République tunisienne : trois Constitutions, trois Visions et sept présidents

 République tunisienne : trois Constitutions, trois Visions et sept présidents

Aujourd'hui, la Tunisie célèbre le 68e anniversaire de la République. Et contrairement aux années d’avant 2011, cette fête, comme toutes les fêtes nationales, d’ailleurs, qui symbolise la souveraineté populaire, la modernité de l'État tunisien, et le passage à un régime républicain après la colonisation française, se trouve complètement banalisée. Elle n’est plus célébrée dans la ferveur ni marquée par des discours officiels, des cérémonies patriotiques, des hommages aux figures historiques, et des initiatives culturelles et éducatives.

Il serait, peut-être, fastidieux de revenir sur les différentes péripéties de la jeune République tunisienne et les faits marquants de ces 68 dernières années. Ni sur les heurs et malheurs du peuple tunisien au cours de ces décennies. Laissons cette tâche aux historiens et autres analystes de tout acabit. Et faisons un rappel historique des péripéties du régime politique depuis l’accession du pays à l’indépendance le 20 mars 1956 et particulièrement depuis l’abolition de la monarchie beylicale et l’instauration de la République le 25 juillet 1957.

La Tunisie a, en effet, connu une trajectoire politique marquée par de profondes mutations, oscillant entre autoritarisme et espoirs démocratiques, entre stabilité institutionnelle et bouleversements populaires. Ce parcours, jalonné de ruptures majeures, la déposition du père fondateur Bourguiba le 7 novembre 1987 et la chute du régime de son successeur Ben Ali le 14 janvier 2011, le coup de force de Kais Saied le 25 juillet 2021, reflète les tensions constantes entre modernisation politique, aspirations populaires et luttes pour le pouvoir.

Mais son histoire reste marquée par le sceau et le charisme de son premier Président Habib Bourguiba devenu un référent consensuel. Il engage des réformes structurelles : scolarisation de masse, émancipation des femmes avec le Code du statut personnel, politique de planification économique et laïcisation partielle de l’État.

Trois Constitutions, trois visions

Depuis son accession à l’indépendance en 1956, la Tunisie a connu trois constitutions majeures qui ont chacune incarné une vision différente du pouvoir, des libertés et de l’organisation de l’État. Le cadre constitutionnel tunisien est le miroir des évolutions — et des tensions — de la vie politique nationale.

Elles traduisent autant de moments-clés dans l’histoire du pays :

La première Constitution tunisienne, adoptée le 1er juin 1959, marque l’instauration d’un régime présidentiel fort : Construction de l’État moderne autour d’un pouvoir central fort.

La deuxième Constitution a été adoptée le 26 janvier 2014 par l’Assemblé nationale constituante élue en octobre 2011 : Tentative de transition démocratique et pluraliste.

La troisième Constitution a été soumise à référendum le 25 juillet 20222022 : elle consacre le recentrage du pouvoir autour d’un président élu.

Les Présidents de la Tunisie Indépendante : De Bourguiba à Kaïs Saïed, une République en Mutation

Depuis l’abolition de la monarchie en 1957 et la proclamation de la République, la Tunisie a été dirigée par sept présidents. Chacun d’eux a incarné une époque, une vision de l’État et un rapport spécifique au pouvoir. De la figure fondatrice d’Habib Bourguiba à l’ère de Kaïs Saïed, l’histoire présidentielle tunisienne est aussi celle des tensions entre autorité et démocratie, entre modernité et conservatisme.

Habib Bourguiba (1957–1987) : Le père fondateur

Premier président de la République tunisienne, Habib Bourguiba s’impose comme l’artisan de l’indépendance et le bâtisseur de l’État moderne. Proclamé président en 1957, il met en place un régime présidentiel fort, centralisé autour de sa personne et de son parti, le Néo-Destour, devenu ensuite le Parti Socialiste Destourien (PSD).

Son œuvre majeure réside dans les réformes sociales audacieuses, notamment l’émancipation des femmes à travers le Code du statut personnel, la scolarisation de masse, et la sécularisation partielle de la vie publique. 

Sous sa présidence, cinq premiers ministres se sont succédé à la Kasbah :

Bahi Ladgham

7 novembre 1969 – 2 novembre 1970

Hédi Nouira

2 novembre 1970 – 23 avril 1980

Mohammed Mzali

23 avril 1980 – 8 juillet 1986

Rachid Sfar

 8 juillet 1986 – 27 octobre 1987

Zine El Abidine Ben Ali

 2 octobre 1987 – 7 novembre 1987

 Il dépose Bourguiba et devient président.

