Tunisie-Chine: Genèse de 60 années de partenariat stratégique et de coopération bilatérale

Tunisie-Chine: Genèse de 60 années de partenariat stratégique et de coopération bilatérale

Par Oumar DIAGANA

Il y a exactement soixante ans (le 10 janvier 1964), la Chine et la Tunisie établissaient leurs premières relations diplomatiques. Depuis cette date, la coopération bilatérale et l'amitié entre les deux partenaires ne cessent de monter au firmament pour étendre aujourd'hui leurs tentacules à plusieurs secteurs et domaines aussi importants que vitaux.

A l'occasion de la célébration, cette année, du soixantième anniversaire des relations diplomatiques, les deux pays ont pris soin de donner une dimension particulière à cet événement marqué par la visite en Tunisie du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi. L'occasion idoine de dresser le bilan d'une coopération fructueuse avec ce mastodonte économique à la culture millénaire si belle et si différente. Un mastodonte dont l'ascension a bouleversé en un laps de temps assez court l'ordre mondial établi, si bien qu'il a réussi à damer le pion au pays de l'Oncle Sam.

Que ce soit dans le domaine des échanges économiques et commerciaux que ceux éducatifs, culturels ou sanitaires, le chemin parcouru entre les deux partenaires tunisien et chinois est un parangon de réussite matérialisé par des réalisations concrètes. La dernière en date reste sans doute l’inauguration récente de l’Académie diplomatique internationale de Tunis par le ministre chinois et son homologue tunisien Nabil Ammar.

Ce joyau scientifique et architectural, financé par Pékin à hauteur de 80 millions DT, constitue, à n'en point douter, un pont de communication avec les pays frères et amis, mais aussi l'aboutissement de la consolidation de relations bilatérales vieilles et ancrées. Ce geste témoigne de la volonté des deux Etats de voir leur coopération se hisser à des niveaux supérieurs. C’est aussi un signal clair de la place qu’occupe la Tunisie dans la politique étrangère africaine de la Chine.

Perchée sur les hauteurs de Ras Tabia, à quelque deux cents mètres du ministère des Affaires étrangères, l’Académie, bâtie sur environ 16 mille mètres carrés, s’impose comme une réalisation d'envergure comprenant un ensemble de beaux bâtiments dotés d’équipements ultra modernes: administration, amphithéâtres, salles de conférences, bibliothèque, médiathèque, restaurant, parking sous-terrain...

Entre Tunis et Pékin, des relations vieilles et fructueuses

Depuis l'établissement des relations diplomatiques entre la Tunisie et la Chine, que de chemin parcouru ! A l'origine culturelles et éducatives, les relations tuniso-chinoises ont touché au fur et à mesure tous les domaines. En juin 1979 déjà, les deux pays signaient à Beijing l'Accord culturel. Et en novembre de la même année, le premier Programme d'Application de l'Accord de coopération culturelle entre les deux parties fut signé pour les années 1980 et 1981. Depuis cette date jusqu'à nos jours, l'accord est sans cesse renouvelé.

Forts de ces programmes, la relation entre les deux pays est restée intacte. Et des délégations gouvernementales des deux pays (hauts fonctionnaires, artistes) se visitent mutuellement dans l'ancrage des relations. Mais bien avant, à partir de 1976 déjà, les deux pays commençaient les échanges de boursiers étudiants et depuis 1998, la langue chinoise est enseignée à l'Institut Supérieur des Langues de Tunis et plus tard comme option dans des lycées tunisiens.

Ainsi, et plus récemment, en août 2018, un programme de collaboration riche dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a été signé entre les deux pays. Ce programme tournait autour d'un triptyque: la pérennisation de China Campus (le salon des universités chinoises en Tunisie), l'ouverture du premier Institut Confucius en Tunisie, et le don chinois d’un super calculateur au Centre de calcul universitaire Al Khawarizmi. Ce premier super calculateur est d’un apport fort précieux à des dizaines de structures de recherche scientifique (unités, laboratoires et centres de recherche) œuvrant dans différentes disciplines.

La Chine, 4ème partenaire commercial de la Tunisie

Premier exportateur mondial et acteur global majeur, l’Empire du Milieu s'impose désormais en superpuissance mondiale allant jusqu'à façonner la redistribution des cartes géopolitiques.

Avec le développement des relations amicales, les échanges entre la Chine et la Tunisie se sont multipliés à tous les niveaux. En 2023, le commerce bilatéral entre la Chine et la Tunisie a atteint 10 milliards de dollars, enregistrant une croissance de 20 % par rapport à l’année précédente. La Chine s’est hissée au rang de quatrième partenaire commercial de la Tunisie après la France, l’Italie et l’Allemagne.

Au niveau de la balance commerciale, les principales exportations tunisiennes vers la Chine concernent l'huile d'olive, le sel marin, le plastique, l'électroménager, les câbles automobiles, le cuir...Tandis que les importations en provenance de la Chine concernent essentiellement les équipements mécaniques et électriques, les métaux et ouvrages en métaux, le coton, le textile, les tissus industriels, les jouets, les équipements sportifs...

