèmes de santé même si les impacts, pour le moment, ne sont pas encore à la hauteur de ce qu’attend le citoyen africain dans plusieurs pays. Mais on ne peut pas occulter le progrès réalisé, par exemple la gestion de la COVID-19, elle a été basée sur les enseignements tirés des épidémies précédentes.
De plus, plusieurs mécanismes au niveau continental sans précédent ont été créés et opérationnalisés au cours des trois dernières années, tels the Africa Joint Continental Strategy for COVID-19, African Vaccine Acquisition Task Team (AVATT), etc. De même, divers partenariats ont été formés avec l'Union africaine pour soutenir les investissements financiers essentiels dans la fabrication de vaccins et je citerai, à titre d’exemple, l’initiative Saving Lives and Livelihoods (SLL) du CDC Afrique, une intervention de 1,5 milliard de dollars en partenariat avec la Fondation Mastercard, constitue à ce jour une étape importante dans la promotion de la vaccination sur tout le continent africain.
Enfin, je pense aussi que la contextualisation des stratégies est importante vu que les défis auxquels fait face l’Afrique sont complexes et ne sont pas du tout pareils aux autres régions du monde. Et je ne citerai qu’à titre d’exemples, l’instabilité politique, l’insécurité alimentaire, en termes d’existence d’infrastructures, de personnel qualifié , de prévention, les maladies endémiques, les thérapies, etc.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, en fait la Conférence sur la santé publique en Afrique élargit l’éventail de ses horizons pour guider et soutenir l'innovation et la recherche scientifique afin de générer de nouvelles connaissances et des produits de santé révolutionnaires.
Il est important de souligner que vu que les pays africains s’activent pour la mise en œuvre d'un nouvel ordre de santé publique, la conférence de cette année contribuera à construire une Afrique plus saine et plus prospère aussi bien pour le continent que pour le monde.
Plus crucial encore, la CPHIA 2023 vise à identifier les stratégies qui vont permettre à l’Afrique d’accroître sa participation à la prise de décision mondiale, en particulier lorsque les politiques ont de plus grandes implications dans les endroits où les épidémies et les urgences sanitaires sont plus fréquentes, comme l’Afrique.
Et là je vous informe ainsi que nos chers auditeurs que le nouvel ordre de santé publique du CDC Afrique a tracé une feuille de route pour atteindre les objectifs de santé de l’Agenda 2063 grâce à une collaboration multisectorielle et à une capacité vaccinale renforcée en s’appuyant sur cinq piliers, à savoir :
-Des institutions africaines de santé publique solides ;
-Extension de la fabrication de vaccins, de produits diagnostiques et thérapeutiques ;
- Investissement dans le personnel de santé publique et les programmes de leadership ;
-Augmentation des investissements nationaux dans la santé ;
- Des partenariats respectueux et orientés vers l'action.
En tant que scientifique et experte à l'OMS, quelle est, à votre avis, l'apport de l'éthique et de la bioéthique dans l'émergence de nouveaux systèmes de santé sur le continent africain ?
Merci aussi pour cette question importante ! En effet, dans un monde de globalisation où les technologies évoluent à la vitesse de l’éclair, tels que le « geneediting », AI, biologie synthétique, nanotechnologies, biothérapies, etc, l'éthique et la bioéthique sont déterminantes et fondamentales dans l’émergence des nouveaux systèmes de santé au niveau du continent africain, et doivent donc être considérées dans les systèmes de santé, étant donné qu’elles sont le garant non seulement de l’équité dans l'accès aux soins de santé, mais de leur efficacité, sur le plan médical.
En d’autres termes, l’éthique et la bioéthique vont guider et orienter les prises de décisions contextualisées et des planifications adaptées aux besoins locaux et aux valeurs des populations africaines, entre autres, le respect des croyances et des cultures.
De même, je pense que l’institutionnalisation du COPAB (Congrès Panafricain de l’éthique et de la Bioéthique) va contribuer beaucoup à les promouvoir au niveau du continent dans tous les domaines et plus particulièrement l’éthique de la recherche scientifique, y compris le consentement éclairé et la protection des sujets de recherche, pour que la recherche soit menée de manière éthique et bénéfique pour la population africaine.
Je souhaite juste vous informer qu’à la 20 ème Conférence de l’Union africaine, en janvier 2013 à Addis-Abeba, le COPAB a été institué comme partenaire de la Commission de l’Union africaine pour le programme du développement de l’Afrique en lien avec l’éthique et la bioéthique.
De nombreux scientifiques de la santé publique sont attendus à cette rencontre internationale. Nous savons que certains de vos travaux portent sur la détection des OGM dans l'alimentation. Pensez-vous que la qualité de l'alimentation (malnutrition) est la source de nombreuses maladies sur le continent ? Si c'est le cas lesquelles !
Oui la détection des OGM dans les produits agricoles fait partie des contrôles qualité de routine nécessaires pour assurer la protection du consommateur non seulement pour son alimentation mais aussi pour préserver la biodiversité notamment agricole et l’environnement.
Pour ce qui est de la malnutrition, je ne suis pas spécialiste du domaine, mais effectivement il est connu que l’apport insuffisant de nutriments essentiels peut entraîner des carences en vitamines, en minéraux et en protéines, conduisant ainsi à des problèmes de santé graves, tels que le retard de croissance chez les enfants, l’immunité et l'anémie, mais je n’ai pas de données précises à ce sujet pour le continent africain.
Vous avez reçu en 2014 le Prix de la «Meilleure femme scientifique du monde arabe» décerné par le Département d’État US. Quel message comptez-vous lancer aux femmes du continent africain, surtout quand on sait les difficultés qu'elles rencontrent quotidiennement pour l'accès à l'éducation et aux soins de santé?
A ma connaissance, ce ne sont pas tous les pays africains qui rencontrent ces difficultés mais certes il reste encore nos sœurs dans certains pays qui continuent à subir cette iniquité inacceptable, bafouant ainsi le droit le plus élémentaire qu’un être humain doit avoir notamment la femme. Ceci dit, que ce soit pour l’éducation, les soins de santé ou d’autres droits élémentaires, il faut continuer à se battre et à mener des plaidoyers à chaque opportunité. Il faut s’organiser et constituer par exemples des associations, se joindre à des networks internationaux luttant pour les mêmes causes. Il faut faire valoir ses droits et surtout Never Evergive up !
Et le mot de la fin ?!
Le succès grandissant de la Conférence internationale annuelle sur la santé publique en Afrique (CPHIA) est maintenant un fait incontestable. La CPHIA offre une plate-forme unique dirigée par l'Afrique permettant aux dirigeants de tout le continent de réfléchir aux leçons apprises en matière de santé et de science et de s'aligner sur la voie à suivre pour créer des systèmes de santé plus résilients et se positionner, surtout au niveau mondial.
C’est aussi un forum pour le partage d'informations, la discussion de solutions et la promotion de la collaboration interdisciplinaire afin d'améliorer la santé globale de la société. Donc je terminerais en disant oeuvrons tous pour une Afrique plus saine et plus prospère, c’est notre devoir envers nos populations et les futures générations.
Propos recueillis par Oumar DIAGANA et Nouha BELAID
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