Zine El Abidine Ben Ali (1987–2011)

Le 7 novembre 1987, Zine El Abidine Ben Ali renverse Bourguiba pour "incapacité mentale", dans un "coup d’État médical" sans effusion de sang. Si les premières années laissent entrevoir un espoir d’ouverture politique, le régime s’enferme rapidement et se trouve gangréné par la corruption.

Il a nommé trois premiers ministres :

Hédi Baccouche

 7 novembre 1987 – 27 septembre 1989

Hamed Karoui

 27 septembre 1989 – 17 novembre 1999

Mohamed Ghannouchi

 17 novembre 1999 – 14 janvier 2011

 Il assure brièvement l’intérim présidentiel lors de la révolution.

Fouad Mebazaa (2011)

Ancien président de la Chambre des députés, Fouad Mebazaa est désigné président par intérim après la chute du régime de Ben Ali. Il supervise la dissolution du RCD dont il était membre et l’organisation des premières élections démocratiques.

Deux premiers ministres :

Mohamed Ghannouchi (intérim post-révolution)

14 janvier 2011 – 27 février 2011

Béji Caïd Essebsi

27 février 2011 – 24 décembre 2011

Moncef Marzouki (2011–2014)

Élu par l’Assemblée nationale constituante issue des élections de 2011, Moncef Marzouki, militant des droits de l’homme, incarne une nouvelle ère. Son mandat est marqué par des tensions entre islamistes et modernistes, mais aussi par l’adoption de la Constitution de 2014 qui a paralysé la gouvernance des affaires de l'Etat.

Trois chefs de gouvernement :

Hamadi Jebali (Ennahdha)

 24 décembre 2011 – 13 mars 2013

Ali Larayedh (Ennahdha)

13 mars 2013 – 29 janvier 2014

Mehdi Jomaa

 29 janvier 2014 – 6 février 2015

Béji Caïd Essebsi (2014–2019)

Premier président élu au suffrage universel direct après la chute de Ben Ali, Béji Caïd Essebsi incarne un retour à une forme de continuité institutionnelle. Fondateur du parti Nidaa Tounes, il cherche à réconcilier anciens du régime de Bourguiba et adversaires d’Ennahdha, dans une logique de consensus.

Son mandat est marqué par une relative stabilité politique, mais aussi par l’émergence de tensions sur la question des libertés individuelles et de la répartition des pouvoirs. Il décède en exercice en juillet 2019.

Deux chefs de gouvernement :

Habib Essid

6 février 2015 – 27 août 2016

Youssef Chahed

27 août 2016 – 27 février 2020

Mohamed Ennaceur (2019)

En tant que président de l’Assemblée, Mohamed Ennaceur assure l’intérim jusqu’à l’élection présidentielle anticipée, conformément à la Constitution.

Kaïs Saïed (2019–aujourd’hui)

Professeur de droit constitutionnel, Kaïs Saïed est élu en octobre 2019 avec un score écrasant, puis réélu en octobre 2024 par plus de 90% des suffrages exprimés. Il se présente comme un candidat "hors système", anti-corruption et proche du peuple.

Mais son mandat prend un tournant décisif en juillet 2021 : face à la crise politique et à la paralysie du parlement, il gèle les institutions, gouverne par décrets, dissout l’Assemblée, puis fait adopter une nouvelle Constitution en 2022. Ce texte consacre un régime hyper-présidentiel et marginalise les contre-pouvoirs.

Elyes Fakhfakh

27 février 2020 – 2 septembre 2020

Hichem Mechichi

 2 septembre 2020 – 25 juillet 2021

Najla Bouden Romdhane

11 octobre 2021 – 2 août 2023

 Première femme à occuper ce poste

17.Ahmed Hachani

2 août 2023 - 7août 2024

18.Kamel Maddouri :

7 août 2024- 20 mars 2025 

19. Sarra Zaafrani : 21 mars 2025- …

Si chaque étape répondait à une conjoncture spécifique, la question qui reste posée est celle de la capacité du pays à concilier stabilité institutionnelle, respect des libertés et efficacité de l’action publique. Le défi demeure entier.

B.O

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