Sommet arabe : pari tenu mais pour quels résultats ?
Le 30ème Sommet arabe qui vient de s’achever à Tunis est incontestablement un succès si on s’en tient au niveau de la participation et à la qualité de l’organisation. Tous les chefs d’Etat qui avaient l’habitude de prendre part à de telles joutes étaient présents.
Fait remarquable, plus de la moitié des 20 pays de la Ligue des Etats arabes étaient représentés au niveau le plus élevé. Cerise sur le gâteau, le Roi d’Arabie Saoudite Salmane Ibn Abdelaziz dont les déplacements à ce genre de réunions sont rares était à Tunis pour la passation de témoin, en sa qualité d’hôte du 29ème sommet tenu il y a un an dans la ville de Dhahran.
Il a même décidé de faire précéder sa participation par une visite d’Etat qui va se prolonger par un long séjour en Tunisie à la tête d’une suite qui compte pas moins de mille personnes, pour lesquelles il a fallu affréter une flotte de plus d’une vingtaine d’avions.
Tunis a revêtu ses plus atours pour accueillir dignement les dirigeants des 20 pays arabes ou leurs représentants. L’organisation a été impeccable à tout point de vue. Le palais des Congrès rénové était un joyau. Un personnel de grande qualité était aux petits soins pour les délégués et autres journalistes.
L’arrivée était minutée et le protocole rondement mené sans le moindre accroc. Il faut dire que le président de la République, a mis du sien pour que tout soit conduit de façon absolument parfaite.
Samedi il a accueilli au bas de la passerelle un à un ses hôtes, les chefs d’Etat et de délégation ayant un bon mot pour chacun. Il les a accompagnés au cours de cérémonies protocolaires fastidieuses sans perdre de son entrain. Dimanche, il a salué tous les invités de la Tunisie avec la même verve à leur arrivée au Palais du Congrès.
Béji Caïd Essebsi était dans son élément, comme un poisson dans l’eau parmi ses pairs. La diplomatie est un domaine qu’il connait sur le bout des doigts et les affaires extérieures lui ont toujours réussi.
Mais si le pari de l’organisation dans d’excellentes conditions du 30ème Sommet arabe a été tenu, ce qui n’était pas du tout évident, en est-il de même des résultats de cette conférence réunissant les dirigeants arabes au niveau le plus élevé. Pour être plus direct, la conférence elle-même a-t-elle tenu ses promesses et s’est-elle conclue par des décisions à la hauteur des attentes des Arabes et de leurs aspirations à voir ce genre de réunion prendre en charge leurs problèmes et mettre tout en œuvre pour leur trouver des solutions. Ou tout du moins à les voir armés de la cohésion et de la solidarité qui leur permettront de relever les défis auxquels le monde arabe fait face.
Le président tunisien a beau baptiser ce sommet, celui « de la détermination et de la solidarité » et affirmer dans son discours à l’ouverture des travaux que « le monde arabe ne manque ni de mécanismes de l’action commune, ni de ressources humaines et matérielles, ni des facteurs de l’union et de la complémentarité », le sommet s’achève sans que des décisions spectaculaires ou d’importance n’aient été prises. Chaque chef d’Etat ou de délégation a délivré le discours de son pays sans qu’il ne soit écouté et encore moins entendu.
Tous les problèmes restent insolubles et à part qu’ils aient été évoqués on ne voit pas quelle tournure ils prendront. Le communiqué final est comme à son habitude un catalogue de dossiers qui vont de la Syrie à la Libye en passant par le Yémen, tous aussi inextricables les uns que les autres.
Même la question palestinienne que l’on veut remettre à sa place centrale parmi les préoccupations de la communauté arabe, elle est tout juste effleurée. Si dans les discours on ne manque pas d’imagination pour en faire le problème prioritaire de la région et même du monde, en pratique rien n’est fait à part faire des promesses qui ne tiennent que pour ceux qui veulent bien y croire.
« Nous sommes au-devant de jours encore plus difficiles » a tonné Mahmoud Abbas le président de l’Autorité palestinienne. Pour seule réponse, décision a été prise pour lui allouer 140 millions de dollars par mois, selon le secrétaire général de la Ligue Arabe l’égyptien Ahmed Aboul-Gheit. Mais qui va payer cette somme et de quelle manière ? On ne le saura jamais.
Même la question du Golan, sur laquelle une belle unanimité s’est dégagée pour rejeter la décision américaine de reconnaitre la souveraineté israélienne sur ce plateau syrien occupé, elle n’a pas créé l’union sacrée qui aurait pu ébranler les certitudes de la partie adverse quant à la capacité des Arabes à relever les défis qui se présentent à eux.
La signature en grande pompe par le président américain Donald Trump d’un document reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan syrien occupé depuis 1967, cinq jours avant la tenue du sommet arabe n’est pas fortuite.
Quand bien même elle a pris l’allure d’une humiliation dirigée directement contre les dirigeants arabes, ceux-ci font comme si de rien n’était. Le nom du président américain n’est même pas cité. On s’en remet à la légalité internationale et à la position des autres pays qui ont rejeté la déclaration américaine.
Pour le parallélisme des formes il aurait été plus judicieux que les chefs d’Etat arabes signent collectivement une déclaration tout aussi solennelle reconnaissant la souveraineté syrienne sur le Golan. Mais ils en sont incapables. Qui voudrait froisser l’allié américain ? Evidemment personne.
