Tous les peuples arabes devraient être fiers de nous !
Dans un mois presque jour pour jour, les Tunisiens se déplaceront aux urnes pour la 4ème fois de leur histoire pour élire. Une première fois pour choisir nos constituants en 2011. Puis les législatives d'octobre dernier. Enfin lors du premier tour de la présidentielle. On a l'impression que l'histoire s'accélère dans nos contrées. Et tant mieux ainsi. Car on a du retard à rattraper dans note façon de gouverner, de produire, de s'instruire, d'innover et de renaître peut-être.
Le premier enseignement dans une élection et de loin le plus important est le taux de participation. Cet indicateur est capital dans la vie d'une démocratie. Et nous y sommes. N'écoutons pas les pseudo-analystes qui distillent beaucoup plus de conneries que d'analyses pertinentes. Ces derniers nous affirment avec arrogance que nous ne sommes pas encore en démocratie sans aucun fondement théorique.
En effet selon Samuel Huntington, professeur américain de Sciences Po de l'université de Harvard où il a enseigné 58 ans (un peu d'humilité mes chers professeurs des brillantissimes universités tunisiennes au classement Googlien), une démocratie est dite établie si on y a organisé au moins deux scrutins libres avec passation de pouvoir entre 2 régimes différents.
Cette règle s'appelle " two turnovers".
Le 23 octobre, quand le gouvernement Jebali a "repris" le pouvoir légué de l'ancien système, on a vécu notre premier turnover. (On y a même été invité grâce à un micro "oublié" et glissé par Nessma dans la veste du chef de gouvernement sortant, Béji Caïd Essebsi).
Le second aurait été la passation de pouvoir entre le gouvernement Mehdi Jomâa et celui de Nidaa Tounes. Or, cette passation n'a pas encore eu lieu. Par ailleurs, M.Ghannouchi a acté cette passation virtuellement lorsqu'il a appelé le leader de Nidaa en le félicitant de sa victoire.
Selon la règle de Huntington, nous sommes bien en démocratie établie. Je tiens à féliciter le peuple de Tunisie pour cette exception culturelle. Tout le peuple arabe devrait être fier de nous. Et nous ne cachons pas notre fierté.
Revenons à ce premier scrutin en démocratie établie qu'est ce deuxième tour de présidentielle et la problématique du taux de participation.
Qu'en sera-t-il le 28 décembre ?
D'abord on doit s'accorder sur la définition retenue dudit taux. On appelle taux de participation brut, le nombre de personnes qui se sont déplacées aux urnes par rapport au nombre potentiel de citoyens en âge de voter.
Le taux de participation brut (TPB) nous permet de comparer l'engouement des Tunisiens à un scrutin quelle que soit la règle d'inscription. Rappelons-nous qu'en 2001, l'ISIE de Kamel Jendoubi a permis aux non inscrits de voter. Ce qui n'est pas le cas pour ces deux derniers scrutins (législatives et 1er tour de la présidentielle de 2014).
En 2011, le TPB était de 54%. (4,3 millions de votants sur un total de 8 millions de Tunisiens en âge de voter, selon recensement INS).
Ce taux a fortement baissé de 10 points le 26 octobre 2014. Soit 44%. (3,6 millions). Lors du premier tour de la présidentielle de dimanche dernier, le taux de participation a encore chuté de 3 points en s'établissant à 41%.
Les enseignements qu'il faut tirer de cette baisse est que notre jeune démocratie a déjà vieilli et se comporte comme les démocraties essoufflées avec des taux de participation comparables.
Ceci confirme également l'accélération de l'histoire pour nous autres Tunisiens. Mais cela démontre aussi une certaine lassitude de cette messe populaire représentée par les élections.
Le 28 décembre, cette tendance baissière sera-t-elle confirmée? Pour que l'engouement à ces élections draine les foules, il faut une certaine rénovation dans les méthodes et les têtes d'affiches. Or, les deux prétendants sont connus du bataillon des électeurs et surtout des jeunes électeurs pour qui ces deux candidats souffrent d'un paradoxe de notoriété et de méconnaissance.
Je rappelle que la majorité des 2 millions (5,3 - 3,3) d'inscrits qui sont restés chez eux (ou partis profiter du temps ensoleillé du dimanche 23 novembre), est plutôt jeune.
Je m'explique. Pour attirer la foule des électeurs jeunes, il faut que le spectacle démocratique soit assez attractif et compréhensible par cette majorité silencieuse inscrite.
Or, ces deux candidats appartiennent à la génération des grands-parents (voire arrière grands-parents). D'où la rupture générationnelle.
J'estime qu'il va y voir près de 3 millions d'électeurs essentiellement adultes le 28 décembre. À moins que l'un des deux candidats ne puisse rajeunir son look, son attitude ainsi que son discours. Autre attrait possible serait l'organisation de deux ou trois débats comme dans toute démocratie établie. Aujourd'hui, les jeunes sont habitués à des duels sensationnels opposant le Real Madrid au FC Barcelone via leur dreambox en groupe ou dans les réseaux sociaux no 1 en Tunisie que sont les cafés.
À ce jour, on leur offre un huis clos entre Olympique El Kef et FC Tajerouine (j'ai prévu des critiques régionales donc j'ai pris ma région comme stratégie, auto-dérision remède à la bêtise humaine).
Je m'adresse enfin aux deux directeurs de campagne Adnène Mansar et Mohsen Marzouk, à défaut d'un Clasico Espagnol, offrez-nous un derby tunisien. Offrez nous un spectacle qui parle aux jeunes.
Sinon dans 1 ou 2 ans, quel que soit l'heureux élu, ne venez pas vous plaindre contre une probable révolte de la jeunesse issue d'un historique malentendu. A bon entendeur.
Par Hatem Boulabiar,
Homme d'affaires et directeur de l'institut de sondages "Centre des études stratégiques"