Tunisie : où sont allés les 10 milliards d'euros de l’Union européenne ?
L’ambassadeur de l’Union européenne à Tunis, Patrice Bergamini a révélé tout dernièrement que « la Tunisie a reçu de la part des Européens depuis 2011, 10 milliards d’euros, en dons et en prêts ». Un montant colossal l’équivalent de 30 milliards de dinars à raison de près de 04 milliards par an.
Et d’ajouter que la Tunisie avait reçu de la part des bailleurs de fonds plus que ce qu’on lui avait promis.
Mais où est allé tout cet argent et quel est son impact sur la vie des Tunisiens ?
« Premier pays au sud de la Méditerranée à signer avec l'UE un accord d'association, et à intégrer la zone de libre-échange, la Tunisie reste l'un des premiers bénéficiaires de l'aide et de l'assistance européennes. Cette assistance s’est renforcée au lendemain du 14 Janvier 2011, conférant au pays le statut de « partenaire privilégié » dès 2012. Un plan d’action étalé sur la période 2013-2017 a été adopté. Défini par l’UE comme « feuille de route ambitieuse qui traduit la volonté de la Tunisie de développer les réformes dans tous les domaines», il est censé sauver le pays en pleine tempête, secoué par une crise sociale et économique profonde…
Les fonds de l’UE ont été alloués de plusieurs façons : « un appui budgétaire général et sectoriel, un prêt au titre de l’assistance macro financière (AMF) et le financement de projets indépendants ».
Selon la délégation de l’Union européenne en Tunisie, cette aide a, depuis 2011, changé de volume et de nature. Avec trois principaux objectifs : « accompagner la transition démocratique et la décentralisation, renforcer l’insertion de la Tunisie dans l’économie mondiale et celle des jeunes dans la vie économique, lutter contre les déséquilibres régionaux et sociaux qui minent la cohésion sociale et fragilisent la Tunisie nouvelle »...
A la fin de l’année 2016, l’Union Européenne a décidé d’élever « le niveau de référence de l’aide à 300 millions d’euros par an sur la période 2017-2020 en fonction de l'avancée des réformes associées, soit 1,2 milliard d’euros maximum ». Au total, 2 433 millions d’euros, soit environ 7 300 millions de dinars tunisiens (1 euro vaut 3 dinars) ont été déboursés en sept ans (2011-2017), entre dons (1 6033 millions d’euros) et prêts. Ces efforts jugés « considérables » pour un pays qui compte 11 millions d’habitants, demeurent, néanmoins, « proportionnés aux défis du changement », d’après la délégation de l’Union qui, en plus de cela, a utilisé « le levier du commerce », pour assurer, par exemple, « la stabilisation » du secteur de l’huile d’olives en augmentant le volume d’importation.
Sans parler de la communauté internationale qui, selon le FMI, « choie la jeune démocratie » tunisienne avec pour « obsession » sa « stabilité ». Au total, les engagements en cours pour la Tunisie dépassent les « 15 milliards d'euros », selon le commissaire du voisinage Hahn, soit « 46 milliards de dinars ».
Impact dilué
Mais où sont allés ces fonds et ont-ils eu un impact réel sur la vie des Tunisiens ? La Cour des comptes européenne a alerté, dans un rapport publié en 2016, fruit d’audit effectué entre mars et juillet de la même année, sur « le manque de contrôles », relevant qu’aucune « évaluation officielle des finances publiques n’a été effectuée », en raison, notamment, de la souplesse des « conditions de décaissement ». Sans aller trop loin, elle relève, néanmoins, que « les fonds ont été en général dépensés à bon escient, étant donné qu’ils ont contribué de manière significative à la transition démocratique et à la stabilité économique en Tunisie après la révolution » et ce, en dépit de « plusieurs déficiences » constatées. Elle ajoute que « la Commission a mis plusieurs années à trouver une solution, ce qui signifie que l’impact potentiel de ses fonds a été dilué et qu’il a été difficile de gérer ses nombreuses activités ». Le rapport pointe du doigt la lenteur de la mise œuvre des réformes importantes et qui est dû aux « multiples changements de gouvernement ainsi qu’à l’ampleur des nombreux défis à relever ». En sept ans, la Tunisie a, en effet, connu sept gouvernements successifs. Ils n’ont réussi que peu ou prou à faire face aux innombrables difficultés et aux blocages à tous les niveaux...
Un plan quinquennal de développement (2016-2020) définissant les priorités pour servir de feuille de route et d’une vision stratégique a été adopté, mais il a péché par un manque de suivi et dévaluation, ce qui a engendré un retard, parfois considérable dans la réalisation de certains programmes dont les délais ont été allongés de « 70 % par rapport au calendrier initialement prévu » et ont fortement handicapé la mise en place de grandes réformes, politiques, économiques et sociales. C’est pourquoi, le rapport de la Cour des comptes européenne recommande de « subordonner les versements à la réalisation satisfaisante des différentes mesures et à l’obtention de bons résultats concernant les indicateurs de performance, plutôt qu’à l’accomplissement de progrès en général ».
Source: la Revue pour l'intelligence du monde
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