L'Union européenne ne peut pas et ne doit pas inviter des Israéliens en Tunisie
La Campagne Tunisienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël (TACBI) a déclaré avoir appris avec consternation que la Délégation de l’Union Européenne en Tunisie compte inviter à Tunis en janvier 2020 de jeunes israéliens dans le cadre du programme « Dialogue Méditerranéen pour les Droits et l’Egalité » (Med Dialogue for Rights and Equality) financé par l'Union européenne.
Dans une lettre à l'Ambassadeur de l'Union européenne en Tunisie elle a demandé de respecter la Constitution tunisienne, les affinités et les choix souverains du Peuple tunisien et les règles du droit en vigueur en s’abstenant d’inviter des citoyens d’un État ennemi sur le territoire tunisien.
Voici le contenu intégral de la lettre de la Campagne Tunisienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël (TACBI) à l’Ambassadeur de l'Union européenne en Tunisie Patrice Bergamini :
« Son Excellence Monsieur Patrice Bergamini
Ambassadeur de l'Union européenne en Tunisie
Monsieur l’Ambassadeur,
La Campagne Tunisienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël (TACBI) a appris avec consternation que la Délégation de l’Union Européenne en Tunisie compte inviter à Tunis en janvier 2020 de jeunes israéliens dans le cadre du programme « Dialogue Méditerranéen pour les Droits et l’Égalité » (Med Dialogue for Rights and Equality) financé par l'Union européenne. En effet, un appel à manifestation d'intérêt pour « relever les défis écologiques en Méditerranée » a été lancé par l’Union Européenne en direction des jeunes de dix pays de la région sud de la Méditerranée. A travers cet appel, accessible à partir de la page web de votre Délégation, « 20 jeunes leaders seront sélectionnés » pour participer à un « camp d'entraînement de quatre jours à Tunis, du 27 au 30 janvier 2020 ». Il est indiqué que les candidats doivent avoir « entre 18 et 36 ans » et être « ressortissants des pays suivants : Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Mauritanie, Maroc, Palestine, Tunisie, Syrie - ou appartenir à des diasporas apparentées, notamment syriennes et palestiniennes ».
Par cet appel, la Délégation Européenne en Tunisie se permet d’inviter, dans le pays qui l’accueille, de jeunes israéliens en âge de servir dans une armée d’occupation perpétrant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité quotidiens contre le peuple palestinien frère, en particulier à Gaza et à Jérusalem, autrement dit des personnes ayant déjà participé ou qui participeront très prochainement, sur les lignes de front, à une guerre coloniale en cours contre le peuple palestinien.
Il ne vous a pas échappé que la Tunisie ne reconnaît pas Israël et qu’elle n’établit avec cet État aucune relation diplomatique. Les ressortissants israéliens ne peuvent pas donc accéder au territoire tunisien et il ne peut y avoir aucun échange scientifique, culturel ou commercial entre les deux pays. Nous nous demandons donc comment vous comptez procéder pour accueillir ces jeunes israéliens à Tunis. Nous ne saurions imaginer que les autorités tunisiennes aient donné leur accord pour laisser entrer sur le territoire national des ressortissants israéliens, en flagrante illégalité.
La Tunisie a toujours été pleinement solidaire avec le peuple frère palestinien dans sa lutte pour la défense de ses droits légitimes et inaliénables, contre l’occupation, la colonisation et l’apartheid israéliens. Cet engagement historique, rappelé dans le préambule de sa Constitution, lui a valu de multiples agressions israéliennes, sur son propre territoire, dont l’assassinat du leader palestinien Abou Jihad par un commando israélien du Mossad, le 16 avril 1988 à Sidi Bou Saïd. L'officier qui a commandé l’opération et a assassiné Abou Jihad a reconnu les faits dans une interview publiée par le journal israélien Yedioth Ahronoth. Trois ans auparavant, le 1er octobre 1985, l'armée de l'air israélienne a bombardé le quartier-général de l'OLP à Hammam Chott dans la banlieue de Tunis. Cet acte de guerre, ordonné par le Premier ministre israélien de l'époque, Shimon Peres, a fait 68 morts, 50 palestiniens et 18 tunisiens, une centaine de blessés et des dégâts matériels considérables. Dans sa résolution 573, le Conseil de sécurité des Nations unies « condamne énergiquement l’acte d’agression armée perpétré par Israël contre le territoire tunisien, en violation flagrante de la Charte des Nations unies et du droit et des normes de conduite internationaux », demande des compensations financières pour les dommages subis par la Tunisie et exige des États membres des mesures pour éviter la répétition de cette agression. Cette résolution est restée lettre morte, puisque Israël a poursuivi impunément ses assassinats en Tunisie, le dernier étant en décembre 2016, et n'a toujours pas versé de réparations.
