Tunisie: le calvaire des sous-traitants et des ouvrières du Textile à Kasserine
Si de grands clients sont intéressés par le secteur du Textile Tunisien, la situation n’en demeure pas moins difficile aussi bien pour les sous-traitants
que pour les ouvrières. Cet article, de Marc MAHUZIER à Ouest France, résume les difficultés que vit le secteur du textile à Kasserine et la précarité imposée aux femmes travailleuses dans les ateliers de confection de la ville.
« Le clan Ben Ali avait beau prélever sa dîme, il était intéressant de délocaliser la production en Tunisie. C'est ce qu'a bien compris, par exemple, la marque de prêt-à-porter italienne Benetton qui a transformé la ville de Kasserine en un centre textile. La Révolution n'a pas fait augmenter les salaires dans les usines. On y travaille toujours six jours par semaine pour 130 € par mois.
La ville, de 80 000 habitants, est à l'écart du développement et des investissements depuis des années. Il y a cinq ans, quand Benetton est venu en promettant des commandes si des ateliers étaient créés, ça a été la ruée. Aujourd'hui, il existe 38 de ces « usines », comme disent les habitants.
Toutes montées par des particuliers, elles emploient environ 3 000 salariés et apprentis, à 90 % des femmes. Et fabriquent, chaque année, des millions de pièces pour la marque italienne, qui n'a pas investi un dinar. Les ateliers sont bruyants et étouffants de chaleur l'été.
Les rémunérations sont au minimum de ce que prévoit la convention collective du textile : 1,46 dinar (70 centimes d'euro) de l'heure. Soit une moyenne de 130 € par mois. « Il y a eu des grèves et des manifestations pour essayer d'obtenir des augmentations. Mais ça n'a pas marché », regrette Youssef Abidi, numéro 2 du syndicat UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) de Kasserine.
Dans cette usine de la zone artisanale, la directrice accepte de nous parler sous couvert d'anonymat. « À Kasserine, nous avons tous le même client : Benetton. Bien sûr qu'on aimerait payer davantage les ouvrières ! Mais, avec ce qu'il nous donne, c'est impossible. »
Les usines sont réglées au vêtement confectionné. À L'Orient Confection, Saïd Bartouli, le patron, montre les bordereaux de commande. Son entreprise touche 1,20 € par pantalon, coupe comprise. Mais elle doit payer le fil : « 0,60 € par pantalon. Je n'y arrive pas. » Saïd Bartouli a ouvert il y a quatorze mois. Comme les autres, il a emprunté pour acheter les machines à coudre. « Quand on vient de la part de Benetton, la banque prête facilement. »
« On a le droit à 1 % de pièces avec un défaut. Au delà, Benetton nous retient 20 € pour chacune », assure la directrice de la première usine. Les clauses sont draconiennes, « on ne peut rien négocier. ». Saïd Bartouli confirme : « C'est impossible de dialoguer. Je voulais qu'ils paient au moins la moitié du fil. Ils m'ont dit : 'c'est à prendre ou à laisser'. Tu dis oui ou tu résilies maintenant. »
Si les commandes diminuent, comme par exemple après la Révolution, les ateliers mettent les ouvrières au chômage technique, sans indemnité. « On n'a que Benetton comme client. Il nous tient. Ce qu'il nous faudrait, c'est un autre client. Il y aurait de la concurrence, et pas ce monopole qu'il nous impose », dit la directrice de la première usine. Un monopole imposé ? « Ce n'est pas écrit dans le contrat, mais il nous interdit de travailler pour une autre marque. Sinon, il nous renvoie. »
Contactée en Italie, la direction de Benetton dément : « Nous n'imposons absolument pas aux sous-traitants de ne travailler que pour nous. » Mais le syndicaliste Youssef Abidi assure le contraire. Et Omar Ben Hadj Sliman, le nouveau gouverneur de Kasserine (l'équivalent du préfet), nous l'a confirmé. Il n'y voit d'ailleurs rien d'illégal : « Cela fait partie de la négociation commerciale. L'usine n'est pas obligée d'accepter. »
Saïd Bartouli dit avoir essayé de changer de client. « J'étais en contact avec Gap. Ils voulaient faire fabriquer à Kasserine. Ils avaient de l'ambition. En février 2010, je suis allé voir le gouverneur. Il m'a dit : 'On a une convention : ici, c'est seulement avec Benetton'. » Aujourd'hui, le gouverneur a changé. L'ancien a été démis… »
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source: Ouestfrance.fr