Qui règne en Syrie: Ahmed al-Chara ou Abou Mohamed al-Joulani ?

Qui règne en Syrie: Ahmed al-Chara ou Abou Mohamed al-Joulani ?

Par Mahjoub Lotfi Belhedi, Spécialiste en réflexion stratégique

Il peut paraître évident, pour certains, que la formulation du titre est une tentative absurde de défoncer des portes ouvertes vu que l’usage des surnoms, tel que "Abou Mohammed", fait depuis toujours partie intégrante du l’héritage culturel oriental.

Cependant, pour ceux qui suivent de près l’actualité syrienne et les médias internationaux, on constate l’usage intensif du véritable nom du chef de "HTC", Ahmed al-Charaa, tout en occultant, en grande partie, son nom de guerre, "Abou Mohammed al-Joulani". Cela suscite des interrogations et même des soupçons !

Afin de lever cette ambiguïté, nous avons décidé de creuser au-delà des registres civils du nouveau dirigeant de la Syrie.

1. Ahmed, fils de Hussein al-Charaa

Pour comprendre la personnalité « d’Ahmed al-Charaa », il faut d’abord examiner de près le contexte familial dans lequel il a grandi et les bouleversements qu’il a connus.

Ahmed al-Charaa, connu plus tard sous le nom d’Abou Mohammed al-Joulani, est né en 1982 en Arabie Saoudite, au sein d’une famille relativement aisée et instruite, originaire du Golan. Son père, « Hussein al-charaa », d’orientation nationaliste nassérienne et baassiste (dans sa version irakienne), était un économiste. Il fut emprisonné pour avoir rejeté la séparation entre l’Égypte et la Syrie en 1961, avant de s’engager politiquement au sein du "Front progressiste" sous le régime du président Hafez al-Assad. Il a également travaillé plusieurs années en Arabie Saoudite comme conseiller économique auprès d’une compagnie pétrolière saoudienne.

Dans ce cadre familial hautement politisé, Ahmed al-Charaa est né et a passé une partie de son enfance en Arabie Saoudite avant de s’installer avec sa famille à Damas, dans le quartier huppé de « Mezzeh ». Après avoir obtenu son baccalauréat, il s’est inscrit à la faculté de médecine de l’Université de Damas.

Son adolescence a coïncidé avec des événements régionaux et internationaux marquants qui ont largement contribué à façonner son identité idéologique, notamment :

-Le déclenchement de la deuxième Intifada en 2000

-Les événements du 11 septembre 2001

Il est fort probable qu’avant de rejoindre les groupes terroristes en Irak, Ahmed al-Charaa était actif au sein de cercles islamistes radicaux à Damas.

2. Abou Mohammed al-Joulani

Après avoir abandonné son rêve de devenir médecin, Ahmed al-Charaa a quitté la Syrie pour l’Irak, où il s’est converti à « Abou Mohammed al-Joulani », en référence à la région syrienne du Golan dont il est originaire, et en hommage par voie de simulation à son gourou, « Abou Musab al-Zarqaoui », natif de la ville jordanienne de « Zarqa ».

En Irak sous l’occupation américaine, il a rejoint plusieurs organisations terroristes, à commencer par « Al-Qaïda » sous le commandement d’Abou Musab al-Zarqaoui, puis Daech (l’État islamique).

Par la suite, il a décidé de lancer sa propre "boîte terroriste", fondant le « Front al-Nosra », qu’il a transformé après sa rupture avec Al-Qaïda en "Front Fatah al-Cham". Ce groupe a ensuite fusionné en 2017 au sein d’une coalition de factions islamistes hostiles au régime de Bachar al-Assad, connue sous le nom de "Hay’at Tahrir al-Cham".

A partir de 2017, Abou Mohammed al-Joulani a pris la tête du premier "Emirat islamique" syrien dans la province d’Idleb avant que le Mistral (vent violent) turco-erdoganiens ne le propulse au cœur de Damas en tant que nouveau leader de la Syrie post-Bachar al-Assad.

3. Qui est-il exactement ?

Après avoir mis fin au jeu des « alliances sanguinaires » avec Abou Musab al-Zarqaoui et Abou Bakr al-Baghdadi, Abou Mohamed al-Joulani s’est lancé, depuis son règne sur la province d’Idleb, dans une vaste opération de "chirurgie esthétique" visant à renouer avec son image originelle Ahmed al-Charaa, fils de l’intellectuel de gauche Hussein al-Charaa, habitant du quartier bourgeois de Mezzeh, aspirant être un jour un éminent médecin !

Le résultat symptomatique de cette tentative de transmutation, du moins jusqu’à l’écriture de cet article, est que nous sommes face à un islamiste polymorphe, un véritable "caméléon islamiste" de souche, qui a trouvé dans le pragmatisme erdoganien son salut providentiel, et dans la figure emblématique de « Muawiya ibn Abi Sufyan », fondateur de « l’État omeyyade » (de 661 à 750), une source d’inspiration et de légitimité historique, si non comment expliquer son obsession à intégrer la région du "Cham" dans les appellations de ses organisations – "Front Fatah al-Cham", puis "Hay’at Tahrir al-Cham" ? En sus,  pourquoi a-t-il choisi « la mosquée des Omeyyades » comme tribune pour s’adresser aux Syriens et au monde après son entrée à Damas, au lieu de s’exprimer sur la place la plus symbolique dans la mémoire collective syrienne, en l’occurrence la place Marjeh, connue également sous le nom de "place des Martyrs", où des écrivains et politiciens furent exécutés en 1916 sur ordre de « Jamal Pacha », le commandant de la quatrième armée ottomane ?

En conclusion

En tant que nouveau  « Muawiya", parviendra-t-il à « digérer » d’une manière métabolique durable une Syrie citoyenne et démocrate à l’abri des clivages idéologiques et confessionnels?

Cela, seule la prochaine évolution darwinienne du tandem Joulani-Charaa pourra le révéler.

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