Le respect du droit du pays hôte et des coutumes diplomatiques auraient dû amener la Délégation de l’Union Européenne à ne pas ouvrir l’appel à manifestation d’intérêt pour venir en Tunisie aux jeunes israéliens. Par ailleurs, les États membres de la communauté internationale sont tenus par d’importantes obligations qui découlent des violations extrêmement graves du droit international commises par un autre État. Ces obligations relatives aux violations israéliennes du droit international ont été clairement énoncées dans l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) rendu à La Haye le 9 juillet 2004, qui a bénéficié du soutien de quatorze juges sur quinze – tous sauf le juge américain. Cette évaluation juridique faisant autorité a été publiée par la CIJ à la demande de l’Assemblée générale des Nations unies, avec une référence spécifique aux « conséquences juridiques de la construction d’un mur dans le territoire palestinien occupé ». Cet avis déclare illégaux au regard du droit international tant le mur de séparation que les colonies de peuplement israélien construits en territoire palestinien occupé. La Cour indique, en outre, qu’il appartient à l’État d’Israël de démanteler le mur de séparation et les colonies de peuplement.
Cet Avis indique également (§154 à §160) qu’il est de la responsabilité de chaque État membre de la communauté internationale mais également des organisations internationales de faire respecter le droit international par l’État d’Israël. La Cour précise bien qu’il s’agit d’un devoir qui pèse sur chaque État membre de la communauté internationale et non seulement une faculté. Cette obligation implique d’exercer toutes les formes nécessaires de pression et de sanctions, dans le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies, contre l’État d’Israël pour qu’il se conforme à l’Avis de la Cour. A l’heure où la colonisation israélienne en Cisjordanie et le blocus illégal de Gaza se poursuivent impunément, nous regrettons que l’Union Européenne ne respecte pas cette obligation et nous estimons que l’association d’Israël aux programmes européens constitue plutôt un encouragement qu’une pression ou qu’une sanction.
L’Accord d’Association Union Européenne-Israël, entré en vigueur en 2000, facilite grandement le commerce sans barrières entre l’UE et Israël, et permet à Israël de participer à des programmes et projets européens comme aucun autre pays non européen. L’Article 2 de cet Accord stipule que « les relations entre les parties devraient s’appuyer sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui guident leurs politiques intérieure et internationale, et constituent un élément essentiel de l’Accord ». L’application ininterrompue de cet accord malgré la violation manifeste par Israël de la clause de l’Article 2 contribue à l’impunité scandaleuse dont bénéficie cet État. L’Union européenne a suspendu son accord d’association avec le Sri Lanka en 2010 et a appliqué des mesures restrictives à la Russie suite à l’annexion de territoires ukrainiens, ainsi qu’à une multitude d’autres états ayant manifestement violé les droits de l’homme et le droit international ces dernières années. La non-application de mesures similaires à Israël relève de la politique des deux poids-deux mesures, ce qui revient à soutenir les violations continues par Israël du droit international. La complicité de l’Union européenne dans les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par Israël contre le peuple palestinien va jusqu’au financement des entreprises d’armement israéliennes par des fonds destinés à la recherche européenne. Ainsi, Elbit Systems et Israel Aerospace Industries, principaux fournisseurs de drones utilisés lors d'attaques contre Gaza, participent à plusieurs projets dans le cadre du programme européen Horizon 2020.
Le Parlement européen a voté en 2002 une résolution demandant à l’Union européenne la suspension de l’Accord d’Association Union européenne-Israël tant que cet État ne respecterait pas les droits de l’Homme, mais cette résolution est restée lettre morte au mépris des principes démocratiques les plus élémentaires. Rappelons par ailleurs que l’UE n’a protesté que du bout des lèvres quand Israël a sciemment détruit l’aéroport de Gaza et d’autres infrastructures financées par l’Union.
Si l’Union Européenne souhaite « relever les défis écologiques en Méditerranée », il faudrait qu’elle s’attèle sérieusement à la crise écologique en Palestine, principalement due à l’occupation, à la colonisation et à l’apartheid israéliens. La crise de l’eau en Palestine est souvent présentée comme résultant des conditions climatiques de la région. Or Israël utilise actuellement 85 % des ressources en eau partagées de Cisjordanie, laissant les Palestiniens à sec. Non seulement Israël exerce son hégémonie sur l’accès aux ressources en Cisjordanie, mais l’Autorité Palestinienne de l’Eau dépend complètement d’Israël en tant que principal fournisseur d’eau, achetant son approvisionnement à Israël depuis les Accords d’Oslo. Le blocus et les guerres d’Israël sur Gaza y empoisonnent la vie des habitants de ce territoire. Les eaux usées ont infiltré l’aquifère de Gaza et s’écoulent dans la mer. Quatre-vingt-dix-sept pour cent de l’eau raréfiée de Gaza est impropre à la consommation humaine. Israël interdit aux Palestiniens l’utilisation de 20 % des terres arables de Gaza et déverse des herbicides sur les terres agricoles de Gaza. Selon l’ONU, Gaza aura été rendu invivable d’ici 2020, sinon déjà maintenant.
Nous demandons à la Délégation de l’Union européenne en Tunisie de respecter la Constitution tunisienne, les affinités et les choix souverains du Peuple tunisien et les règles du droit en vigueur en s’abstenant d’inviter des citoyens d’un État ennemi sur le territoire tunisien.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’expression de notre haute considération. »
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