D’ailleurs l’hésitation du président égyptien Abdefattah Al-Sissi à prendre part au Sommet, puisqu’il a laissé entendre qu’il ne viendrait pas avant de se raviser à la dernière minute, est jugée comme une conséquence du climat créé par la mesure américaine.
Devant se rendre au cours de la deuxième semaine d’avril à Washington pour des entretiens avec Trump « portant sur les intérêts stratégiques des deux pays », selon son porte-parole, le chef de l’Etat égyptien a certainement voulu adresser un message à l’administration américaine qu’à tout prendre il préfère privilégier ses relations avec Washington.
Pour autant, le président américain s’arrêterait-il de tourner le couteau dans les plaies d’un monde arabe tenaillé par la douleur. Après avoir déménagé l’ambassade US à Al-Qods-occupée et reconnu ainsi la ville sainte comme capitale d’Israël, après avoir signé la reconnaissance de la souveraineté de l’Etat hébreu sur le plateau du Golan syrien, Trump va-t-il enfin dévoiler ses cartes et mettre en exécution le « deal du siècle » ce plan tant redouté qui sonnera le glas de la cause palestinienne. La prochaine étape pourrait être l’annexion des colonies de peuplement en Cisjordanie, ce qui signifierait la mort d’un Etat palestinien viable.
Même s’ils semblent enclins à une réaction plutôt musclée, puisqu’ils sont unanimes à rejeter la décision américaine, les dirigeants arabes prendront-ils des mesures plus spectaculaires. La plus remarquable aurait été de décider du retour du régime syrien dans le giron arabe en appelant Bachar Al Assad à reprendre sa place parmi ses pairs arabes.
Ce pas qui aura été applaudi par les foules dans le monde arabe, le Sommet de Tunis n’a pas été en mesure de le franchir, faute d’un consensus arabe. Si pris individuellement les Etats membres de la Ligue arabe n’ont pas exprimé dans leur quasi-totalité des réserves majeures autour du retour de la Syrie, la non-concrétisation de ce vœu largement partagé par les populations arabes a encore élargi le fossé entre ces dernières et l’organisation panarabe dont l’utilité est plus que jamais remise en question.
La Tunisie est-elle à incriminer pour ne pas avoir entrepris les efforts nécessaires à cet effet ? En tant que pays accueillant le Sommet arabe, il lui revenait certainement de tout faire pour parvenir à ce but. Surtout qu’il était soumis à des pressions internes et externes à cette fin.
L’opinion publique tunisienne est en effet favorable au retour de la Syrie à la Ligue arabe comme d’ailleurs à la reprise des relations diplomatiques pleines entre les deux pays. Sur le plan extérieur, on se rappelle de la visite à Tunis du ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov le 24 janvier dernier. Son but était d’ailleurs de pousser Tunis à favoriser ce retour.
Quand bien même son homologue tunisien Khemaies Jhinaoui a déclaré lors d’une conférence de presse commune que « La Syrie est un État arabe important » et que « sa place naturelle est dans le giron arabe », il n’a pas caché la difficulté de l’entreprise en faisant remarquer que « La question du retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe ne dépend pas de la Tunisie mais de la Ligue arabe", a-t-il poursuivi. Ce sont les dirigeants des pays arabes "lors de leur prochaine réunion", qui "décideront de la manière de réintégrer ou non la Syrie ".
Ce pari semble avoir été perdu et on ne peut que le regretter, car c’était la seule décision qui aurait remis la Ligue arabe à flots et permis aux masses arabes de croire encore en elle.
Parmi les dossiers soumis au Sommet, celui de la Libye est de la plus grande importance pour la Tunisie. Car de lui dépend pour une grande part la sécurité intérieure du pays. Des avancées importantes ont été enregistrées sur la voie d’un règlement politique inter-libyen sous les auspices de l’émissaire onusien, Ghassen Salamé.
Une réunion quadripartite a eu lieu en marge du Sommet arabe, à laquelle ont pris part le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, la haute représentante chargée des relations extérieures et de la sécurité de l’Union Européenne Federica Mogherini, le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul-Gheit et le président de la commission de l’Union Africaine Moussa Faki Mahamat. Cette réunion à laquelle prendra part M.Salamé discutera des prochaines étapes sur la voie de la mise en œuvre de ce règlement.
En effet un rassemblement des forces politiques libyennes est prévu à la mi-avril à Ghadamès près du triangle frontalier tuniso-algéro-libyen pour paver la voie à des élections générales présidentielles et législatives qui devaient avoir lieu avant la fin de l’année.
Bien que partie prenante, la Ligue arabe est réduite à suivre le mouvement puisque le dossier est placé sous l’égide des Nations Unies. Les puissances régionales pourtant moyennes comme l’Italie ou la France y jouent d’ailleurs un rôle déterminant. Ce qui est d’ailleurs regrettable, mais non moins significatif de la faiblesse des Arabes et de l’inaptitude de leur organisation à être en mesure de peser sur les événements.
Malgré les espoirs placés dans le Sommet de Tunis, ce ne sera en fin de compte qu’un coup d’épée dans l’eau. Loin de la résurrection que les Arabes appellent de leurs vœux.
RBR
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