Tunisie-Allemagne : La dignité d’abord
« Il est rare qu’Angela Merkel consacre son court message vidéo publié chaque week-end sur Internet à l’un de ses rendez-vous diplomatiques de la semaine à venir », écrivait le journal Le Monde. Mais tel fut le cas, samedi 11 février, trois jours avant l’arrivée du chef du gouvernement Youssef Chahed en visite officielle à Berlin. La chancelière allemande, en difficulté dans son pays en raison des questions de l’immigration et du terrorisme, entendait discuter avec son homologue tunisien, « calmement et respectueusement, des possibilités qui existent dans ce domaine». Elle entendait, également, faire pression sur la Tunisie pour « l’installation des camps en pour y accueillir les migrants sauvés au cours de leur traversée de la Méditerranée et empêcher ainsi leur arrivée en Europe », moyennant des aides substantielles. Certains observateurs ont, même, vu dans ce message une forme de menace à peine voilée. D’autant plus que le ton a été donné dans une dépêche de l’AFP reprises dans plusieurs médias allemands mais européens également : « la Tunisie doit cesser de bloquer les expulsions de ses ressortissants et aider à juguler la migration vers l'Europe ».
Fin de non-recevoir
Mais la chancelière fut surprise d’apprendre, par voie de presse, la réponse de la Tunisie avant de rencontrer Youssef Chahed. Ce dernier a déclaré dans une interview publiée, mardi dans le journal Bild que « la solution doit être trouvée avec la Libye où les passeurs profitent du chaos et de l'absence d'un Etat fonctionnel ». Une fin de non recevoir pure et simple qui a dû froisser Merkel et la mettre dans de mauvais draps. En effet, la Tunisie n’est pas une terre de transit pour les migrants. Elle ne sera pas, non plus, une terre d’accueil. Au cours de sa rencontre avec la chancelière allemande, Youssef Chahed a réussi à la « forcer » à faire machine arrière cette revendication allemande. Il est à rappeler que cette idée de création de camps d’accueil en Libye ou dans un pays voisin, où seraient rassemblés les demandeurs d’asile en Europe a été discutée au cours de la réunion des ministres de l’intérieur de l’Union européenne à Malte.
Les Allemands, choqués par l’attentat perpétré par un tunisien, Anis Amri, radicalisé dans une prison italienne, contre un marché de Noel fin décembre dernier, veulent à tout prix expulser les demandeurs d’asile tunisiens déboutés, voire et dont le nombre avoisine les 1.200. Ils accusent les autorités tunisiennes «de freiner les expulsions des sans-papiers, en particulier s’agissant de personnes liées à la mouvance salafiste». Or le gouvernement tunisien réclame «des preuves limpides de la nationalité tunisienne» avant d’accorder à un sans-papiers les documents nécessaires à son retour au pays. Car, ces derniers ne disposent d’aucune pièce d’identité et certains d’entre eux pourraient se faire passer pour des Tunisiens. Avec le risque d’infiltration de terroristes chassés de Syrie après la défaite de Daesh.
Pas à n’importe quel prix
Certes, l’Allemagne « veut aider » la Tunisie « à stabiliser la démocratie à longue échéance », comme l’a écrit le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung, mais pas à n’importe quel prix. A sept mois des élections législatives, « la priorité de Berlin sur le terrain de l’immigration est clairement aux expulsions, alors qu’une partie de l’opinion fait part de son inquiétude face à l’immigration ». En mars 2016, Merkel a dépêché son ministre de l’intérieur Thomas de Maizière dans les trois capitales maghrébines, Rabat, Alger et Tunis, afin de conclure « des accords bilatéraux prévoyant davantage d’aide au développement en échange de procédures facilitées de rapatriement des expulsés » dans ces pays classés « sûrs » par Berlin. S’il a trouvé un terrain d’entente avec le Maroc, il a été débouté par l’Algérie et n’avait pu se mettre d’accord que sur « un projet pilote de réinsertion dans leur pays d’origine de 20 Tunisiens expulsés d’Allemagne ».
En 2016, 116 ressortissants tunisiens ont été renvoyés en Tunisie dans des vols charters qui ont atterri à l’aéroport Enfidha. Trop peu pour les autorités allemandes qui veulent accélérer les procédures et proposent, même, des aides aux expulsés qui leur permettront de refaire leur vie chez eux. Or, dans cette situation, les intérêts ne doivent pas primer la dignité. Accepter les conditions au détriment de l’intérêt national, se soumettre aux pressions sous prétexte que « le pays est fragile », au détriment notre dignité, porterait un coup fatal à l’intégrité de l’Etat et à son indépendance.
BO
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