Tunisie: Quand la télévision devient une arme de destruction massive !
Les Tunisiens ont été nombreux à s’insurger contre la diffusion de l’émission Andi Mankolek mettant un vieux Tunisien de 75 ans alité et en proie à une maladie chronique avec une maitresse imaginaire prétendant qu’il est le père biologique de son enfant de 20 printemps.
Flairant la tromperie, la supercherie et l’imposture, ses enfants légitimes s’empressaient de charger un avocat pour empêcher la diffusion de l’émission qui risque de salir leurs familles.
Mais malgré la mise en garde, la chaîne Attounissia a diffusé l’émission en dévoilant l’identité et même les visages des personnes concernées.
Suite à la grande polémique qui a suivi l’émission et convaincu que les accusations de la femme sont infondées, une requête de tests ADN a eu lieu. Mieux encore, ces tests ont démontré qu’effectivement Am Hedi n’est pas le père biologique du jeune homme et que toute cette histoire n’est que pure affabulation et mensonges grossiers.
Entretemps, une semaine après la diffusion de ladite émission, Am Hedi trouva la mort emportant avec lui son chagrin d’être injustement humilié, sali, touché dans son honneur et jeté en pâture à la fin de sa vie, sans que les producteurs de l’émission prennent la peine de vérifier la véracité des allégations de cette mère.
Combinant barbarie douce, violence psychologique, intrusion dans l’intimité et atteinte à l’intégrité morale d’un père et grand-père respectable, l’émission a consacré la monstruosité et l’obscénité comme éléments racoleurs et accrocheurs pour gagner de l’audience au péril de la vie et de l’honneur des gens.
La morale et le respect de la déontologie ont été une nouvelle fois sacrifiés au profit du sensationnel, l’humanité est bafouée pour servir l’émotionnel et la respectabilité est envoyée aux oubliettes pour célébrer le buzz et la montée spectaculaire de l’audimat.
Ainsi, cette triste affaire a encore confirmé que la télévision est devenue surtout avec ces émissions de télé-réalité des frères Chebbi, une jungle avec beaucoup d’amateurisme, de désordre et d’anarchie et surtout avec de nombreux gourous et victimes.
Désormais donc, seule la course à l’audience compte. Au diable les principes quand on peut transgresser les règles, travestir l’imaginaire en réalité, démolir des réputations, anéantir des vies et surfer en toute tranquillité et quiétude entre le virtuel et le réel.
C’est une nouvelle télévision des plus irresponsables où tout est permis. Une télévision perverse et tyrannique qui dispose d’un véritable pouvoir de nuire, de blesser, d’humilier, de briser des vies et capable de toutes les dérives et de toutes les manipulations pour des instants de notoriété et de célébrité.
Dans cette course effrénée à l’audience, on s’ingénie à réussir le cocktail magique à base de misère, de faiblesse, de souffrance et de violence pour faire exploser les audiences mais hélas ce n’est pas seulement l’audience qui a explosé mais aussi la vie d’un homme.
L'annonce de la mort de Am Hedi a fait énormément de bruit et a choqué beaucoup de Tunisiens , mais nul ne sait s’il est mort des suites de sa maladie, des suites de la diffusion de l’émission ou de la combinaison des deux facteurs ?
Quelle est la part de responsabilité de cette émission et son lot de mensonges grossiers et insultants dans le destin tragique d’un sexagénaire vivant paisiblement ses derniers jours entourés des siens? Le débat est lancé et chacun peut s’interroger à juste titre sur la causalité, sur les limites de la liberté, sur la permissivité de tels procédés et le sort des victimes de tel déballage public.
Un déballage misérabiliste, alarmiste, mensonger, théâtral et finement orchestré qui laisse la porte ouverte à toutes les dérives et tous les débordements affectifs et émotionnels. On fabrique, on construit et on scénarise une vie, des moments et des personnages que le téléspectateur aime regarder dans cette boîte de pandore.
L’apothéose, c’est quand la fiction rejoint la réalité par le truchement de mensonge et de manipulation en faisant fi des interdits, des droits des victimes, du respect de l’humanité et des obligations déontologiques des producteurs de ce genre d’émissions.
La télévision est devenue folle et cruelle en Tunisie. A travers ce voyeurisme pervers, il y a tout ce qui est néfaste à la société: déclin des valeurs morales, supercherie, tromperie, violence gratuite, manipulation et sacre du mensonge grossier et de l’imposture insolente.
Et il est grand temps que la Haute Instance de la Communication et de l’Audio-visuel assume pleinement ses responsabilités pour arrêter ce genre de mascarades qui n’ont rien à voir avec la liberté de la presse, en appliquant la loi sur toutes les télévisions et radios tunisiennes qui osent ce type de dépassement dangereux.
Jalel JEDDI