Tunisie : 18 premiers ministres dont certains ont sauté comme des fusibles
Ahmed Hachani est le quatrième chef de gouvernement nommé à ce poste par le président Kais Saied en moins de quatre ans. Un record depuis la proclamation de la République le 25 juillet 1957.
Les élections législatives d’octobre 2019 ont donné la première place au mouvement Ennahdha qui, en vertu de l’article 89 de la Constitution de janvier 2014, avait proposé la candidature de Habib Jemli à la Kasbah. Mais après moult tractations le gouvernement Jemli n’a pas réussi à obtenir la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple présidé par Rached Ghannouchi. Et comme le stipule le même article, le Président de la République a engagé des consultations avec les partis, les coalitions et les groupes parlementaires, et a chargé Elyes Fakhfakh, l’ancien ministre des finances dans le gouvernement de la Troïka et dirigeant d’Ettakatol, de former le gouvernement. Un choix qui avait suscité des réactions hostiles, parce que le candidat choisi n’avait pas bénéficié du soutien de la part des principaux partis, notamment Ennahdha.
A peine son gouvernement ayant obtenu la confiance du parlement qu’il s’est trouvé soumis à de fortes pressions de la part du mouvement islamiste qui voulait l’élargir à son nouvel allié Qalb Tounes. Devant sa ténacité, une motion de censure a été soumise à l’ARP pour le faire tomber. Mais c’était compter sans la célérité du président Kais Saied qui avait obtenu la démission du gouvernement Fakhfakh pour garder toutes les cartes entre ses mains. Son gouvernement n’a tenu que quelques mois seulement (27 février 2020-2 septembre 2020).
Contre toute attente, le chef de l’Etat avait alors sorti de sa poche le nom de Hichem Méchichi qu’aucune partie n’a proposé. Ministre de l’intérieur dans le gouvernement Fakhfakh, cet ancien conseiller auprès du président de la république, s’est vite retourné contre son mentor, se jetant dans les bras de Ghannouchi. Un crime de lèse-majesté que Saied ne lui pardonnera jamais. D’autant plus qu’il a commencé par se débarrasser des protégés du président, avec notamment le limogeage du ministre de l’intérieur Tawfik Charfeddine, un proche parmi les proches du chef de l’Etat. Son passage à la Kasbah n’a duré que quelque onze mois( 2 septembre 2020-25 juillet 2021), avant qu’il ne soit balayé par le coup du 25 Juillet 2021, finissant par se réfugier à l’étranger.
Un peu plus de deux mois après que le président s’était octroyé les pleins pouvoirs, il a choisi une femme, Najla Bouden comme cheffe de gouvernement. Sans aucune expérience dans la gestion des affaires de l’Etat, elle s’est embourbée dans une crise multiforme, montrant une incapacité à gérer les pénuries des matières de base et notamment la pénurie du pain qui a pris des ampleurs importantes. Personnalité taciturne, elle n’a brillé que par son silence et ses courbettes face à un président omnipotent. Elle a constitué un « fusible » par excellence et les « fusibles » sont faits pour sauter.
Son successeur Ahmed Hachani dont on ne connait aucun fait d’armes, pourra-t-il relever les nombreux défis qualifiés de « colossaux » par le chef de l’Etat ? Tiendra-t-il jusqu’à la prochaine élection prévue en Octobre 2024 ? Attendons pour voir.
Mohamed Ghannouchi, record de longévité
Excepté les deux intermèdes de Foued Mebzaa ( Janvier-Décembre 2011) et Mohamed Ennaceur ( 25 Juillet-23 Octobre 2019), la Tunisie a connu cinq présidents. Le premier Habib Bourguiba (25 Juillet 1957-7 Novembre 1987) a nommé cinq premiers ministres, Béhi Ladgham, comme secrétaire d’état à la présidence puis comme premier ministre (Juillet 1957-Novembre 1970), Hédi Nouira ( 2 Novembre 1970- 23 Avril 1980), Mohamed Mzali ( 23 Avril 1980- 8 Juillet 1986), Rachid Sfar ( 8 Juillet 1980-2 Octobre 1987) et Zine El Abidine Ben Ali dont le passage à la Kasbah n’a duré que 35 jours, le temps de fomenter son « coup d’état médico-légal » et destituer le père de la nation.
Ben Ali s’est appuyé, en 23 ans de pouvoir, sur trois premiers ministres seulement. Le premier fut son associé dans le « coup d’état médico-légal », Hédi Baccouche ( 7 novembre 1987-27 juillet 1988) qui a cédé son fauteuil à Hamed Karoui. Après un peu plus de 10 ans à la Kasbah (27 septembre 1989-17 novembre 1999), il a été remplacé par Mohamed Ghannouchi qui détient le record de longévité (17 novembre 1999-27 février 2011). Il a même été maintenu à la Kasbah par le président intérimaire Foued Mebazaa, avant de le remplacer par Béji Caid Essebsi ( 27 février 2011-13 décembre 2011) qui a assuré la période de transition, jusqu’aux élections de l’Assemblée nationale constituante et l’installation du premier gouvernement de la Troïka, dirigé par Hamadi Jebali ( 24 décembre 2011-13 mars 2013), sous la présidence du provisoire Moncef Marzouki.
Après l’assassinat de Chokri Belaid, en février 2013, Jebali a rendu le tablier et il fut remplacé le 13 mars de la même année, par Ali Larayedh. A l’issue du dialogue national mené par le Quartet, Mehdi Jomaa ( 29 janvier 2014-31 décembre 2014) a formé le gouvernement de transition qui a préparé les premières élections législatives et présidentielle après la chute du régime de Ben Ali.
Elu président de la République Béji Caid Essebsi a choisi Habib Essid ( 6 février 2015-27 août 2016) pour former le premier gouvernement sous sa présidence. Ce dernier a cédé son fauteuil à Youssef Chahed ( 27 août 2016-27 février 2020), qui est resté près de cinq mois sous la présidence de Kais Saied.
En somme, Dar El Bey ( la Kasbah) a été occupée par 18 locataires, entre juillet 1957 et juillet 2023. Ils sont même 19 si l’on ajoute le président du conseil Habib Bourguiba ( 8 avril 1956-25 juillet 1957) sous le règne de Mohamed Lamine Bey, le dernier monarque husseinite, avant la proclamation de la république.
De tous les présidents, c’est Kais Saied qui a « consommé » le plus grand nombre de premiers ministres. En 33 ans, Bourguiba avait nommé cinq dont Ben Ali qui est resté quelques jours seulement. Ce dernier, il a, en plus de 23 ans, désigné trois premiers ministres. Alors que BCE qui s’est heurté à la « félonie » de Chahed, s’est contenté de deux chefs de gouvernement.
Un ancien premier ministre français, Jacques Chaban-Delmas, disait « dans le régime présidentiel, tout ce qui est réussi c’est grâce au président, tout ce qui ne va pas est imputé au premier ministre ».
B.O
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