Mises à part les 11 entreprises chinoises installées en Tunisie et qui totalisent quelque 12,9 millions DT et 538 salariés permanents, l'empreinte de la Chine est fort remarquable en Tunisie. En témoignent la kyrielle de réalisations (ou en cours) d'ouvrages hydrauliques, d'infrastructures diverses mais aussi de bâtiments civils imposants, à l'instar des archives nationales, le centre culturel et sportif d'El Menzah, le barrage de l'oued Mellegue, la station d'eau usée de Sousse, le CHU de Sfax, l'académie diplomatique de Tunis, le centre Al Khawarizmi et le centre culturel et sportif pour les jeunes à Ben Arous...

Dans le domaine de la coopération technique, numérique et de l'assistance financière, notons que l'Empire du Milieu finance les études de construction d’un pont de 2,6 kilomètres reliant l’Île de Djerba à Zarzis, de l'extension de la zone économique de Zarzis et du réseau ferré Gabes-Médenine. Sans compter le programme Seeds for the Future (graines pour l’avenir) lancé par la société Huawei et son académie de technologie numérique qui constitue l’un des fruits les plus éloquents de la réussite de la coopération sino-tunisienne dans ce secteur vital de la transition numérique et technologique.

Autre fait important, la coopération médicale. Plus d'un millier de médecins ont participé depuis une cinquantaine d'années à quelque 27 missions médicales en Tunisie. Tandis que plus de 130 stagiaires tunisiens ont suivi des sessions de formation en Chine. En 1994, la Chine a contribué à la création du premier centre de traitement d’acupuncture du monde arabe en Tunisie, en l’occurrence celui au sein de l’hôpital de La Marsa.

La première mission médicale chinoise envoyée en Tunisie remonte à 1973. Depuis cette date, un personnel important et qualifié de santé a travaillé en Tunisie dans des spécialités diverses, à l'instar de la chirurgie générale, la gynécologie obstétrique, la radiologie, la pédiatrie, l’orthopédie, l’acupuncture, la cardiologie ou encore l’ophtalmologie...

La Tunisie, une destination prisée pour les touristes chinois

Perçus par les autorités touristiques tunisiennes comme un marché à fort potentiel et une niche porteuse, les touristes chinois sont de plus en plus courtisés pour visiter la Tunisie. En 2017, quelque 18 mille touristes ont visité la Tunisie, soit une croissance de 150% par rapport à 2016. En 2018, le nombre de touristes chinois ayant foulé le sol tunisien a connu une progression de près de 44% par rapport à 2017.

Jusqu’en 2019, la Chine représentait le marché asiatique le plus important pour le tourisme tunisien, puisque le nombre de touristes chinois ayant visité la Tunisie a atteint 32 000 visiteurs.

Interrompu en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, le flux de touristes chinois a repris plus tard, alors que le ministère du Tourisme s’emploie à restaurer ce marché, notamment suite à la décision chinoise de réinscrire la Tunisie parmi les destinations officiellement reconnues pour les touristes chinois en août 2023 et à l’acceptation de la Tunisie d’exempter les touristes chinois du visa d’entrée en Tunisie.

L'Empire du Milieu est ainsi devenu l'un des marchés à la croissance la plus rapide en Tunisie. Mais il y a lieu de reconnaître toutefois que la promotion du tourisme tunisien auprès des Chinois est loin d’être une tâche facile.

Très exigeants, les touristes chinois espèrent que le pays hôte réunisse un certain nombre de conditions qui seraient susceptibles d'attirer un grand nombre de visiteurs. A savoir la multiplication des restaurants chinois, la formation de guides touristiques tunisiens parlant le mandarin, l'érection d'hôtels de luxe adaptés aux spécificités de la clientèle chinoise, accorder une attention particulière aux produits de terroir prisés par les consommateurs chinois (dattes, grenades, huile d’olive, harissa…)

Les touristes chinois étant connus pour être moins "balnéaires" que les autres, la Tunisie est appelée à développer une industrie adaptée à cette communauté. Les Chinois aiment visiter les fermes, les sites agricoles, le désert, les sites archéologiques, les champs de viticulture. Récemment des touristes chinois ont montré un vif intérêt pour l’oléotourisme, un nouveau produit que les oléiculteurs et conditionneurs d’huile d’olive de Sfax ont décidé de promouvoir à travers la mise en avant d'anciennes huileries souterraines.

Pour rappel, les touristes chinois dépensent deux fois plus que les Américains, trois fois plus que les Allemands, quatre fois plus que les ressortissants de la Grande-Bretagne et six fois plus que les Français.

A n’en point douter, les relations tuniso-chinoises ont connu au cours de ces dernières années des progrès considérables. Cela s'est manifesté par l'accroissement des visites entre les hauts responsables des deux pays. C'est sans doute une nouvelle dynamique qui se dessine, année après année, entre la Chine et la Tunisie et qui ouvre la porte à de nouvelles perspectives et opportunités mirobolantes, marquant encore une nouvelle fois la volonté de Pékin de renforcer son positionnement sur l’échiquier économique international.

Nul ne peut ignorer aujourd'hui, à moins d’être sourd et aveugle, l'ascension fulgurante que connaît la Chine. Qui est entrée de plain-pied dans l'ère de la modernité en s'érigeant en puissance pacifique et responsable.

O.D.

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