Racisme: Le poids des mots, le choc des photos n'ont jamais été aussi éloquents
Par Kaïs Ben Mrad
Deux semaines après la polémique suscitée par les propos du président Kaïs Saïed, qui est allé jusqu’à accuser les Subsahariens résidant en Tunisie de vouloir modifier la composition démographique de la Tunisie dans le cadre de la théorie du "Grand remplacement", les autorités tunisiennes ont finalement saisi la gravité de la situation.
Face à la vague d’indignations suscitée partout en Afrique, devant les dégâts collatéraux occasionnés aux Tunisiens à l'étranger et à leurs intérêts (boycott de produits tunisiens, commandes annulées, inquiétude des milliers de Tunisiens travaillant partout en Afrique), et après cette décision de la Banque mondiale de suspendre provisoirement ses travaux avec notre pays, nos gouvernants se sont enfin réveillés. Et semblent désormais (mieux vaut tard que jamais) saisir le poids des mots utilisés et le "choc des photos" qui seraient un des éléments déclencheurs de la pire campagne de racisme, de xénophobie et de maltraitance qu’a vécue la Tunisie et dont sont victimes des ressortissants d'Afrique Subsaharienne.
Dans des communiqués diffusés le dimanche 5 mars 2023 par la Présidence de la République et par la Présidence du Gouvernement, la Tunisie a finalement exprimé son rejet catégorique des accusations portées contre l'Etat tunisien de "racisme", tout en annonçant de nouvelles mesures en faveur des Subsahariens pour faciliter leur séjour dans le pays.
Parmi ces mesures figurent, entre autres, l'octroi de cartes de séjour d'une durée d'un an aux étudiants subsahariens, la simplification des procédures de rapatriement volontaire dans un cadre organisé et en coordination avec les ambassades des pays concernés, et l'exonération du paiement par les Subsahariens des amendes de retard liées au dépassement de la durée de séjour autorisée dans le cadre du rapatriement volontaire.
Mais cette réaction, bien que nécessaire mais assez tardive, des autorités tunisiennes suffira-t-elle à apaiser les tensions et à redorer l'image de la Tunisie grandement ternie aussi bien à l'échelle africaine qu'internationale. Cette Tunisie naguère connue pour son hospitalité légendaire et à l'esprit d'ouverture de ses fils et filles a toujours inspiré admiration et respect hors de ses frontières. Cette Tunisie qui a toujours été un parangon pour ses prouesses dans une kyrielle de domaines (enseignement, santé, infrastructures...).
A présent, il est à se demander ce qu'il reste du prestige que lui conférait son statut d’avant-garde en matière de libertés, de pluralisme politique, de droits de la femme et du respect des minorités ?
Il est malheureux de constater que la balle est déjà partie et qu'un travail abattu par des opérateurs tunisiens auprès de nombreux pays africains a été réduit en poussière en si peu de temps. Quel gâchis ! Et pire encore, les dégâts à venir pourraient être incalculables ! La vague de ressentiment anti-tunisien dans les pays d'Afrique subsaharienne (et même ailleurs) pourrait atteindre un seuil assez grave qui risquerait de se traduire par des retours au bled de nombre de nos cadres, entrepreneurs et même des familles entières...
A présent que les campagnes de boycott de produits tunisiens s'organisent dans certains pays africains, que plusieurs hommes d'affaires subsahariens annulent leurs voyages vers la Tunisie, que des missions, salons et forums sont suspendus, que des malades soient réorientés vers d'autres destinations concurrentes... les autorités tunisiennes doivent se mobiliser beaucoup plus pour tenter de sauver ce qui reste des meubles. Et l'entreprise n'est pas des plus aisées.
Ce ne sera pas une tâche facile, mais à des conditions. Pour cela, la Tunisie doit mettre à côté sa "fierté" mal placée, mobiliser toutes ses ressources (société civile, organisations syndicales, médias, ONG et associations de lutte pour l'égalité des droits) et présenter des excuses publiques et sincères au monde entier, loin de toute langue de bois et de toute acrobatie langagière...
La Tunisie, qui a, ne l'oublions pas, donné son nom à l'Afrique (ancienne Ifriqiya) doit mettre sur pied des campagnes systématiques de lutte contre le racisme et la xénophobie et éduquer une bonne partie de son peuple à travers des actions de sensibilisation.
Et pour finir, et non le moindre, dissoudre et interdire les groupes ou partis racistes dont particulièrement le Parti nationaliste tunisien présidé par Sofien Ben Sghaïer. Ce parti raciste et xénophobe reconnu pourtant par l’Etat depuis décembre 2018, qui, par ses sorties malsaines et honteuses, a souillé la Tunisie en faisant de la distillation de la haine et du rejet des Subsahariens son "fonds de commerce".
En attendant d'espérer des lendemains meilleurs, la Tunisie aura au moins appris à ses dépens que dans la vie politique (ou dans la vie tout court), un seul mot de travers peut parfois faire basculer un destin et générer des conséquences "inimaginées" ! Et le moins qu'on puisse dire, c'est que la leçon a été retenue !
Par K.B.M.
Votre commentaire