Sommet humanitaire à Istanbul : Un échec programmé ?
La Turquie et l’Allemagne co-président le premier Sommet humanitaire mondial qui se tient à Istanbul. Pour le symbole car la Turquie est le pays qui accueille un très grand nombre de réfugiés, 2,7 millions de Syriens alors que l’Allemagne a ouvert ses portes devant la plus importante vague de migrants d’après la seconde guerre mondiale. La Tunisie est présente à ce Sommet par une délégation conduite par le Chef du gouvernement Habib Essid. Mais ce sont finalement les affaires domestiques en Turquie qui se sont répercutées sur cette conférence parrainée par l’ONU et dont l’objectif est d’améliorer la réponse aux crises humanitaires provoquées par les conflits ou le réchauffement climatique. Mais en renvoyant son premier ministre, en révisant la Constitution pour s’octroyer de larges pouvoirs et en muselant la presse et l’opposition, le président Recep Tayyep Erdogan a rendu un mauvais service à ce sommet inédit.
La rencontre froide qu’il a eu avec la Chancelière allemande Angela Merkel, en marge du Sommet, a douché les espoirs sur sa réussite. Malgré les soucis diplomatiques, la cheffe du gouvernement de Berlin n’a pas mâché ses mots. Elle a fait savoir que la situation politique en Turquie l’inquiétait. « J’ai clairement indiqué que nous avons besoin d’une justice indépendante, de médias indépendants, d’un parlement fort et que la levée de l’immunité d’un quart des députés du parlement turc était source de profonde inquiétude », a résumé la chancelière allemande devant la presse. Signe de ces difficultés : celle-ci s’est exprimée seule. Il n’y a pas eu de conférence de presse commune comme le veut l’usage. Deux mois après l’accord sur les réfugiés conclu entre l’Union Européenne et la Turquie, les contentieux ne cessent de se multiplier entre le président turc et les Européens, notamment les Allemands. Angela Merkel est dans une position inconfortable. Principale inspiratrice, avec le premier ministre turc démissionnaire Ahmet Davutoglu, de l’accord de mars entre les deux parties, la chancelière allemande n’a pas intérêt que cet accord tombe. Mais elle ne pouvait pas non plus accepter « la dérive autocratique » d’Erdogan, un sujet sur lequel elle est vivement critiquée. Outre ses déclarations fermes face à Erdogan, Angela Merkel a également indiqué que l’Union européenne n’exempterait pas de visas les citoyens turcs tant qu’Ankara ne remplirait pas les 72 conditions exigées par l’Europe, dont fait partie la réforme de la loi antiterroristes dont ne veut pas entendre parler le président Erdogan. « J’ai clairement dit que le chemin vers l’exemption de visas passe par 72 points », a indiqué Mme Merkel pour qui « il est prévisible que jusqu’au 1er juillet certaines choses ne seront pas mises en œuvre ». Près de 6 000 participants ont répondu présent au sommet. Mais la tâche "n'est pas aisée", selon le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon. Avec environ 60 millions de déplacés et 125 millions de personnes ayant besoin d'assistance dans le monde, de nombreux acteurs du secteur, États, organisations non gouvernementales et entreprises, estiment que le système humanitaire actuel est à bout de souffle et a besoin d'être repensé d'urgence. L’autre difficulté c’est que les engagements pris à ce sommet ne seront toutefois pas contraignants, ce qui a suscité le scepticisme de bon nombre d'acteurs de l'humanitaire. Anticipant une "déclaration de bonnes intentions" et aucune avancée concrète, l'ONG Médecins Sans Frontières (MSF) a même décliné l'invitation.
Cependant, les organisateurs se voulaient résolument optimistes, avec à cet égard une cérémonie d'ouverture rythmée à laquelle a notamment pris part l'acteur Daniel Craig. L'interprète de James Bond a exhorté les responsables présents à se garder des "phrases creuses" qui ne seraient pas suivies d'actes. Le sommet de deux jours veut engendrer une série d'actions et d'engagements pour éviter les conflits, faire respecter le droit international humanitaire et garantir des sources de financement stables pour les projets humanitaires. "Très souvent, des promesses de dons sont faites, mais l'argent ne suit pas", a déploré la chancelière allemande Angela Merkel. "Cela doit cesser". Malgré tout, les participants, dont de nombreuses ONG de petite ou moyenne taille en première ligne des crises humanitaires, espèrent que le sommet donnera au moins un élan dans la bonne direction.
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